Critique | Musique

Sur son premier album, Miss Grit laisse la parole au cyborg

3,5 / 5
© DR
3,5 / 5

Album - Follow the Cyborg

Artiste - Miss Grit

Genre - Rock

Label - Mute

Critique - L.H.

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Sur son premier album, l’Américano-Coréenne Miss Grit confie ses angoisses à la machine et mélange guitares éruptives et textures synthétiques.

On a beau faire attention, souvent, cela déborde. C’est normal. C’est la vie moderne qui veut ça: trop d’informations à traiter, trop de décisions à prendre, trop d’interactions à digérer. Alors, parfois, la tentation est grande de débrancher. Ou plutôt de se brancher et, pour pouvoir enfin se retrouver, déléguer aux machines. Mieux: au cyborg. Dans son fameux essai de 1985 A Cyborg Manifesto, la philosophe féministe américaine Donna Haraway définissait le terme: “Un cyborg est un hybride entre une machine et un organisme, une créature de fiction autant qu’une réalité sociale.

Cette figure est au centre du premier album de Margaret Sohn, alias Miss Grit. Il est publié sur Mute. Label qui, pour le coup, a quelques antécédents en termes de musiques mi-humaines, mi-machines -de Fad Gadget à Depeche Mode. Depuis longtemps, la pop joue d’ailleurs avec l’idée de cyborg. Avec ses morceaux à la fois contenus et débordant régulièrement de leur enveloppe, convoquant guitares et programmations électroniques, Miss Grit en donne sa propre version.

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Dès les premières secondes de Follow the Cyborg, la chanteuse lui donne la parole. “I’m what you asked”, ajoutant plus loin: “Can take a breath now”, tu peux souffler maintenant… Crépitant sous les circuits en surchauffe, le morceau suivant insiste: “Your Eyes Are Mine”. Que voit-on à travers les yeux d’un cyborg? Dans l’imaginaire collectif, il est souvent perçu comme un danger pour l’humanité. Pour Miss Grit, il est pourtant moins une menace qu’un modèle à suivre. L’exemple d’un regard hybride qui pourrait aider à dépasser les clichés et les frontières trop étanches.

Troisième voie

D’origine américano-coréenne, Margaret Sohn sait de quoi elle parle. Sur son second EP, sorti en 2021, intitulé Impostor, elle évoquait précisément le sentiment de ne jamais être à la bonne place: tentant de se faire plus “blanche” qu’elle ne l’était dans la banlieue de Detroit où elle a grandi, avant de se sentir tout aussi “décalée” parmi la communauté coréenne qu’elle a découverte en débarquant à New York (pour suivre un cursus de music technology à la NYU). Il a fallu surmonter ces tiraillements. Comme le cyborg qui, dans son dialogue permanent entre Homme et technologie, suggère une troisième voie…

© National

Pour son premier album, Miss Grit inclut donc un titre en coréen, la voix comme planquée dans le brouillard électronique, à la fois robotique et fragile. Le cyborg ne permet pas seulement de transcender les races. Figure foncièrement queer, il envisage aussi de flouter les distinctions entre genres: “I’m a living girl/A real living girl”, chante Sohn sur le morceau-titre avant d’affirmer dans la foulée: “I’m a living boy/A real living boy”…

La musique même de Miss Grit se joue des styles, entre guitares à la St. Vincent (influence revendiquée) et textures synthétiques. En toute fin, Miss Grit semble faire ses adieux à son allié·e cyber, enfin libérée. Le morceau s’intitule Syncing. Soit l’action de synchroniser les appareils. À moins que Sohn ne joue avec les mots et qu’il faille entendre sinking, “en train de se noyer”? On posera la question à ChatGPT…

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