Tim Vanhamel, le Millionaire hippie

Tim Vanhamel: "À un moment, je n'ai écouté que du Ravi Shankar, de la flûte, de la musique méditative. J'ai quelques disques faits maison, de la musique plus spirituelle. Je tenterai peut-être de les sortir. Mais une bonne pop song te donne une autre énergie. Elle peut te mettre un grand coup dans les couilles." © Charlie Dekeersmaecker
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Douze ans après la sortie de Paradisiac, Tim Vanhamel dégaine Sciencing. Un nouvel album de Millionaire électrique et groovy enregistré en secret au Costa Rica. Ticket gagnant.

Il a rejoint Evil Superstars alors qu’il n’avait que 17 ans, a défendu sur scène The Ideal Crash de dEUS et avait secoué costaud et groovy notre plat pays à l’aube du XXIe siècle en fondant Millionaire. Tim Vanhamel, bientôt 40 ans, a depuis longtemps gagné sa place au panthéon du rock belge. Comme ses potes Tom Barman et Mauro Pawlowski, l’Anversois d’adoption en est une pierre angulaire, un phare… Il nous a fixé rendez-vous dans un immense Pain Quotidien, à deux pas de la gare, du zoo et de sa maison. Conversation à bâtons rompus.

Le dernier album de Millionaire, Paradisiac, remontait à 2005. Qu’est-ce qui t’a poussé à réveiller la bête?

Je n’avais pas de plan, pas d’idée préconçue quant à la suite des opérations et à la sortie éventuelle d’un nouveau disque. Après Paradisiac et la tournée qui avait suivi, le moment était venu de faire une pause, de se reposer un peu. Je voulais autre chose. Et pour le groupe, c’est devenu de longues vacances. Je l’avais toujours dans un coin de la tête. Mais tout ce que je fais, c’est au feeling. À l’intuition. Je ne réfléchis pas trop. J’ai joué dans d’autres groupes. Je me suis lancé dans divers projets. Le temps passe. Ça va vite. Puis, il y a un an et demi, j’ai ressenti le besoin de faire de la musique pour moi. Plus pour les autres. Un ami originaire d’Ostende habite au Costa Rica, près de la côte, depuis dix ans. Il y a construit un studio et lorsqu’il l’a terminé, il m’a proposé d’aller tester son bon fonctionnement. Je n’avais rien de spécial pendant l’hiver 2015-2016 et j’ai acheté mon ticket d’avion. Je suis parti avec mon hard drive et quelques idées.

Beaucoup de choses dormaient sur ton disque dur?

J’écris tout le temps. Avec moi, ça se passe par vagues. Parfois, je fais d’autres trucs. L’année passée par exemple, j’ai retapé ma maison. Puis tout à coup, je ressens le besoin de devenir créatif à nouveau et je me laisse embarquer par le flow. Pendant six mois, j’écris, je compose, je fais de la musique. Avant, j’avais le sentiment de devoir bosser tout le temps. Je me mettais la pression. Travailler tous les jours, être ambitieux, devenir le meilleur. Mais j’ai fini par comprendre que ces choses-là, ça va et ça vient. La vie est une histoire de vagues, d’allers et de retours. J’ai écrit au Costa Rica. Mais pour le single I’m Not Who You Think You Are par exemple, j’avais déjà l’intro, un couplet et un refrain. Ce n’était pas une chanson. J’avais des petits bouts éparpillés. Après, pas de tactique. C’était selon l’humeur du jour. Parfois, je puisais à l’aveugle dans ma banque de données. Parfois, je partais de rien. Je foutais la paix à mon disque dur, m’asseyais à la guitare et laissais les choses venir.

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Tu t’es lancé sur ce projet quasi en secret?

On a vraiment travaillé avec une petite équipe. Il y avait Jeff Claeys, le proprio du studio qui mixait notamment le son en live du Jon Spencer Blues Explosion, et un ami batteur, Damien Vanderhasselt, avec qui j’ai joué pas mal ces dernières années. Notamment au sein du projet Eat Lions. Je joue de tous les instruments et je sais dessiner quelques idées à la batterie. Des beats. Mais pour les interpréter, je demande à quelqu’un d’autre. On a bossé ensemble pendant huit semaines. Je voulais me sentir à l’aise avec le processus créatif. Ce disque exprime l’idée forte d’une seule personne. Comme un peintre qui traduit sa vision devant sa toile. Millionaire, c’est mon enfant, mon bébé. Comme Tame Impala, tu vois? C’est juste ce mec, Kevin Parker. J’ai toute une famille d’amis et de musiciens qui m’accompagnent en live, mais c’était vraiment important pour moi de lui donner vie tout seul. Je ne voulais personne pour interférer dans le processus. J’étais comme un petit enfant dans un bac à sable. Tentons ceci, essayons cela… Par le passé, j’ai connu des expériences bien différentes. Avec un gros producteur ou une maison de disques derrière, tu dois faire des compromis. La plupart du temps, dans les processus créatifs qui impliquent des labels, des managements, tu commences à créer une forme assez hybride par rapport à ce que tu voulais vraiment. Ici, rien de tout ça. Personne. Je l’ai fait secrètement dans mon coin. Sur les deux premiers albums, j’avais dû prendre certains avis en compte. Parfois lâcher un peu de lest. C’est peut-être lié au fait de vieillir mais je ne voulais plus de ça. Plus de compromis. Je suis donc parti sans rien dire. J’étais « en vacances » et je n’avais personne pour regarder au-dessus de mon épaule. C’est aussi pour ça que c’est devenu Millionaire. Parce que personne ne savait. Pas même mon management. Puis, j’ai senti que c’était le même monde. Ça avait ce groove. Pour moi, tous mes projets auraient pu sortir sous le nom de Millionaire mais je ne voulais pas induire les gens en erreur.

