Vanessa Paradis: « Je ne fais pas un disque pour les gens, mais d’abord pour moi »

Vanessa Paradis, une vie entre L.A. et Paris. © MATHIEU ZAZZO
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Cinq ans après Love Songs, Vanessa Paradis revient avec Les Sources, album cocooning qui se réchauffe aux petits bonheurs de la vie. Une flânerie musicale idéale pour passer l’hiver.

La séquence en rappelle une autre. Dans le clip de son dernier single, Ces mots simples, Vanessa Paradis est assise sur une balançoire, oscillant lentement, poétiquement, au-dessus de l’eau. Et, forcément, on repense à une autre scène, plus agitée. Celle de la pub, iconique, pour Chanel, réalisée par Jean-Paul Goude, en 1990. Vanessa est alors l’oiseau Paradis. Le chat n’est pas loin, l’orage gronde. Mais dans sa cage, la jeune femme continue de se balancer et de siffloter. Impossible évidemment de ne pas voir une métaphore de son début de carrière. A l’époque, le succès de Joe le taxi, sorti en 1987, avait propulsé dans la lumière celle qui était encore une ado. Avant de rapidement le lui faire payer. Comme cette fois où, sur la scène du salon du disque du Midem, elle s’est fait huer par les professionnels. Ou encore cette interview au JT de TF1, pendant laquelle le présentateur ose: « On a dit que votre style est un peu d’allumer les messieurs d’un certain âge, c’est vrai? » Ce jour-là, Vanessa Paradis fêtait tout juste ses 18 ans…

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Faut-il, dès lors, s’étonner que l’intéressée ait appris, avec le temps, à en dire le moins possible? Toujours affable et disponible, elle a pris l’habitude de ne se livrer finalement que fort peu. Vanessa Paradis a survécu au tourbillon. Entre musique, cinéma et mode, elle est même devenue une véritable icône française. A 45 ans, mariée pour la première fois avec l’écrivain et réalisateur Samuel Benchetrit (Les Chroniques de l’asphalte, Chien…), elle donne l’impression d’avoir trouvé une certaine sérénité. C’est en tout cas comme cela que sonne Les Sources, son nouvel album. Un disque cocooning, élégant et léger à la fois. Ludique aussi, et qui, à la profusion du précédent Love Songs, sorti en 2013, préfère se limiter à une douzaine de morceaux. Jolie flânerie musicale, elle est produite par l’Anglais Paul Butler. Un nom qui dira certainement moins au grand public que celui de Benjamin Biolay (Love Songs) ou M (Divinidylle): une preuve supplémentaire que, plus que jamais, Vanessa Paradis cherche avant tout à se faire plaisir.

Votre dernier album date de 2013. Qu’est-ce qui décide d’un nouveau disque?

Oh ben, c’est très simple. C’est le plaisir de chanter, de créer des chansons, de travailler avec des musiciens. De vivre la musique, quoi. Je ne saurais pas trop vous l’expliquer. Je n’y suis pas obligée, c’est vrai. Mais après, c’est quand même fabuleux que de vivre de ses passions. Entre les deux disques, j’ai aussi tourné dans cinq films. Donc oui, c’est un privilège. Laisser du temps entre chaque album permet de vous nourrir, de trouver l’inspiration, l’envie…

Je ne voulais pas d’un album de pluie.

L’album s’appelle Les Sources. Quelles sont celles qui ont inspiré ses chansons?

Je voulais avant tout un album qui fasse du bien. Quelque chose d’heureux, de joyeux. Il y a plein de raisons à cela… A la base, quand j’écris des chansons, ce sont souvent des chansons lentes. Comme je ne suis pas du tout une virtuose de la guitare, je joue plus naturellement des accords mélancoliques. Or, je ne voulais pas d’un album de pluie, un disque triste. J’ai reçu deux chansons d’Adrien Gallo et deux de Fabio Viscogliosi, qui sont tout sauf mélancoliques. A côté de cela, j’avais des musiques sur lesquelles je peinais pour trouver des textes. J’ai demandé à mon amoureux (NDLR: Samuel Benchetrit, donc). C’est un écrivain, un poète… Il a écrit ces deux chansons. Et comme il a été très inspiré, il a continué. J’ai gardé les quatre qui me plaisaient le plus. En fait, il a donné un vrai coup d’accélérateur au disque.

Pourquoi avoir voulu travailler avec Paul Butler?

Je suis tombée complètement amoureuse de l’album qu’il a produit pour Michael Kiwanuka, Home. J’étais épatée qu’on puisse faire des disques pareils, qui ont une patine seventies, sans sonner pour autant passéiste. C’est assez prodigieux ce qu’il fait ! Pendant trente-sept ans, il a vécu sur l’île de Wight. Le fait qu’il a déménagé récemment en Californie, où je passe aussi la moitié de mon temps, a aidé. On était là, l’un à côté de l’autre. Heureusement, il avait envie de travailler avec moi aussi. Du coup, tout s’est fait très vite : je crois qu’on s’est rencontrés en octobre de l’an dernier et en février, on entrait déjà en studio.

« Je chante pour me faire du bien. »© MATHIEU ZAZZO

Sur des morceaux comme Kiev ou C’est dire, les cordes ou la basse peuvent sonner comme sur certains disques de Serge Gainsbourg…

Ah oui, bien sûr! Paul est fou du travail de ses albums des années 1960-1970. Donc, oui, il y a beaucoup de Gainsbourg, mais aussi plein d’autres choses. Ces influences sont difficiles à nommer et à citer. On ne peut pas dire que ce soit par exemple un album de soul, mais il y en a pourtant énormément dans ce disque. Parce que je voulais des cuivres, des choeurs, et que je les ramène toujours vers cette musique soul que j’aime le plus au monde. Comme le rock, la musique brésilienne, etc. Ou Sade. J’ai beaucoup pensé à Sade. Je vous dis tout ça, mais à la fin, c’est quand même de la variété française.

