Critique | Musique

The Golden Dregs, bienvenue en Cornouailles

4,5 / 5
“Raymond Carver, Lydia Davis… Quand je lis, c’est plutôt des nouvelles et de la poésie. Des trucs que je peux digérer rapidement. Mon cerveau n’est pas vraiment entraîné à retenir toutes les informations dont on t’abreuve dans un roman.” © dinomoves and aj
4,5 / 5

Album - On Grace & Dignity

Artiste - The Golden Dregs

Genre - Indé

Label - 4AD

Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

The Golden Dregs, alias Benjamin Woods, sort avec On Grace & Dignity une petite merveille de disque à ranger à côté de Leonard Cohen, Lambchop et Beirut.

Appartient-on à une terre et si oui, laquelle? Définit-elle qui nous sommes? Aussi attaché soit-il aux Cornouailles, Benjamin Woods, alias The Golden Dregs, habite à Londres. Il est né à Ashton-under-Lyne dans le grand Manchester en janvier 1992, a grandi dans la jolie petite ville de Mossley et a vécu à Bolton. “C’est de là que viennent Elbow et Badly Drawn Boy. Mes parents l’écoutaient pas mal quand j’étais gamin. Il y a un an ou deux, je me suis refait The Hour of Bewilderbeast. C’est quand même un tout bon disque.

Il n’a emménagé dans le comté sauvage à l’extrême sud-ouest de l’Angleterre que quand il avait 9 ans… “Mes parents écoutaient Van Morrison, Bob Dylan, Neil Young, les Counting Crows… Il y avait beaucoup de musique à la maison. Et beaucoup de négociation pour passer mes cassettes dans la voiture. Moi, j’aimais bien Elton John.Benjamin rattache tout à la musique ou presque. Il connaît tous les jeunes artistes dont on lui parle (KEG, The Bug Club…) et évoque de son propre chef les premiers groupes dans lesquels il a joué. “À la base du blues rock. Des trucs de cow-boy.” Il explique ses amours pour Led Zep et les Beatles, et avoue n’avoir jamais eu d’épiphanie quant à sa carrière de singer-songwriter. “Gamin, je faisais un peu de piano et j’aimais bien la batterie. J’en jouais dans des groupes d’ailleurs. Je grattouillais aussi un peu de guitare à la maison quand j’étais au collège, mais je n’avais pas vraiment la confiance de me lancer dans le songwriting.

Woods, qui a étudié la production musicale et a toujours rêvé de bosser dans un studio, n’a commencé à écrire des chansons sérieusement qu’à 22 ans. Il a fait The School of Sound Recording à Manchester et végétait à l’époque dans la scène garage punk émergente. Il aidait aussi ses potes des Black Tambourines à enregistrer. “J’ai fini mes études à Falmouth. Puis, je suis resté là un moment. Je jouais dans un projet qui s’appelait Lost Dawn.” Un groupe de rock bluesy plutôt tendance déglingué. Benjamin bossait à l’époque avec Chris Gray. “Chris, qui a la soixantaine maintenant, avait un studio (Strawberry) dans les années 70-80. Il avait enregistré des groupes punk à Londres comme The Homosexuals. Mais aussi les premiers albums de The Police et Siouxsie Sioux. Il avait ensuite bougé à Falmouth et fabriqué son propre studio. Un chouette endroit de création.

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Dans son existence mouvementée, Benjamin a enchaîné un tas de petits boulots. Il a trimé dans une salle de concerts et dans un magasin de disques. Comme couvreur aussi alors qu’il a le vertige… The Golden Dregs est né d’un besoin d’émancipation.Quand j’ai réalisé que le songwriting qui m’intéressait ne correspondait pas aux groupes dans lesquels je jouais, j’ai voulu faire mon truc à moi, commencer à écrire mes propres chansons. J’ai fait des démos et invité des potes à venir jouer dessus, des musiciens locaux, pour leur donner de la chair. Je ne voulais pas les jouer sur scène mais des potes m’ont encouragé et j’ai monté un groupe. On s’est dit qu’on allait s’enregistrer en live et c’est devenu notre premier album qui est sorti sur Art is Hard. Un chouette petit label assez influent (Jack Cooper, Flamingods…).”

Pour mettre de l’ordre dans le bordel de sa vie (“Je sortais d’une relation amoureuse de six ou sept ans et certaines amitiés s’étiolaient”), Ben part ensuite se promener en Allemagne du côté de Berlin et Leipzig. À son retour, il écrit Hope Is for the Hopeless. Il s’installe à Londres, essaie en vain de trouver un job dans l’industrie musicale et atterrit dans une usine de décorations de Noël. Il accompagne Anna Burch qui lui laisse assurer ses premières parties. Elle lui donne le courage et la confiance de terminer son disque.

Retour au bercail

Éliminons les doutes et les débats stériles. Aucun des deux premiers albums de The Golden Dregs n’arrive à la cheville de On Grace & Dignity. Mixé et co-produit par Ali Chant (Aldous Harding, Perfume Genius…), splendide de bout en bout, le disque rappelle Lambchop, Leonard Cohen, les Tindersticks et Beirut. Il parle de son chez-lui et de ce qu’on doit à ce chez-soi. En l’occurrence Truro. La ville où Roger Taylor a grandi, où John le Carré est mort. Woods est parti s’y réfugier avec son matos chez ses parents après avoir perdu son boulot et s’être abandonné dans la composition de nouvelles chansons.

C’était un hiver misérable. J’ai trouvé un job dans la construction de logements à prix abordable. Ce qui est un vrai problème dans les Cornouailles. Il y a dans le coin je ne sais pas combien de Airbnb. C’est vraiment compliqué pour les jeunes d’acheter une maison. Beaucoup de Londoniens y ont une résidence secondaire. Je me rends bien compte de la nécessité du tourisme, mais il n’y a eu aucune régulation sur la vente des propriétés.

Woods est fort attaché à cette région. Il la considère comme sa maison. “C’est là que je suis devenu adolescent, que j’ai commencé à aller en soirée, que je m’échappais. J’associe beaucoup de mes premières expériences à cet endroit. Quand j’étais ado, je me demandais ce qu’on foutait là. Il ne se passait rien. J’avais mes amis à Manchester. Mes secondaires étaient nulles. Sans intérêt pour l’art. J’étais en colère mais c’était une chouette expérience que d’y grandir.

À l’écouter, on croirait presque entendre Richard Hawley qui dédie tous ses albums à Sheffield. “Mais je n’ai jamais décidé que les Cornouailles deviendraient le centre de mon disque. J’étais même un peu déçu que ça arrive. Mon premier album Lafayette est né de la frustration de vivre dans une petite ville…” Réalisée par Edie Lawrence qui a clippé Idles et Warmduscher, travaillé avec Goat Girl et conçu les têtes de cochon de la Fat White Family, la pochette du disque représente un village imaginaire de Cornouailles. Toutes les chansons du disque y sont représentées. La maison en feu de Vista et Not Even the Rain, l’accident de voiture de Josephine… “J’étais dans un avion pour Hambourg et je regardais par le hublot quand j’en ai eu l’idée.” Un disque qui met la tête dans les nuages…

© National

En concert le 13/04 au Grand Mix (Tourcoing) et le 17/04 à l’AB Club (Bruxelles).

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