À la recherche du nouveau Shōgun sur Disney+

Le marin anglais John Blackthorne (Cosmo Jarvis) immergé dans un Japon encore méconnu de l'Occident. © Disney+
Nicolas Bogaerts Journaliste

Shōgun version FX/Disney+tire bien meilleur parti du roman de James Clavell que la série de 1980. Il offre une fable géopolitique équilibrée, rigoureuse, doublée d’un spectacle grandiose et palpitant.

Shōgun, le roman de James Clavell sorti en 1975, et son adaptation en télé cinq ans plus tard ont rencontré un immense succès. La série, portée par Richard Chamberlain, est devenue un phénomène, un modèle de télé prestige. Le récit, devenu iconique et d’une influence considérable, était celui de John Blackthorne, marin échoué au large du Japon, aux prises avec une culture qu’il méconnaît totalement, et avec l’église catholique en pleine tentative d’OPA sur l’archipel. L’épopée initiatique de son ascension auprès du seigneur Yoshii Toranaga, qui en fait son allié de circonstance pour faciliter son accession au pouvoir suprême, a entrouvert les yeux de l’Occident sur la société nippone. Pourtant, des pans entiers de dialogues en japonais n’y étaient même pas traduits ni sous-titrés, laissant l’impression, a posteriori, d’un récit un rien ethnocentré. S’attaquer à un tel monument était donc nécessaire aux yeux de Justin Marks (scénariste de Top Gun: Maverick, créateur de Counterpart avec J.K. Simmons) et Rachel Kondo, auteurs de cette nouvelle mouture pour FX et Disney+. Leur Shōgun est un spectacle visuel absolument abouti. Réflexion minutieuse et accessible sur la géopolitique et l’équilibre des représentations, porté par un casting virtuose, il jette les bases d’un nouveau modèle de storytelling, qui ne perd rien, bien au contraire, de sa dimension spectaculaire.

La première adaptation télévisuelle de Shōgun était surtout centrée sur le regard que John Blackthorne, marin anglais protestant, portait sur la société japonaise. Il était temps de changer de perspective et d’équilibrer le propos?

Justin Marks: La série de 1980 était effectivement marquée par ce regard d’homme blanc sur les événements économiques, politiques et religieux de la société japonaise du XVIIe siècle. Il nous semblait important d’élargir le point de vue, la focale. James Clavell l’avait fait dans son livre en 1975, d’ailleurs. Tout y était déjà, mais n’a pas pu être porté à l’écran. Tous les dialogues en japonais n’avaient pas été traduits et sous-titrés en anglais dans la version originale. Aujourd’hui, les mentalités et les connaissances ont évolué. On n’est plus, non plus, dans l’obligation de coller à la ligne d’une chaîne de télé généraliste, plus limitante. Sur une chaîne câblée, on peut lâcher la bride.

Anna Sawai dans le rôle de Lady Mariko.
Anna Sawai dans le rôle de Lady Mariko. © National

Rachel Kondo: On avait donc l’opportunité de changer de focale, de montrer, sans se limiter au personnage de Blackthorne mais de plusieurs points de vue différents, ce que signifie la rencontre entre des cultures différentes, et à quel point, en retour, l’altérité permet de se découvrir. C’est une histoire qui résonne encore très fort aujourd’hui.

Une œuvre de fiction est le fruit de son époque. En 1980, le contexte était particulier: une fascination mêlée de curiosité pour la société japonaise, alors en plein miracle économique. En 2024, quelles représentations sous-tendent votre version?

R.K.: En 1980, la société japonaise était surtout, encore, une terra incognita pour l’Occident. L’idée du miracle japonais, d’une nation économiquement puissante, compétitive, dominante, était en réalité aussi une projection de l’Occident, de son prisme, de ses valeurs.

J.M.: Aujourd’hui, justement l’approche est tout autre. Les mentalités, notamment autour de la perception du phénomène colonial, ont changé. Il est plus aisé de raconter le rapport entre l’Orient et l’Occident non plus avec un regard ethnocentriste, mais un regard généreux sur la rencontre souvent difficile entre deux cultures radicalement différentes. Mais qui portent en elles, toutes deux, des racines violentes, une lutte pour le pouvoir politique ou économique sous le couvert de la religion. Nous avons saisi l’occasion d’aborder ces questions car il était temps, aussi, de réévaluer la manière dont nous racontons ces histoires-là.

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Vous avez tenu à rendre toute la complexité de l’époque: les institutions et les codes moraux propres au Japon, la géopolitique, les enjeux économiques liés à la présence des Européens -Anglais, Portugais, Espagnols- et les questions de religion. Comment avez-vous procédé?

R. K.: On n’aurait jamais été capables de reconstituer seuls une telle épopée. Nous avons eu la chance de pouvoir réunir une immense équipe, chapeautée par nos co-producteurs japonais Hiroyuki Sanada et Eriko Miyagawa. Un ensemble d’une grande diversité, composé d’historiens de l’université de Kyoto, des spécialistes de la langue, des idiomes, de l’Histoire militaire ou du costume. Toutes ces personnes ont supervisé, conseillé de manière formidablement minutieuse chaque étape du récit, corrigé certains anachronismes qui avaient échappé à James Clavell. Et puis l’écriture de pans entiers du scénario et des dialogues s’est faite avec des allers-retours entre l’anglais et le japonais, pour conserver toute l’authenticité et éviter les biais.

J.M.: Tout cela était nécessaire car le moment qui est dépeint est effectivement très complexe. C’est une ère de recomposition politique, juste avant l’époque d’Edo. Il n’y a pas ou peu de lois, mais des relations très féodales, des alliances volatiles ou opportunistes, une violence qui peut éclater à tout moment.

Justement, parlons du traitement de la violence. Si elle était très présente dans la version de 1980, elle est ici plutôt furtive ou hors-champ, en tout cas très ponctuelle. Pourquoi ce choix?

R.K.: Aucun de nous deux n’aime la violence. On a tendance à vouloir l’éviter. Pourtant, il fallait bien figurer celle qui habite l’époque. Alors on s’est fixé une règle: si le récit exige de la montrer, alors il faut qu’elle soit choquante et fulgurante. Qu’elle offusque plutôt qu’elle ne fascine. Même quand il ne s’agit que de spectacle, il faut craindre la violence et non pas s’en réjouir.

Shōgun ****, une série créée par Justin Marks et Rachel Kondo. Avec Cosmo Jarvis, Hiroyuki Sanada, Anna Sawai. les deux premiers épisodes disponibles dès le 27/02 sur Disney+.

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