Des likes sinon rien

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Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Dans le film Sick of Myself, une jeune femme s’empoisonne pour glaner quelques miettes de reconnaissance. Ce besoin d’attention est certes inscrit dans nos gênes mais la société numérique l’a rendu pathologique.

Pas besoin d’avoir lu in extenso Françoise Dolto pour comprendre que le besoin de reconnaissance se manifeste dès le plus jeune âge. Un nourrisson ne peut pas plus se passer de l’attention de ses parents que de son biberon ou du sein maternel. Et il en va ainsi à tous les stades du développement, d’éventuelles carences affectives laissant des traces indélébiles sur la maturité psychique du futur adulte.

À bien y réfléchir, cette quête de validation nous poursuit tout au long de notre vie. À l’école, au travail, dans notre cercle familial ou même dans nos loisirs, un des carburants qui nous poussent à nous dépasser est la rétribution symbolique qu’on peut tirer des efforts fournis -sous forme de récompenses, d’encouragements, de félicitations ou de… likes-, comme une chaîne continue de petites attentions qui permettent de maintenir en permanence notre jauge affective au-dessus du minimum vital.

Alors bien sûr, tout le monde n’a pas le même appétit de bénédictions. Entre le gardien de phare qui vit six mois par an sur son caillou -et est très heureux comme ça- et le sportif aux 100 millions de followers, il y a un monde narcissique de différence. Question de tempérament. Même à 80 balais, de vieux rockers qui ont déjà tout gagné retournent dans l’arène au lieu de profiter d’une retraite dorée. C’est dire le pouvoir euphorisant et addictif de la reconnaissance!

Internet est venu brouiller les cartes en donnant l’impression que n’importe qui pouvait facilement gonfler son ego en profitant de la tribune des réseaux sociaux. Mais il y avait un astérisque dans le pacte faustien que personne n’a pris la peine de lire: on n’en aurait jamais assez et comme tout le monde aspirerait à la même chose, la demande d’affection et de visibilité serait nettement supérieure à l’offre. Du coup, la course aux likes ou aux vues a tourné à la surenchère dans la bêtise. Un terreau fertile pour les influenceurs bidon et les comportements à risque qu’on voit défiler en boucle sur Insta et qui ressemblent à des pancartes désespérées criant: “Regardez-moi, j’existe!”.

Inutile de préciser que quand le succès n’est pas au rendez-vous, c’est la santé mentale qui trinque, l’éventail des pathologies allant des poussées de fièvre antisystème au surmenage en passant par la dépression. “Chaque sujet humain est fondamentalement dépendant du contexte de l’échange social organisé selon les principes normatifs de la reconnaissance réciproque. La disparition de ces relations de reconnaissance débouche sur des expériences de mépris et d’humiliation qui ne peuvent être sans conséquences pour la formation de l’identité de l’individu”, mettait déjà en garde en 1992 le philosophe allemand Axel Honneth, auteur de La Lutte pour la reconnaissance (Folio).

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Plusieurs films récents illustrent les effets pervers de cette nouvelle obsession. Prenons Sick of Myself, du Norvégien Kristoffer Borgli, sorti en salles cet été. C’est l’histoire d’une jeune femme égocentrée prête à s’empoisonner pour faire croire qu’elle a une maladie rare et ainsi susciter la compassion de son entourage. Un jeu dangereux qui va évidemment se retourner contre elle, même si le subterfuge lui aura permis d’échapper à l’indifférence. Or en matière de reconnaissance, rien de pire -même des affects négatifs- que l’indifférence.

C’est aussi un puissant besoin d’exister, mais au niveau social cette fois-ci, qui motive le geste extrême d’un gardien de nuit lors d’une représentation théâtrale dans Yannick, de Quentin Dupieux. Estimant être floué par le jeu sans conviction des comédiens, il va interrompre le vaudeville pour faire entendre son opinion et changer -par la force- les règles du jeu. À travers ce personnage, le toujours surprenant cinéaste dénonce le mépris social des élites culturelles envers une population qui souffre, entre autres, d’invisibilisation. Preuve que le manque de reconnaissance peut aussi être ressenti collectivement.

Deux films, deux miroirs tendus à ce mal moderne. Et c’est quelqu’un qui cherche chaque semaine l’attention des lecteurs qui le dit. D’ailleurs, n’oubliez pas de liker…

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