Sortie de route, track #7: Look Mom, I’m a Jedi now

Gonzo éthylique, Serge Coosemans chronique chaque lundi la nuit de 96 heures qui précède le début de semaine. Cultures noctambules, aventures imbibées, rencontres déglinguées, observations variées, win, lose et sortie de route assurées.

Bruxelles, Rue Neuve, samedi 12 novembre, 5 heures du matin. Le malabar sorti du coin d’ombre me dit « Files-moi ton argent, ta veste, ton GSM. » Je lui réponds: « Fais pas chier, mec, ma mère vient de mourir. Je vais au Grand Hospice reconnaître son corps. C’est derrière Sainte-Catherine, tu connais?!? » Son copain hésite, soupire, remet sa casquette à l’endroit. Lui, il me prend dans les bras, en profite tout de même pour me fouiller les poches. « Halala, c’est super dur, je compatis. » J’ai un mètre cinquante de moins, 20 kilos de graisse de plus et 30 années davantage loin des pistes sportives que ce duo de boeufs prêts à tout pour se pécho de la petite monnaie. « Je ne veux pas t’insulter, mon gars, mais tu ne serais vraiment rien qu’un gros connard de me baiser là maintenant, alors que ma maman est raide depuis deux heures à deux pas d’ici. » Je joue mon rôle de décavé tourmenté à donf. Pas si évident que ça, après la rivière de vodka, le rire des filles, la house vintage…

Je leur gueule dessus, à ces deux salopards. Je mime carrément l’hystérie. Dans mes poches, il y a 30 euros, 1 carte de tram avec deux trajets de bon, 2 capotes, 1 GSM pourri avec 4 euros de crédit dessus et un carnet plein de notes que moi-même, je n’arrive pas à relire. Je leur tiens donc tête juste histoire de ne pas me sentir comme une merde les 35 prochaines années de ma vie. Je ne sais même pas pourquoi je tente ce poker menteur. Plus tôt dans la soirée, j’ai crapahuté un bouchon de bouteille de vin sur la tête d’un type, en me servant du couvercle d’une casserole comme d’une catapulte. Je trouvais ça la chose à faire au moment où cela s’est fait. La logique bourracho. Là, pareil. J’aurais pu me faire atomiser dans le caniveau par ces deux barbares. Le moindre mot de travers et j’étais dans la grande lumière blanche, à jamais. Sous le paletot, je n’avais vraiment rien de valeur à défendre mais, malgré tout, ma réaction à leur attaque a été la bravade. La logique bourracho. La même qui fait flirter avec les filles interdites ou voler des choses au bar. MA MÈRE. MORTE. AU GRAND HOSPICE. Lucienne Noens-Coosemans va fêter ses 67 printemps en toute quiétude en février prochain. Moi pareil, sans doute, dans 25 ans. Si je continue, du moins, à mentir de la sorte quand on me tombe dessus avec le désir de me transformer en misérable petite purée. Mindfuck, embrouiller l’ennemi, rendre perplexe, passer pour dingue. La solution pacifique à tout conflit. Look Mom, I am a Jedi now.

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Je venais de la soirée Opus, sous le pont qui va de la Tour Dexia aux putes. Là où il y avait les Ateliers Claus, un moment. « Hé, c’est pas le White Hotel ici » y fut notre vanne de référence, quand le comportement se voulait un peu sauvageon, un peu déviant. Ca fait marrer tout le monde, cette affaire: pintes, drogues, sexe, dragues de oufs, pogos… Si ça manque, « c’est pas le White Hotel ». L’orga d’Opus avait annoncé le machin comme étant un mélange de DJ’s techno, de live sets et d’art contemporain. Je suis arrivé tard, fait, chauffé par un anniversaire rigolard et, comme d’habitude, je n’ai rien compris à rien. Il y avait de la très bonne acid-house qui bastonnait et cela m’a suffit. Un vieil ami perdu de vue, des bières filées en douce, l’occasion de fous rires monstrueux. Une brune sensationnelle qui nous a pris pour des évadés du Festival de Rochefort, les Frères Taloche undercover. Paco Rabanne à mes heures perdues, j’avais visualisé la soirée comme étant sans doute « un truc de punks à chiens qui se la pète art contemporain » et c’était exactement cela. Sous ce pont, il y avait toute la faune underground de Bruxelles, les nénettes à franges Bettie Page, les mecs à hoodies, les buveurs de Cara Pils lookés Carhartt. Les auditeurs de Radio Panik, les diplômés de La Cambre qui suivent un troisième cycle au Café Central. On se serait cru à Recyclart, en 2005, et rien que pour ça, aujourd’hui que Recyclart est devenu ce temple maudit de l’accordéon tzigane, cette soirée mérite d’être applaudie. Après, j’ai tout oublié, en train de chialer dans le taxi.

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C’est venu tout seul. Les nerfs. La décompression. L’alcool. Le dégoût de la nuit, des agresseurs, de soi aussi. Survivre, sans la moindre égratignure, sans perdre la moindre possession. Echapper aux gnons, au vol, à la honte, peut-être même à pire, et réussir à enquiller les 500 mètres les plus paranoïaques de ma vie, jusqu’à la Bourse, persuadé d’être poursuivi sur le trottoir désert sans jamais oser me retourner. L’hésitation permanente: filer droit vers la foule, sa très relative sécurité, ou faire semblant de tout de même aller vers ce putain d’hosto paumé dans un quartier pas non plus des plus aimables? S’entendre sortir dans le taxi des commentaires racistes dignes du pire commentateur de la Dernière Heure-Les Sports et laisser un pourbiche de prince au conducteur, gêné d’avoir insulté ses pairs alors que visiblement, si cela ne tenait qu’à lui, les mecs pendouilleraient ce matin au bout d’une corde, les yeux rongés par les vautours. 25 ans que je sors la nuit, les pires quartiers, les pires états, et ce n’est que la troisième fois que je rencontre la possibilité de ma fin.
A côté de ça, le White Hotel…

Serge Coosemans

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