Laurent Raphaël
L’édito: des militants écologistes s’attaquent à Van Gogh. Une stratégie payante?
Des militants de Just Stop Oil ont aspergé de soupe une toile de Van Gogh à Londres. L’urgence climatique justifie-t-elle la profanation de l’art?
Des tournesols à la soupe tomate. Non, ce n’est pas la recette qui fait fureur dans la nouvelle rôtisserie végétale bruxelloise. Ni une œuvre posthume d’Andy Warhol retrouvée dans le grenier d’une de ses muses. Mais bien l’association au goût douteux imaginée par des militants écologistes radicaux qui ont “repeint” façon Jackson Pollock l’un des tableaux les plus célèbres de Vincent Van Gogh, Les Tournesols donc.
Objectif atteint: réseaux sociaux et médias du monde entier ont massivement relayé l’attaque au potage menée par les deux membres du mouvement Just Stop Oil. Souvent de manière neutre, parfois pour critiquer la démarche, plus rarement pour s’en réjouir, comme la députée française Sandrine Rousseau, qui trouve l’action “hyper intéressante parce que très dérangeante. La colère monte chez les jeunes contre l’inaction climatique. Et ils ont raison d’être en colère.”
Mais pourquoi diable s’en prendre à l’art? La réponse se trouve dans le slogan scandé par les activistes dans la salle de la National Gallery de Londres: “What is worth more, art or life?” (Qu’est ce qui est le plus important, l’art ou la vie?). On a envie de répondre du tac au tac que, justement, l’art c’est la vie, c’est ce qui lui donne du sens, la sublime, c’est ce qui en fait une épopée qui mérite d’être vécue, et pas juste une succession de repas et de roupillons entrecoupés de crimes contre son n-1 dans la chaîne alimentaire, et que donc vouloir les mettre en concurrence, c’est comme demander de choisir entre l’eau et l’air.
Qui peut sérieusement croire que sans l’art on respirerait mieux, on se convertirait à la décroissance, on tiendrait mieux la barbarie à distance? C’est absurde et surtout dangereux car cette approche radicale, même si elle est motivée par l’urgence de la situation, alimente le discours populiste anti-élites colporté par les complotistes de tout poil, dont la méfiance à l’égard des artistes, des intellectuels et des libres penseurs n’a d’égale que leur haine des “puissants”.
Une stratégie culturicide venant du flanc progressiste de l’échiquier politique, c’est plutôt inattendu. Entre autres parce que les artistes sont à leur manière des lanceurs d’alerte, sur l’environnement (songeons simplement à la satire Don’t Look Up) comme sur tous les sujets de société problématiques. Le moment est d’autant plus mal choisi que les écologistes s’attaquent à une ambulance, la culture, et notamment les musées, peinant à retrouver son public d’avant le Covid, d’avant la crise, d’avant la guerre en Ukraine.
Ce n’est pas l’art en tant que tel qui est visé mais sa sacralisation, justifient les partisans de ce modus operandi choc. Après le sport, dont les courses, matchs et rencontres sont régulièrement perturbés par des actions spectaculaires, les institutions culturelles seraient donc les nouveaux bastions à investir pour secouer les consciences. Le Printemps de Botticelli avait d’ailleurs déjà fait les frais d’une manifestation du même genre en juillet dernier, là aussi sans dommage. On peut entendre la logique: puisque rien ne bouge alors qu’il est minuit moins une, il faut aller plus loin, frapper plus fort. Sauf qu’en barbouillant l’un des tableaux les plus chers au monde (estimation de sa valeur: 86 millions d’euros), les activistes font moins mal aux acteurs du marché de l’art, qui effectivement incarnent par leurs excès un système menant le monde à sa faillite, qu’à la culture comme levier d’émancipation individuelle. Surtout quand il s’agit d’œuvres accessibles à tous. C’est un peu comme si on coupait l’autre oreille de ce pauvre Van Gogh…
On nous dira encore que l’Histoire de l’art est jalonnée de gestes provocants ciblant l’art officiel. Pas de quoi en faire une affaire. L’ironie consistant à s’attaquer à la culture par le biais d’une performance quasi artistique n’aura échappé à personne. Mais le doute est permis sur les motivations. On subodore plutôt une logique de buzz qui pousse à la surenchère pour attirer l’attention. Or éthiquement, ne franchit-on pas une ligne rouge si, pour gagner une bataille, il faut piétiner les valeurs qu’on prétend défendre? La réponse, complexe, doit se cacher quelque part dans le bouquet torturé de l’artiste hollandais…
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