Entretien avec Kevin Bacon, au four et au moulin de la saison 2 de City on a Hill

"L'état d'esprit de Jackie est resté coincé dix, 20 ans en arriére. C'est pour cela que je lui ai infligé une moustache, alors que franchement, les moustaches dans les années 90..." © showtime
Nicolas Bogaerts Journaliste

Après avoir joué les totems du désir dans I Love Dick de Joey Soloway, Kevin Bacon est revenu en télé dans City on a Hill. Un récit historique, policier et tendu, dont la seconde saison est inondée par sa faconde géniale.

Son nom est un rugissement: Jackie Rohr, agent du FBI corrompu jusqu’au mégot des clopes qu’il fume à la chaîne et lui donnent cette voix éraillée et outrancière, est un de ces rôles complexes dont raffole Kevin Bacon. L’acteur prolonge sa prolifique carrière dans la série politico-policière City on a Hill, qui chronique la difficile rédemption de Boston au début des années 90, avec cet enfoiré majeur. Majeur, comme le doigt qui pointe au creux de chaque regard porté à son vis-à-vis, le sémillant Aldis Hodge dans la peau du procureur DeCourcy Ward. Enfoiré, mais terriblement excitant à regarder tant il incarne avec verve, dans cette deuxième saison, la ringardisation du beauf sexiste, raciste, passéiste et gorgé de poudre. Mais gare au félin qui retombe sur ses pattes, et qui en a toujours sous le capot. Du reste, Kevin Bacon, bientôt 63 ans, musicien et tik-toker accompli, s’avère à l’écran aussi dangereux qu’il est affable, doux et généreux dans l’exercice délicat et distant de l’entretien par écran interposé.

Recréer avec City on a Hill un passé assez proche et que vous avez vu de près, est-ce une occasion de le revisiter sous un nouvel angle?

Ouais, c’était très bizarre, après avoir un peu roulé ma caisse depuis quatre décennies, de penser que City on a Hill puisse être une série historique. Mais elle l’est, quelque part, même si ça ne percutait pas dans mon esprit. C’est une période intéressante à revisiter, un moment assez cool dans notre Histoire récente. D’abord, parce que ça m’intéresse de me replonger dans des interactions dépourvues de tous canaux numériques. Il aura fallu attendre la fin de la première saison pour que Jackie sorte un énorme téléphone portable et commence à s’en servir. C’était alors une manière différente d’appréhender le monde et il a fallu nous réhabituer au fait qu’on se parlait plus régulièrement en vrai. Lorsque j’ai commencé à bosser le personnage de Jackie, je me suis rendu compte que, même si tout se passe dans les années 90, c’est déjà un ancien, un rétrograde. Son état d’esprit est resté coincé dix, 20 ans en arrière. C’est pour ça que j’ai décidé de lui infliger une moustache, alors que franchement, les moustaches dans les années 1990… Les mecs de son âge dégageaient plus la nuque aussi. Je voulais qu’on voie que ce type est un vestige d’une époque passée, et qui ne se laissera pas pousser vers le futur sans crier ni taper du pied. Il préfère de loin le statu quo. Il aime le pouvoir que lui conférait la vie d’avant.

Ce type de personnage très sombre, vous en avez incarné quelques-uns durant votre carrière. Quel plaisir y trouvez-vous?

On dit souvent que les mauvais sont des personnages plus jouissifs à jouer. Ce n’est pas nécessairement vrai. J’ai autant de plaisir, si on peut dire, à jouer ce type de personnage que d’autres plus intègres. Le vrai curseur se situe au niveau de la complexité et Jackie est un être complexe. Il a des zones d’ombre et de fragilité qui remontent particulièrement à la surface cette saison. C’est un merdeux, un bravache, un menteur patenté. Pratiquement tout ce qui sort de sa bouche est douteux. Son théâtre, c’est la rue, mais c’est aussi une sorte de self-made man très intelligent, incroyablement cultivé. Il a indubitablement une part d’ombre, mais c’est ce côté imprévisible et verbeux qui le rend si fun à jouer. En plus, cette saison, j’ai l’occasion de le rendre un peu plus humain. Il est amené à se dévoiler un peu plus, et il le fait de manière assez émotionnelle. Qu’il soit une telle merde, un menteur raciste et drogué doublé d’un coureur de jupon -sans même aller au bout de la liste de tous les trucs dégoûtants qu’on peu lui reprocher- m’attire parce que j’ai besoin quelque part de m’assurer qu’il reste tout de même un être humain. Les monstres, c’est pour les films de monstres. Là, on a de la chance de faire une série sur de vraies personnes.