C’était quoi l’environnement? Ça ressemble à quoi le Costa Rica?

Mes potes sont des surfers d’Ostende. L’eau était trop froide, les vagues trop petites. Ils sont principalement partis s’installer là-bas pour la glisse. C’est très diversifié tant en termes de faune que de flore. Ils ont la côte, des jungles, des montagnes, des volcans… Moi, je ne surfe pas. J’ai essayé mais je n’en vois pas l’utilité. Ça demande pas mal d’efforts avant de pouvoir s’amuser. Et puis, je dois faire attention à mes doigts. Je suis guitariste, je ne peux pas me casser un membre comme ça. Enfin bref. Là-bas, personne ne t’emmerde. La connexion Internet est fainéante. Tu es au soleil. Tu bosses à pieds nus. Coupé du monde. J’ai une vie calme à Anvers mais il y a toujours un téléphone ou que sais-je pour te rappeler au quotidien. À Santa Teresa, je me levais à 7 heures. J’allais à la plage faire un jogging. Je me préparais un smoothie ou un milk-shake. Puis je commençais à travailler en short et en T-shirt. Et j’allais me coucher à 21 heures. L’endroit s’appelle Elstudio. Tout le monde peut le louer. J’avais une guitare et deux synthés. Cette limitation a joué sur ma créativité. Je ne voulais pas non plus trop gueuler. Je ne sentais plus le besoin de hurler.

C’est quoi l’histoire de cette chanson en français, L’Homme sans corps?

Je l’avais écrite à la maison juste avant de partir. Je ne sais pas pourquoi. Quand ça vient, ça vient. Je ne commence pas à débattre avec la haute autorité. Je suis fan d’une certaine musique française. J’adore Gainsbourg par exemple. Notamment Melody Nelson. Je ne suis pas très bon en français mais Gainsbourg dépasse les questions de langues. Enfin bref. Un matin, j’ai écrit cette mélodie et cette chanson. J’ai pondu les premiers mots et tout est venu. Je ne sais pas pourquoi. De où… Quand j’étais petit, j’aimais beaucoup Les Négresses Vertes. Zobi la mouche… Je les ai vus en concert. J’allais souvent en France en vacances. J’apprécie aussi la French Touch. Air, Daft Punk… Toute cette musique électronique même si ça ne m’a pas donné envie d’en faire pour autant. À Paris, tu as aussi beaucoup de chouettes projets avec des musiques orientales. Marocaines, turques, syriennes… Je ne suis pas un connaisseur, un professeur qui cherche à tout savoir, je suis dans le monde, je vis.

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À un moment de ton parcours, tu ne voulais plus toucher une guitare. Comment a germé en toi ce sentiment?

C’était en 2012. Je faisais un burn-out. Même si je ne sais toujours pas ce que ça veut dire. J’ai arrêté mes études assez tôt. Mes amis sont partis à l’université et moi j’ai sauté dans un tourbus. J’étais dans la musique depuis mes 17 piges et j’en avais 32. Quinze ans de tournées, de studio, de rock’n’roll. Je me disais: merde, si je prends ma guitare, je vais encore devoir donner des interviews… Je m’imaginais tout le cirque qui va avec. Je ne voulais pas que les gens m’observent. Être le frontman d’un groupe. Je ne voulais pas de toute cette attention. J’ai arrêté de boire, de fumer. Plus de drogues, plus d’alcool. Plus rien. Je ne pouvais plus. Je ne voulais plus de ce genre de vie. Je ne comprenais pas ce qui arrivait, où j’allais. Donc j’ai arrêté. J’étais exténué, déprimé. La musique ne m’intéressait plus. Et puis la vie te jette des choses au visage. Mon père est tombé malade, il est mort en six mois. J’ai commencé à voyager. Notamment en Amérique centrale. Je ne sortais quasi plus. Je passais beaucoup de temps seul. La musique ne m’effrayait pas mais je n’en avais rien à foutre. Je n’en jouais plus. Ma guitare traînait à portée de main et après un an et demi, je l’ai empoignée sans m’en rendre compte. Et je me suis dit: putain que c’est génial. Le feu est revenu tout. Même si c’était différent. Tom Barman bossait sur son projet électronique Magnus à Borgerhout et m’a demandé quelques guitares et voix. Ça m’a remis le pied à l’étrier. Sans pression. Ensuite, j’ai joué de la gratte dans The Hickey Underworld pendant un an et demi. Il y a eu d’autres bazars de studio. Un projet ici ou là.

