« Return to Monkey Island »: quand le gaming retrouve le sourire

© National
Michi-Hiro Tamaï Journaliste multimédia

Roi de la blague barge dans les années 90, Monkey Island reprend la mer dans un océan gaming qui ne rigole plus beaucoup. Décryptage aux côtés de Baudelaire Welch, narrative designer éclairée.

En août dernier, à la Devcom, en marge de la Gamescom de Cologne, Baudelaire Welch, diplômée en littérature anglaise à l’université d’Oxford et fan de satires et de comédies, animait une conférence intitulée L’Histoire tragique de la comédie dans les jeux vidéo. Car le constat est là: si elle a fleuri dans de nombreux point & click des années 80 et 90 – on citera Space Quest, série en six épisodes développée par Sierra entre 1986 et 1995 qui tournait en dérision les classiques de la SF, ou Day of the Tentacle, qui voyageait dans le temps avec un hamster, où l’adaptation gaming des cases comics de Sam & Max-, la comédie ne donne aujourd’hui plus aucun signe de vie dans les jeux vidéo de consommation courante. Dans cet horizon morose, la sortie événement de Return to Monkey Island (lire la critique plus bas), suite d’un monstre sacré du genre, fait figure d’exception notoire. Bonsoir tristesse?

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Plusieurs facteurs expliquent le déclin de l’humour en tant que force motrice principale de certains jeux, depuis les années 80 et 90, souligne Baudelaire Welch, qui a déridé en tant que narrative designer le récit du génial RPG Crusader Kings III. L’absurdité était un cache-misère nécessaire dans ces jeux à la technique hasardeuse à l’époque. Mais ce déclin est aussi dû au fait qu’une frange de ces jeux comiques se sont tiré une balle dans le pied en étant sectaires et agressifs. Sortir un jeu comme Leisure Suite Larry, Conker’s Bad Fur Day ou Duke Nukem ne passerait plus du tout aujourd’hui.

Sexe, mensonges et jeux vidéo

D’aucuns objecteront que les remarques acerbes de l’intelligence artificielle de Portal 2 et la physique pétée d’Octodad ou Surgeon Simulator ont fait naître pas mal de sourires (et de vues sur YouTube) ces dernières années. Récemment, Ron Gilbert a de son côté lâché Thimbleweed Park, une enquête d’homicide lorgnant X-Files et les Monty Python. Mais pour le gamer, trouver l’équivalent d’un Mike Judge (Beavis & Butt-Head, Idiocracy) ou d’un Adam McKay (Anchorman, Talladega Nights, Don’t Look Up…) derrière les manettes est impossible.

L’humour n’est en effet pas pour autant mort dans le jeu vidéo, confirme Baudelaire Welch. Il a simplement évolué vers de nouvelles formes innovantes. Depuis The Stanley Parable, une série de jeux s’amuse ainsi à briser le quatrième mur en se moquant subversivement du joueur. Au-delà de cette famille, une catégorie de jeux que je définis comme burlesques offre volontairement une prise en main hasardeuse de leurs personnages, pour accoucher de situations chaotiques.Gang Beasts, I Am Bread, Goat Simulator et les acrobaties sans jambe de Heave Ho illustrent à merveille ces jeux à la prise en main chaotique. Baudelaire Welch, qui détaillait dans Crusader Kings III comment des éléments insignifiants de la vie privée d’un monarque médiéval pouvaient avoir des conséquences absurdes sur ses sujets, souligne que “ces jeux à la physique détraquée valorisent un humour beaucoup plus universel”. “Mais ils n’auront jamais la portée et l’attrait émotionnel du récit satirique d’un Monkey Island.

Par sa prise en main chaotique, la série Goat Simulator a de quoi dérider le plus sérieux des joueurs. © National

Se jouant de préférence à plusieurs, la plupart de ces jeux nourrissent en outre un nombre incalculable de Let’s Play tout sourire, sur des streams Twitch et des vidéos YouTube. Et la communauté Reddit s’invite elle aussi dans la partie. “Mon travail d’écriture comique sur Crusader Kings III ne se prêtait pas à ce genre de mise en scène sur YouTube. Malgré ça, il continuait à exister au-delà du jeu sur Reddit”, conclut la narrative designeuse. “Des joueurs y postaient des détails marrants du jeu, ce qui se soldait parfois par des foires d’empoigne, notamment sur la nature contrefaite ou non d’Excalibur, une arme légendaire du jeu et surtout une arnaque royale monumentale. J’aime vraiment confondre les gens, les mettre -gentiment- mal à l’aise.” Les commentaires des réseaux sociaux, une mine d’or burlesque sous-exploitée dans le jeu vidéo…

La critique: Return to Monkey Island ****

Édité par Devolver Digital/Lucasfilm Games et développé par Terrible Toybox, âge: 12+, disponible sur Linux, Mac, PlayStation 5, PC, Nintendo Switch, Xbox Series.

Les come-back d’anciennes gloires du jeu vidéo ne sont pas toujours heureux, comme en témoigne Too Dark (2017) de Frédérick Raynal (le père d’Alone in the Dark). Auteur des très recommandables The Cave et Thimbleweed Park, Ron Gilbert semble immunisé contre cette malédiction. Trente ans après son Monkey Island 2: LeChuck’s Revenge, le pape des point & click remet en selle avec le sourire le personnage de Guybrush Threepwood sur Return to Monkey Island. Le pirate d’eau douce tente d’y appareiller un galion pour une course au trésor risible et futile face à LeChuck, son meilleur ennemi.

Des subsides publics pour une expédition pirate, un entretien d’embauche insultant l’expérience de Guybrush, un conservateur de musée imbu de sa connaissance de la piraterie… Les thèmes, les situations et les dialogues de cette nouvelle cuvée ravissent, sans avoir pris de ride. Gilbert jongle avec des protagonistes aux passions loufoques bloquant souvent le passage du gamer pour des raisons futiles. Ces ressorts comiques connus font encore mouche.

S’il tourne le dos au pixel art, Return to Monkey Island n’en respecte pas moins l’influence de l’expressionnisme allemand qui marquait ses prédécesseurs. Notons enfin que ses énigmes (logiques!) à base d’objets à trouver et à combiner ont subi une modernisation ergonomique bienvenue, surtout à la manette. Une bonne cuvée donc.

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