STUFF.: « Le « danger » de la musique reste notre carburant, celui qu’on ne voudrait pas perdre »

STUFF., quintette sans peur: "Le "danger" de la musique reste notre carburant". © Alexander Popelier
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Un groupe instrumental peut-il être politique? Et faire des chansons-films? Deux questions parmi d’autres posées à STUFF., Flandriens imaginatifs, comme leur troisième et très accompli album, T(h)reats.

Quand on retournera à la normale -lisez aux interviews face to face-, on se souviendra peut-être des jours de la peste moderne obligeant à Zoomer. Image granuleuse, son à interférences, comme des conversations de bunker à bunker qui, paradoxalement, donnent parfois l’impression de naviguer parmi les membres secrets d’un réseau mondial qui s’adoube. Le premier des cinq membres de STUFF. à l’écran en ce début mai est Dries Laheye, bassiste à la chevelure peroxydée. Bonne gueule, 33 ans, l’un des trois Stuffeurs résidant à Anvers, les deux autres vivant à Gand et Bruxelles. « Anvers, ville ouverte sur le monde pendant des siècles via son port, qui politiquement parlant, version N-VA, voudrait maintenant se couper des migrations », remarque donc Dries. Nous rattrape quelques minutes plus tard Andrew Claes, saxophoniste et joueur d’ewi (Electronic Wind Instrument). « Ce disque était pratiquement terminé avant la pandémie, précise Dries, et a ensuite été achevé par des petites sessions supplémentaires. À distance. »

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Processus désormais banalisé si ce n’est que STUFF. se définit d’abord comme un groupe live, chaudron mouvant, zappeur sans peur, pieuvre d’impro. Où il n’est pas rare que les musiciens quittent toute zone de confort perso en jouant d’autres instruments que le leur. Peut-être la marque d’études jazz chez quatre des cinq membres, DJ excepté. Pas forcément rats de studio, donc. « Là, on a improvisé environ la moitié du nouvel album, puis on a édité, retrace Andrew. Le « danger » de la musique reste notre carburant, celui qu’on ne voudrait pas perdre… En concert, il y a bien une liste préétablie, mais il suffit d’un regard sur scène, quelques cue notes, pour changer de direction et de morceau. L’impro est ce qui nous a définis depuis les débuts. Et c’est précisément en live que l’on existe de façon primordiale: on part de ça pour arriver au disque, pas l’inverse. Même si notre dernier concert date du Middelheim l’été dernier. » Avec le disque précédent, Old Dreams New Planets, STUFF. est pourtant bien parti à l’international. Via diverses reconnaissances, dont celle déjà notable de Gilles Peterson, et surtout une signature du label mancunien Gondwana Records du jazzman élargi Matthew Halsall. Et puis, Covid et Brexit s’additionnant, les plans britanniques -et donc internationaux- du groupe d’outre-jazz s’en trouvent laminés. Plus de tournée rince-clubs en UK, peu de perspectives live dans un futur proche. Ils évoquent une tournée belge à l’automne, mais comme le précise avec lucidité Andrew, « rien n’est sûr ». La seule certitude.

La belle verte

L’album joue donc sur son titre T(h)reats qui, avec ou sans h, signifie « menace » ou alors « régal ». La deuxième option semble plus proche de la réalité puisque l’album critiqué dans l’encadré ci-contre est intensément agréable, bien balancé dans ses intentions de tension, groovy et gourmand. Et surtout, de plus en plus détaché des influences premières, celles de Miles Davis. Dont le morceau Stuff, l’un des premiers titres à utiliser l’électronique du Fender Rhodes, sur l’album Miles in the Sky en juillet 1968, a inspiré le nom du groupe flamand. On sait comment sont les héritages, ils se dissolvent, se dispersent et vivent leur propre vie. Exactement ce que STUFF. poursuit depuis une douzaine d’années: du jazz et au-delà, de l’électronique, du groove parfois proche du chatouillement techno. Bref, de l’indépendance musicale. Fière de l’être.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

La discussion par Zoom en vient à la question politique. Comment une formation instrumentale parvient-elle à faire passer ses éventuelles idées sociales, politiques? « Nous sommes un groupe hybride. Le terme « politique » n’est pas vraiment le bon mais on déploie aussi dans notre musique instrumentale des concepts à propos de la vie, de ses valeurs. Notamment dans les titres de cet album -par exemple Cigogne– qui abordent des notions naturalistes, environnementalistes, terriennes, eco-friendly et même végétariennes alors que tous les musiciens du groupe ne le sont pas. Elles reflètent une volonté de conscientisation, précise Andrew qui pointe l’absence de mots chez STUFF. Justement, on échappe à la notion de textes, en les oubliant, en les transcendant, en suggérant une vibration qui participe à une forme de reconnaissance du monde actuel. » Inutile d’écrire -même si on le fait- que l’album de STUFF. n’a pas forcément besoin d’approche socio-politique. Il suffit de se laisser aller au plaisir de ses morceaux voraces, inventifs, libres de toute catégorie. Ou alors, toujours dans la notion de jeu et de plaisir -axiomes de la real music-, on demande à Dries et Andrew à quels films de fiction grand public les morceaux de T(h)reats pourraient s’accoupler. Au titre Waksi, Dries réfléchit longtemps et puis lâche Jackie Brown, oui, le whitexploitation de Quentin Tarantino. Andrew, interrogé à propos d’une référence filmique à Finding Mu, se gratte aussi la tête quelques dizaines de secondes puis répond que ce morceau pourrait faire la BO de The Man Who Fell to Earth –le classique 1976 zarbi de Nicolas Roeg avec Bowie. Ajoutant, de façon plus obscure, la référence à La Belle Verte, long métrage pas forcément célèbre de Coline Serreau sorti en 1996. Une comédie où des extraterrestres s’aventurent sur Terre… You know what I mean?

STUFF. – « T(h)reats »

Nu Jazz. Distribué par N.E.W.S. ****

STUFF.:

L’accouplement sonique fait ici partie des mariages épanouis dans la complicité, la connexion voire même la luxure. On parle d’une saga de huit titres qui racontent des histoires sans paroles, laissant l’auditeur fantasmer sur le sens de ce quintet instrumental basse/claviers/batterie/sax/turntables. Avec de lointaines références à PIL -le profond et grondant funky Waksi- et de plus en plus d’indépendance par rapport à la matrice jazz. La musique court et s’envole, galope et emporte, animal sauvage en dehors de toute conformité normative. CQFD.

L’affichage de ce contenu a été bloqué pour respecter vos choix en matière de cookies. Cliquez ici pour régler vos préférences en matière de cookies et afficher le contenu.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content