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Dans cette seconde saison, Jackie fait tout pour ne pas être mis sur la touche. Il veut rester dans le coup, alors que plus personne ne veut de lui. Pourquoi s’acharne-t-il?

C’est le genre de gars qui se nourrit du danger et de l’excitation que ça lui procure. Sa situation n’en manque pas. Tant d’années à garder un oeil dans son dos et une main sur son flingue, ça le maintient vivant en quelque sorte. Pour lui, la simple idée de la retraite équivaut à s’émasculer, à mettre un pied dans la tombe. Je pense qu’il s’accroche à une certaine idée de la masculinité et de son pouvoir. Peut-être un jour acceptera-t-il de changer, à condition que le choix lui revienne et non de se laisser imposer quoi que ce soit. Si on le pousse dans un sens, il poussera dans l’autre.

Son côté rétrograde s’illustre particulièrement dans son rapports aux femmes. Vous qui avez eu une place de choix dans le casting de I Love Dick, série très politique sur le désir féminin, comment percevez-vous son attitude?

Il est comme ça. Dire de son comportement qu’il est cavalier serait un euphémisme pour un misogyne comme lui. Mais c’est ce qui, quelque part, le rend intéressant cette saison. J’en ai beaucoup discuté avec les scénaristes afin de parvenir à incarner Jackie d’une manière qui soit tout aussi intéressante pour moi que fidèle à leur histoire. Il peut être très patriarcal, misogyne, et à d’autres moments se retrouver malmené par les femmes qui l’entourent, notamment dans sa propre maison. Cette saison développe la façon dont les relations avec sa femme Jenny (Jill Hennessy) et sa fille se transforment, après que sa belle-mère a quitté la maison, et combien il réalise, tard, les sentiments qu’il a pour elles. Il voit le lien qui se tisse entre elles et il regrette de s’être mis à l’écart de ça. Une telle situation, plus friable, est intéressante à explorer, de même que sa relation avec sa supérieure, Karen Shimizu (Keiko Elizabeth), qui prolonge cette dynamique.

Il ne paraît plus aussi indestructible et imperméable aux coups qu’en première saison?

Il est beaucoup plus vulnérable maintenant, c’est une certitude. Il a une quantité de cadavres dans le placard, mais là, depuis la fin de la première saison, il en a littéralement sur les bras. Disons que son boulot et sa sécurité sont dans la balance et qu’un tas de gens seraient très heureux de pouvoir l’éjecter ou de le voir tomber. Le sol est devenu très glissant. Il tente bien de recycler ses vieilles combines, les femmes, la coke, son côté chien fou, mais ça ne prend plus vraiment. Ça tourne même plutôt mal. Et il réalise tout de suite qu’une fois de plus il est allé trop loin, qu’il s’est mis dans la merde. Mais c’est un animal qui finit toujours par retomber sur ses pattes. Et c’est entre autres ce qui rend cette série si excitante à regarder, et à jouer: montrer jusqu’où un personnage peut aller et comment malgré tout il parvient à s’en tirer parce qu’il maîtrise le système. C’est ce qui le rend heureux, à sa manière.

L'agent du FBI Jackie Rhor (Kevin Bacon) et le procureur DeCourcy Ward (Aldis Hodge) mettent un peu de vin mauvais de l'un dans l'eau de vie poisseuse de l'autre.
L’agent du FBI Jackie Rhor (Kevin Bacon) et le procureur DeCourcy Ward (Aldis Hodge) mettent un peu de vin mauvais de l’un dans l’eau de vie poisseuse de l’autre.© showtime

Le premier épisode pose cette question lancinante, justement: vaut-il mieux être honnête ou être heureux? Est-ce une question que vous vous posez? Et avec quelle réponse?

Waouh, sacrée bonne question. J’aimerais pouvoir dire que, dans ma vie, j’ai l’équilibre entre les deux. Tout dépend de quel côté se place la notoriété, pas vrai? (rires) Cette course après la célébrité, l’argent, je ne voudrais surtout pas qu’elle prenne le pas sur mon bien-être. Et mon bien-être prend racine dans la famille, l’amour, les amis et un certain sens de l’honnêteté. OK, d’accord, j’ai choisi d’être plus heureux que juste (rires).

