Critique

[À la télé ce soir] La Règle du jeu, Fritz Lang: le démon en nous et I Pay for Your Story

La Règle du jeu, de Jean Renoir © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Soirée de qualité ce 1er mai sur Arte, avec un chef-d’oeuvre de Jean Renoir, un docu-fiction sur Fritz Lang et un documentaire polémique.

La Règle du jeu

Drame de Jean Renoir. Avec Marcel Dalio, Nora Gregor, Julien Carette. 1939. *****

Ce lundi 1er mai à 20h50 sur Arte.

François Truffaut l’appelait « le film des films ». Le chef-d’oeuvre de Jean Renoir brosse, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, un tableau sans complaisance aucune de la bourgeoisie française, cadrée avec l’aristocratie et la domesticité dans une « fantaisie dramatique » plus désabusée encore que socialement critique. Nous sommes dans une vaste et belle demeure située en Sologne, où une partie de chasse réunit un châtelain et ses invités. Des intrigues s’y multiplieront, jusqu’à provoquer des événements tragiques… Renoir l’humaniste dirige de main de maître un récit choral dont le scénario s’inspire librement de Marivaux et Beaumarchais, de Musset et de Molière. Le cinéaste l’évoqua plus tard dans les termes suivants: « C’est un film de guerre, et pourtant pas une allusion à la guerre n’y est faite. Sous son apparence bénigne, cette histoire s’attaquait à la structure même de la société. » (L.D.)

Fritz Lang. Le démon en nous

Documentaire-fiction de Gordian Maugg. Avec Heino Ferch, Thomas Thieme, Samuel Finzi, Johanna Gastdorf. ***(*)

Ce lundi 1er mai à 22h35 sur Arte.

M le Maudit est le premier film parlant du cinéaste Fritz Lang. Il traduit la fascination du réalisateur de Métropolis pour la série de faits divers qui ont plongé la ville de Düsseldorf dans l’horreur en 1929 – un tueur en série, Peter Kürten, surnommé « le vampire », tue femmes et enfants aux ciseaux dans un chapelet de meurtres macabres. Le démon en nous raconte dans un style emprunté à son sujet la manière dont le cinéaste au monocle, en pleine crise artistique à la fin du muet, va être fasciné par l’image du monstre et s’emparer des passions de l’âme et du corps pour écrire un des sommets du cinéma. Radioscopie d’une oeuvre hantée, perturbée et troublante, qui râcle le fond noir et gras de la psyché de l’entre-deux-guerres, avec ses possibles lacérés et son horizon de mort, cet objet filmique étrange et dérangeant ménage quelques crescendos enfiévrés, allie finement images et musique, et propose d’observer au plus près l’irruption douloureuse d’un chef-d’oeuvre éternel. (N.B.)

I Pay for Your Story

Documentaire de Lech Kowalski. ***(*)

Ce lundi 1er mai à 0h15 sur Arte.

I pay for your story. Je paie pour votre histoire. Cette proposition pas vraiment malhonnête, Lech Kowalski l’a écrite sur sa carte de visite et accrochée sous la forme d’une enseigne lumineuse rouge et bleue sur la terrasse d’un appartement d’Utica. Cette cité sinistrée de la côte Est américaine où il a jadis passé son adolescence. Comme nombre des petites et moyennes villes de la « ceinture de rouille », Utica a payé au prix fort le déclin industriel. Le rêve américain s’y est depuis longtemps envolé. Il s’est même transformé en cauchemar pour ceux qui y sont restés. Célèbre pour ses documentaires polémiques -il a commencé sa carrière en suivant la tournée américaine de 1978 des Sex Pistols (D.O.A.) et dénonçait récemment l’exploitation du gaz de schiste (Holy Field, Holy War)-, le réalisateur underground d’origine polonaise est retourné se promener dans cette ville démembrée et gangrenée par la pauvreté… Contre rémunération (deux fois le salaire minimum), il filme les habitants qui sont prêts à lui raconter leur histoire. La drogue qu’on vend à 12 ans pour faire vivre ses frères et soeurs quand les parents sont déjà trop défoncés pour s’en soucier… Les abus dont on est victime dès le plus jeune âge. Puis la prison où beaucoup des laissés-pour-compte finissent par échouer. Le quotidien tragique d’une ville sans boulot. « Il n’y a pas de job à Utica. Donc ‘faut trouver un moyen de s’en sortir. » Et pour beaucoup ici, ça a été la coke, le crack… Certains sont même prêts à gentiment violer la loi pour retourner en prison et ne pas terminer comme un chien dans la rue sans pouvoir se payer un médecin. Kowalski donne la parole aux sans-voix et il y a de quoi en rester muet. (J.B.)

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