Theo Clark, le sale air de la peur

Theo Clark. © ELODIE LEDURE
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Prof d’anglais de Montevideo, Great Mountain Fire ou Ghinzu, l’Écossais de Liège Theo Clark passe haut la main l’examen perso via un premier album viscéral autour des peurs contemporaines.

« Il m’a insulté et je l’ai frappé une fois, puis après, comme il y avait des travaux à l’école, j’ai récupéré du tape sur le chantier et l’ai attaché à un poteau, puis je me suis tiré. Ce que je ne savais pas, c’était que les plus grands qui arrivaient alors en récréation allaient le déshabiller et lui graffiter le visage… L’école m’a viré aussi sec. » Grâce à cet exploit extrascolaire, Theo Clark interrompt ses études à Leicester -dans les Midlands anglais- et rejoint ses parents en Belgique, où papa informaticien travaille alors pour Mastercard. Le voilà donc, fin des années 90, à Sainte-Gertrude à Nivelles, quatorze ans et pas un mot de français en poche. « J’ai adoré, c’était l’aventure, c’était chouette de ne rien comprendre. À peu près deux semaines après mon arrivée, je suis sorti avec une fille de ma classe, et l’un de mes frères qui était en Belgique depuis un bout de temps a servi d’interprète. C’est aussi lui qui a traduit quand, peu après, la fille m’a largué pour manque de communication. »

Theo Clark, 32 ans, a une bonne langue française et la tête d’un échappé de Trainspotting. Rouquin de Glasgow qui, en ce 1er novembre ensoleillé, porte le blason du Celtic Football Club sur un survêtement au col vert-blanc-orange, couleurs de l’Irlande, les autres racines familiales. Garanties catholiques « avec obligation d’aller à l’église jusqu’à seize ans. Ce n’était pas si mal, tu peux aller boire avec les scouts. » Ce qui implique une culture où le chant croise inévitablement le stade via le pub et les émotions malt-houblon. « Oui, la musique et la poésie était importantes: à Noël, nos parents filmaient les cinq garçons de la fratrie récitant des poèmes et le tout était envoyé à la famille, comme une carte postale vidéo. »

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Du rock « anglais« -même si le mot écorche toujours un peu les écossaises oreilles de Theo-, notre sujet se souvient de l’obligation de choisir. Lui, ce fut Oasis comme madeleine absolue des nineties, les passages à Top of the Pops et cette réplique d’horloge tirée de la pochette de Be Here Now, dont des clones en carton envahissent la petite ville alors habitée près de Leicester. « J’avais pris le parti des frères Gallagher même si aujourd’hui, j’aime beaucoup Blur. » À vrai dire, au-delà de cette expérience sanguine adolescente, c’est Pete Doherty et ses « textes poétiques incroyables » période Libertines, qui poussent Theo à l’écriture. Au clochard-dandy-junkie-énervant-céleste s’ajoutent d’anciens grands Britons, les William Blake et John Keats du romantisme éternel. Résultat: une vaste galaxie de locutions poétiques constituant à jamais la Grande Ourse personnelle du trentenaire. « Pendant un bout de temps, Doherty a rendu la poésie cool, sans lui, je ne pense pas qu’il y aurait eu un Alex Turner. L’idée qu’on puisse faire de la poésie en musique m’est aussi venue en écoutant le Changes de Tupac! »

Naufragés

Si l’album de Theo tranche avec le tout-commun rock, c’est aussi par sa langue nouée autour de traces biographiques douloureuses. Il y a donc ce fatal 22 mars 2016 où le prof d’anglais -qui vit et donne cours à Liège- vient bosser à Bruxelles et se retrouve à quelques encablures de Maelbeek, zone soudain terrorisée. « Je suis arrivé à l’endroit où je donnais cours et je suis tombé sur ce soldat suréquipé: comme j’étais parti à 7 heures du matin de Liège, je n’ai pas eu d’emblée conscience de ce qui s’était passé. Les rues avoisinantes de l’attentat dans le métro, tout près d’où j’ai mes habitudes pour voir le foot, étaient désertes et j’entendais les sirènes, hallucinantes. Par après, j’ai été autour de la Bourse, y compris quand des centaines de connards de hooligans sont arrivés: j’ai vécu énormément de choses et je serai toujours attaché à la Belgique où j’ai passé mes premières expériences de vie d’adulte. »

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Il y a cela et puis les leçons apprises en fréquentant quelques groupes belges qui lui demandent de superviser leur langue anglaise: correction des textes et de l’accent. Montevideo, Ghinzu, Girls In Hawaii, Vismets, et puis ceux dont il se sent sans doute le plus proche, Great Mountain Fire: « Ceux-là, de grands talents. Mais cela n’a jamais été un vrai métier au sens où j’aurais pu en vivre, généralement quelques bières suffisaient (sourire). J’ai peut-être été crédité une ou deux fois comme co-auteur mais je l’ai d’abord fait parce que j’aimais les gens fréquentés. » Theo a une fille de deux ans et demi avec sa girlfriend liégeoise aux origines calabraise et sicilienne: ingrédients supplémentaires d’un questionnement déjà pas mal fourni sur la mortalité & C° qui, en pochette d’album, passe par l’artiste David Delruelle, déjà auteur de collages pour Great Mountain Fire et Sharko. « Le titre de mon album est inspiré de « Water, water, everywhere/Nor any drop to drink », une phrase de Samuel Taylor Coleridge, poète britannique. Cela parle des naufragés entourés d’eau salée et qui n’ont rien à boire. C’est lié à mes propres souvenirs d’oiseaux m’ayant attaqué alors que je visitais en famille une île en Grande-Bretagne… Oui, il y a un certain effet thérapeutique dans ce disque même si les éventuelles blessures ne reviennent pas forcément quand je les chante en live. » Rendez-vous au Botanique, entre autres, pour la radioscopie des sentiments, comme dirait Jacques Chancel.

• Le 15/11 au Botanique.

Theo Clark – « Terror Terror Everywhere Nor Any Stop to Think »

Distribué par Anorak Supersport. ****

Theo Clark, le sale air de la peur

Co-écrit par Theo et son frère Gaz Clark, et produit par Boris Gronemberger (ex-Girls In Hawaii), ce premier album est porté par des chansons abrasives chauffées par des textes de même calibre, bienvenus en pochette. Ceux-ci élargissent considérablement la norme pop-rock à la belge via une écriture impliquée et métaphorique aux évidentes ressources littéraires. Dans la narration de Child’s Play (nostalgie indéboulonnable de l’enfance), Between Reloads (fusillades américaines) ou Jerusalem (inspiré par William Blake), Theo Clark donne grandement du sens à son travail, et à notre écoute.

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