Le langage de Jackie est très bostonien, très fier-à-bras: il mélange les blagues, les références culturelles et politiques, les citations, les images outrancières et l’argot de rue. C’est quelque chose que vous avez dû travailler?

J’adore le fait que ça participe de qui il est. Avant ça, j’avais pris l’habitude de jouer des types plutôt taciturnes -ce qui est aussi un challenge en soi. Pour Jackie, au bout des deux premières pages de dialogue, ou plutôt de monologue, j’ai vu que ce type était incapable de la fermer. Scène après scène, c’était même de plus en plus manifeste. Cette logorrhée était quelque chose de très nouveau pour moi, qu’il fallait que j’explore. Les dialoguistes ont pondu toutes ces références, ont trouvé des citations dont, pour la plupart, j’ignorais tout. C’est bien simple: les premiers mois, je n’ai fait que googler des expressions, questionner les auteurs à propos des références sportives, historiques, politiques… J’ai adoré ça. Parce que partir en roue libre, en élucubrations et retomber sur ses pattes, c’est Jackie en plein. Pour un acteur, c’est le pied absolu.

Même si elle est centrée sur des événements qui se sont déroulés dans les années 90, pourquoi pensez-vous que City on a Hill résonne autant avec ce qui se déroule aujourd’hui aux États-Unis ou ailleurs?

Les faits sont historiques, mais les personnages sont fictionnels. C’est ce qui donne, à mon avis, une forme d’intemporalité au récit. Précisément, ce qu’on a appelé le « Miracle de Boston » à l’époque, c’est un changement radical vers plus de paix sociale après ce climax de violence décrit dans City on a Hill. Si on la regarde comme une série historique sur une période révolue et qu’on la compare à aujourd’hui, on devrait pouvoir être satisfait à l’idée qu’on en a fini avec le racisme systémique et la corruption. Or, j’ai plutôt l’impression qu’on se dit « mais bon sang, est-ce qu’on a vraiment changé? ». Je n’ai pas de réponse à cette question. Mais le simple fait de se la poser…

City on a Hill (saison 2)

Série créée par Chuck MacLean. Avec Kevin Bacon, Aldis Hodge, Jill Hennessy, Siobhan Quay. ****

Le samedi à 20h30 sur BE Séries.

Entretien avec Kevin Bacon, au four et au moulin de la saison 2 de City on a Hill

Malgré sa proximité temporelle et thématique avec les années 2020, la série produite par les fils prodigues de Boston Ben Affleck et Matt Damon se conçoit dans sa dimension historique. Démarrée en 1992, la chronique du « Miracle de Boston » qui a sorti la ville de la violence endémique et de la corruption est un récit qui éclaire le marigot contemporain. Dans une dynamique policière et une aura de film noir mieux huilée que la précédente, la nouvelle saison poursuit la dissection de ce corps social malade: racisme, sexisme, organisation clanique, vénalité post-reaganienne sur fond de spéculations morbides et d’épanouissement, aux yeux du grand public, du phénomène des gangs. Le système résiste plus ou moins mal aux changements administrés. Un an après une première enquête qui avait allié leurs intérêts contraires, le procureur DeCourcy Ward (Aldis Hodge) et son repoussoir, l’agent du FBI Jackie Rhor (Kevin Bacon), sont plus ou moins mis au placard. Les appuis de circonstances dont bénéficie Rohr se délitent les uns après les autres et sa vie de famille dévisse. Il rôde dans les marges du service à la recherche d’une faille pour revenir dans le game. Ward, de son côté, est écarté des grandes enquêtes et voit dans une guerre des gangs naissante l’occasion de se refaire. Quitte à franchir les limites de son éthique personnelle et de son devoir civil. Les meilleurs ennemis vont mettre un peu du vin mauvais de l’un dans l’eau de vie poisseuse de l’autre pour tenter de sauver ce qui peut l’être alors que le grand nettoyage a commencé, repoussant dans le suburbain gangrené les populations noires paupérisées. Les prémices de ce que David Simon a analysé dans The Wire y sont exposées, de manière moins efficace mais non sans une certaine acuité et un grand sens du rythme funky. Des trajets parallèles puis sécants de Rohr et Ward émergent une fameuse tension dramatique et des dialogues savoureux. Les deux acteurs et leur entourage direct (notamment Jill Hennessy dans le rôle de Jenny, la femme bafouée de Rohr) rivalisant de talent pour concentrer tous les conflits et non-dits qui irriguent la ville et abreuvent les agents de sa division.

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