Twitch, génération post-YouTube

Au Meltdown à Liège © M.-H.T.
Michi-Hiro Tamaï Journaliste multimédia

Racheté 749 millions d’euros par Amazon, Twitch propulse le jeu vidéo à l’heure du direct sur la Toile. Le phénomène e-sport bars booste aussi la tendance. Explications à l’occasion de l’ouverture du Meltdown à Liège.

Les deux mains ouvertes et dressées vers le ciel, une mama affable s’étonne face à un roi de la sape. Devant son épicerie, une foule de gamers défilent. Des cosplays aussi, parmi lesquels une viking et une fan de Star Wars moulée dans une robe R2D2. La scène, plantée rue Léopold, QG africain de Liège, avait de quoi détonner vendredi dernier. Toute l’après-midi, une file grossissait ainsi devant le Meltdown jusqu’à atteindre une cinquantaine de mètres quelques temps avant son ouverture. Derrière le lancement de ce bar e-sport, l’irrépressible ascension de la notion de direct dans les sports électroniques et le jeu vidéo en général, également dopée par le phénomène Twitch.

Il y a moins d’un mois, Amazon rachetait cette plateforme de streaming dédiée aux gamers pour 749 millions d’euros. Derrière ce YouTube du jeu vidéo, l’idée de diffuser en direct sa partie tout en commentant ses moindres faits et gestes au micro ou face à sa webcam. « Le Meltdown, c’est une étape après Twitch », lance, fébrile, Anand Ishu, co-fondateur du Meltdown Liège. « On ne regarde plus un match d’eSports League avec deux potes, chez soi, mais on se déplace dans un bar dédié. » Un peu comme le ferait le fan d’un footballeur dans un stade avec, en bonus, la possibilité d’aller jouer sur le terrain.

Au Meltdown de Liège, une dizaine de figures internationales de l’e-sport (dont Jang « MC » Min Chul et Stephano) attisent la foule. Les matchs des champions invités pour l’événement sont commentés en direct par des présentateurs vedettes. Le tout, géré par une régie au sous-sol où deux techniciens s’affairent. Des cocktails comme le Jetpack ou le Tri Force lancent des clins d’oeil aux gamers. La recette roule. Présent à Paris, Londres et Berlin, le Meltdown court d’ailleurs de ville en ville depuis deux ans.

La file devant le Meltdown Bar.
La file devant le Meltdown Bar.© M.-H.T.

Comme les disquaires, les magasins de jeu vidéo ferment leur portes. Mais les lieux dédiés à des événements ludiques en direct ont la cote. Six villes ont ainsi vu des franchises fleurir en France. Lille et Liège ont marqué cette rentrée. Et si le concept vogue entre stade de foot et café des sports (à l’américaine), « le fait que la communauté de l’e-sport soit très soudée permet de rassembler des supporters de grosses équipes différentes dans une même soirée », lâche Sophia Metz « Foxy », co-fondatrice de la franchise Meltdown. « De nombreux gamers grandissent mais n’ont plus vraiment le temps de jouer, ils viennent donc ici pour regarder des retransmissions ensemble. »

Née aux USA via le phénomène des barcrafts qui voyait des fans de StarCraft se réunir ponctuellement dans des bars pour y regarder des matchs, la vague Meltdown offre à l’e-sport un relais supplémentaire à sa diffusion. Un point en plus pour cette discipline qui permet, comme un sport classique, de rentrer à l’université aux USA ou d’y obtenir un visa. Mais ces lieux de rencontre ne sont pas les seuls à favoriser la notion de live dans les jeux vidéo. Dimanche dernier, qui se connectait sur Twitch pouvait ainsi voir que le total des visionnages de parties en direct sur League of Legends atteignait 134.313 spectateurs, devant Counter Strike Global Offensive et Defense of the Ancients 2 qui totalisaient respectivement 84.000 et 47.023 spectateurs.

Master class pour tous

« Pour moi, Twitch a désormais remplacé la télé », note Berkan Galeli, ex-e-sportif de haut niveau sur StarCraft II et employé au BotKamp à Saint-Gilles. « Quand je n’ai pas envie de jouer, je vais regarder comment d’autres gamers déploient leurs stratégies sur StarCraft II pour progresser. La clef de ce site, c’est que l’on peut directement chatter avec ces sportifs pros. Ils réagissent en général très rapidement. » Améliorer son style de jeu comme le ferait un joueur de tennis amateur avec une webcam harnachée à Roger Federer commentant son entraînement: la promesse Twitch ne couvre pas que la technique.

Tels des animateurs télé trash, certains streamers se sont ainsi forgé une réputation pour leur talent à exprimer en direct les états d’âme invisibles, primaires et jubilatoires que de nombreux joueurs vivent en silence face à leur écran. « J’aime leur tirer dans le cul », hurle avec panache EdEMonster sur Destiny, nouveau first-person shooter de Bungie (les créateurs d’Halo). Certains montrent leur technique et amusent la galerie. D’autres tentent des exploits en direct. StreamerHouse draine ainsi 4000 viewers pour le marathon de 200 heures qu’il effectue sur Destiny.

« Mais c’est aussi une plateforme de promotion extraordinaire », précise Jean-Michel Vilain, co-créateur de Faëria, jeu vidéo belge en développement qui recevait 72.000 euros de financement sur Kickstarter l’année dernière. « Lorsque TorNis, un célèbre twitcher, a commencé à diffuser des parties de notre jeu, d’un coup, 1000 personnes se sont mises à le regarder et ont découvert notre création. Cela a aidé à nous faire connaître. » Hyper dynamiques, créatifs et gorgés d’une énergie rare, Twitch et sa communauté cultivent aussi leurs zones d’ombres. Loin de l’altruisme participatif, le site encourage ainsi la donation d’argent envers ses meilleurs streamers.

Tarababcock
Tarababcock© capture d’écran Twitch

Au début de cette année, Summit1G récoltait par exemple 15.500 euros sur une seule partie de 24h livrée dans Titanfall. Certaines gameuses comme Biiotch et Tarababcock jouent, elles, du décolleté plongeant et du Booty Shake pour attirer les likes et les billets. Mais gare aux critiques maladroites. Sur le Grand Journal de Canal Plus, Mathilde Serrell et Antoine De Caunes se moquaient ainsi du phénomène Twitch, avançant que les streamers s’y livraient à une activité pathétique et parlant de « désolation totale ». Les insultes envers le duo ont immédiatement fusé sur Facebook et Twitter tandis qu’une pétition en ligne demandant des excuses à la communauté a recueilli 70.000 votes. De Caunes les a finalement présentées via Twitter puis à l’antenne. Mais la violence -disproportionnée- de la réaction effraye. Le politiquement correct et l’auto-censure dictés par les communautés d’internautes les plus actives gagnent du terrain. Game over pour la liberté d’opinion?

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