Tu as fait partie à leurs débuts des Eagles of Death Metal. Tu es encore en contact avec Josh Homme? Comment as-tu vécu les événements tragiques du Bataclan?

Pas vraiment. Il y a quelques années, les Queens of the Stone Age ont joué en Belgique avec leur dernier album. On s’était contactés, Josh Homme et moi, mais je n’avais pas pu y aller. Les liens s’étiolent. La dernière fois que j’ai eu des nouvelles, c’était au moment de l’attentat. J’ai été terriblement choqué. Un pote m’a appelé: « Allume ta télé. Jesse (Hughes, NDLR) a été attaqué à Paris. » J’ai regardé les news et je me suis demandé ce qu’était tout ce bordel. Je ne voulais rien dire au sujet de tout ça. Je ne voulais rien avoir à faire avec cette histoire. C’est près de la maison. C’est un événement culturel. Ça aurait pu arriver ailleurs. Il m’a fallu deux semaines pour m’en remettre. Et après, il y a eu toutes ces choses douloureuses qu’il a pu dire. Je n’ai pas pris contact après le massacre. Le monde entier leur courait après. Des journalistes, manquant totalement de respect, m’ont contacté le lendemain: « Tu pourrais nous fixer un entretien avec eux? » Quoi? Allez vous faire foutre. Je suis loin de tout ça moi. Je suis un hippie tu sais. J’aime. Je ne déteste pas. Je ne juge personne. Chacun a son histoire, ses opinions. Tout est lié à notre expérience personnelle, à notre conditionnement. Mais l’ego et l’étroitesse d’esprit, c’est une combinaison dangereuse. C’est d’une tristesse de ne pas arriver à vivre ensemble dans un si beau monde.

Il paraît que tu as failli devenir le bassiste des Queens?

Oui. Quand Nick Oliveri a été viré. C’était entre Songs for the Deaf, pour moi leur meilleur disque, et Lullabies to Paralyze. On avait tourné avec eux en Amérique. On passait notre temps ensemble. On dormait dans leur bus. On partageait les backstages. Josh m’a d’abord invité à rejoindre les Eagles of Death Metal. Après la tournée, je suis parti à Los Angeles et j’ai fait la connaissance de Jesse. Je vivais chez eux ou dans le désert. Puis les Queens ont commencé à bosser sur les démos de Lullabies to Paralyze. Un beau jour, au Rancho de la Luna, ils m’ont demandé de prendre la basse sur ce morceau, Everybody Knows That You Are Insane… Et quelques jours plus tard, dans son living room, Josh m’a fait sa proposition. Je me suis dit: « Merde, est-ce que je vais venir m’installer ici? » En plus j’ai des petites mains, je ne suis pas un bassiste, je ne vais pas rentrer dans le costume de Nick. Tout le monde était fan de lui. On se serait demandé qui était ce petit abruti. On m’aurait détesté. Je ne voulais pas de ça et je tenais à me concentrer sur Millionaire. Donc j’ai refusé. Je ne sais pas ce qu’il serait advenu. Je serais peut-être mort. Aucune idée. En tout cas, je ne regrette jamais rien. La vie est trop courte pour ça.

LES 25/05 AU KULTURA (LIÈGE), 07/06 AU BOTANIQUE (COMPLET), 09/07 AU CACTUS (BRUGES), 14/07 AU ROCK HERK, 16/07 AU DOUR FESTIVAL, 22/07 AU BORGERWOOD (BORGERHOUT) ET LE 04/08 AUX LOKERSE FEESTEN.

Millionaire – « Sciencing »

Distribué par Unday Records. ****

Il s’est fait attendre et il est arrivé comme ça. Quasi sans prévenir. C’est pourtant un sacré disque, énorme même, que ce nouveau Millionaire. Sciencing est un album qui retourne la tête. Secoué et groovy. Obsédant et catchy. Tant dans ses déflagrations (le single I’m Not Who You Think You Are, le quasi instrumental Little Boy Blue) que dans ses accalmies (le damon-albarnien Back in You ou le duo Silent River enregistré avec la Canadienne Clara Klein), Tim Vanhamel étale sa science tout en modestie. Produit par ses soins, mixé par Greg Gordon (Oasis, Triggerfinger) et masterisé par Howie Weinberg (Nirvana, The White Stripes, Beastie Boys), Sciencing est une tuerie. Under a Bamboo Moon ressemble à un tube hip-hop pris en main par Curtis Mayfield. L’Homme sans corps se la joue psychédélisme à la française. Courez acheter le nouveau Millionaire. Vous ne le savez pas encore, mais vous avez déjà tiré le gros lot.

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