Les goûts musicaux se cristallisent souvent pendant l’adolescence. Or, à cette période, vous étiez déjà vous-même en train d’en faire. Est-ce que cela change quelque chose?

Oh ben non, je ne pense pas. Parce que cela commence quand même un peu avant. Puis, ce n’est pas parce qu’on fait de la musique à 15 ans qu’on arrête d’en consommer. A fortiori quand on produit de la musique très différente de celle qu’on écoute. Moi, ça a été Prince. C’est lui qui m’a fait découvrir Al Green, Curtis Mayfield, Sly Stone, etc. Il m’a totalement embarqué sur sa planète. Par la suite, à 19 ans, quand je suis partie vivre à New York, j’ai découvert plein d’autres choses. Puis, il y a les voyages, les amis, les rencontres… La musique – et c’est ça qui est super beau – reste quelque chose qui se partage. C’est meilleur que l’alcool et le tabac, cela ne fait de mal à personne. Mieux: ça protège, ça rassure.

Les Sources, c’est aussi le nom de l’ancien moulin à papier que détenait votre papa, décédé il y a tout juste un an…

Ce qui est important, c’est que le mot veut dire de telles belles choses, et qu’il correspond tellement bien à ce disque. Pour tout vous expliquer, j’ai commencé par chercher dans les titres des chansons du disque. Et il y en a de très beaux. Mais il n’y en avait pas vraiment un en particulier qui pouvait représenter le tout. Les Sources, en réalité, c’était une idée de Samuel (NDLR: Benchetrit). Cela m’a paru tellement évident quand il l’a suggéré. D’abord parce que c’est le disque d’une personne en pleine maturité (sourire). Et qu’il tourne autour d’où l’on vient, où l’on va, avec des chansons qui ne parlent que de la nature, de la vie, de l’amour, de l’essentiel, du passé, de l’avenir… Les Sources s’imposait. Puis, c’est musical comme mot. Donc c’était bien.

Les Sources, Vanessa Paradis, distr. Universal.
Les Sources, Vanessa Paradis, distr. Universal.

Les Sources est en effet un disque lumineux. Il fonctionne presque même comme une bulle. Comme une manière de se replier sur soi, quand tout autour, dans le monde extérieur, tout paraît s’écrouler?

Non, l’idée n’était pas de rester à l’écart. D’ailleurs, si vous écoutez bien, il y a, ici et là, de la tristesse, de la mélancolie, des sujets graves, des phrases très profondes. Mais je ne voulais pas que cela domine. Moi, je chante pour me faire du bien. Je n’ai pas envie de partager ma noirceur, ma tristesse. Je pense que le monde n’en a pas besoin (sourire). Par ailleurs, il y a plein de gens qui le font, et qui le font très bien – Dieu sait si j’aime des albums tristes… Mais celui-là ne devait pas être comme ça. Je voulais aller vers la lumière, vers le bonheur, vers des choses qui font du bien. Finalement, je ne fais pas un disque pour les gens, mais d’abord pour moi. Il faut qu’il me plaise. Après, je rêve toujours qu’il plaise aux autres.

Une ballade comme Si loin, si proche évoque l’absence, d’une manière presque anachronique, dans une époque où on peut rester en contact en permanence, non?

Il y a encore quelques personnes qui ne sont pas connectées. Moi, par exemple (sourire). Au-delà de ça, je constate que les gens, en France en tout cas, aiment toujours aller boire des coups en terrasse, manger avec des amis, se balader dans la rue, ou sur une plage. Mais c’est quoi, la question? Est-ce que c’est encore possible de…?

C’est la question de la distance, de l’impact des réseaux sociaux, etc.

Pfff, oui, mais ça vous intéresse vraiment de parler de ça? Moi, pas du tout. Vous dire le pour, le contre, tout ça: on s’en fout. Vaut mieux en parler avec Bill Gates ou je ne sais pas qui. Moi, je préfère parler de musique (sourire). Je n’ai pas envie de parler de politique, d’économie… Il y a des gens qui font ça beaucoup mieux que moi. Cela étant dit, ce n’est pas parce que je n’en parle pas dans mon disque que je suis hors du monde. Un album, c’est comme un livre: vous parlez d’un sujet, mais ce n’est pas pour cela que les autres sujets ne vous intéressent pas, qu’ils ne font pas partie de votre vie.

L’album se termine par Chéri, l’un des deux morceaux que vous prenez entièrement à votre compte, paroles et musique. Pourquoi pas davantage?

Parce qu’il faut les faire, les chansons dont on est fière! Si les autres vous en écrivent de meilleures, il vaut mieux chanter les bonnes chansons… (sourire)

La Hauteur de mes bas évoque le temps qui passe, sans sonner pour autant mélancolique…

Oui, parce qu’il y a une espèce de fatalité qui est la même pour tout le monde. Et je ne parle pas des crèmes antirides des magazines féminins (rire). Je veux parler de ceux qui nous quittent, nos amis qui partent, nos enfants qui s’envolent. Il faut essayer de traverser ça le mieux qu’on peut, l’accepter pour le vivre mieux. Et continuer à tracer son chemin, si possible sans souffrance… Ouhlala, super comme mot de fin, non? (rire).

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content