Le festival de Cannes l’a prouvé: le cinéma a encore de l’avenir

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Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Avec un peu de recul, quel leçon tirer du dernier festival de Cannes? On s’attendait à une édition morose vu la crise que traverse le secteur. Des chiffres de fréquentation en hausse dans les salles et des films qui embrassent les sujets les plus sensibles avec audace ont prouvé que le cinéma a encore de l’avenir.

Le festival de Cannes a plié bagage il y a dix jours. L’heure est à l’analyse systémique. Alors qu’on redoutait une 76e édition plombée par la crise que traverse le cinéma et les polémiques qui font jaser et éclipsent les enjeux artistiques (comme la présence du controversé Johnny Depp dès le premier jour), à l’arrivée, les motifs de satisfaction l’emportent sur le blues existentiel. Un vent d’optimisme a même soufflé dans les voiles du 7e art. Les fossoyeurs ont pu ranger leurs pelles, le cadavre bouge encore et ne sera pas enterré cette année sur la plage du Martinez…

Il y avait pourtant des raisons de broyer du noir à la veille de la quinzaine. Toujours en convalescence depuis le séisme du Covid, l’industrie peine à retrouver son rythme de croisière. Scotchés à leur canapé pendant les confinements successifs, beaucoup d’amateurs ont chopé le virus Netflix, se convertissant en masse à la livraison de fictions à domicile. Un changement d’habitude encore aggravé par une autre peau de banane glissée sous le pied des cinéphiles: le format série a souvent remplacé le long métrage dans les cœurs, histoire de faire durer le plaisir. Quitte au passage à sacrifier la qualité à la quantité. D’où ce goût de glutamate persistant dans bon nombre de productions étiquetées Prime, Netflix ou Disney.

L’étoile de la séance sur grand écran -et l’expérience collective qui va avec- semblait du coup pâlir irrémédiablement au point de menacer l’avenir des salles, dont la fréquentation en 2021, première année presque normale après l’épidémie, restait à des années-lumière -comme les frères…- des scores de 2019: 831 millions de spectateurs dans l’Union européenne en 2019 contre… 320 seulement en 2021 selon l’European Audiovisual Observatory. Une chute libre ouvrant la voie à des interrogations sur l’avenir. Plusieurs films présentés sur la Croisette se sont d’ailleurs fait l’écho de ces inquiétudes, notamment du côté de Nanni Moretti et de Michel Gondry.

Il n’en fallait pas plus pour que certains préparent déjà les faire-part. D’autant que la grève générale des scénaristes en cours à Hollywood depuis début mai est venue encore assombrir le tableau, même si pour une fois, tout le monde -plateformes comprises- est sur pied d’égalité ici puisque ce sont les mêmes plumes que l’on retrouve à tous les étages de l’industrie audiovisuelle.

Mais il faut croire que le cinéma est un phénix qui ne s’avoue jamais vaincu. Faisant démentir les prévisions, 2022 a ainsi vu le public retrouver timidement le chemin des salles obscures. Les raisons de ce retournement de situation quasi inespéré? Un mix entre des madeleines qui ont cartonné au box-office (Top Gun, Avatar…), un trop-plein de comédies et de thrillers sans âme sur les plateformes de streaming et enfin un regain d’intérêt pour des films d’auteur grand public locaux comme Close, ce qui a permis aux salles art et essai de remonter la pente plus vite que les grands complexes dépendant de l’équation pop-corn et blockbusters américains. Or, en misant ad nauseam sur les franchises de super-héros, ce modèle a fini par s’essouffler.

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Ce qui nous ramène à Cannes, irréductible village du cinéma de caractère. Comme on le lira dans le compte rendu détaillé de nos envoyés spéciaux, la résistance du 7e art passe aussi et peut-être surtout par sa capacité à embrasser sans chichi les sujets les plus sensibles (le racisme, les dessous du couple ou l’exclusion sociale) et à explorer encore et encore, au risque de la polémique, de nouvelles formes esthétiques. Illustration parfaite avec le sidérant The Zone of Interest de Jonathan Glazer, Grand Prix du Jury, qui cumule vertigineuse réflexion sur la banalité du mal chère à Hannah Arendt et stupéfiante rigueur formelle. Deux enjeux que l’on retrouve seulement à dose homéopathique dans la foisonnante production, calibrée pour plaire au plus grand nombre, des nouveaux califes de nos loisirs numériques.

L’enjeu -moral- du cinoche est aussi celui-là, au-delà de l’attachement affectif à un art populaire: cultiver un espace critique radical où réfléchir le monde, le tordre, le sublimer, l’interpeller, le dénoncer. Rien que pour cela et comme le disait ce diable de Quentin Tarantino: “Vive le cinéma!”

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