Sortie de route #14: La danse de chien mouillé de Baxter Dury

Gonzo éthylique, Serge Coosemans chronique chaque lundi la nuit. Cultures noctambules, aventures imbibées, rencontres déglinguées, observations variées, win, lose et sortie de route assurées.

Je rentre du Wood et le taximan explose de rire. Je viens de passer deux heures dans cette boîte et durant ces deux heures, le gros pervers de tortionnaire sadique qui s’occupe des lumières a alterné la couleur bleue à la couleur rouge. Non-stop. Frénésie de ses gros doigts sur le petit panneau de contrôle, d’où, au plafond, les ampoules en folie: rouge, bleu, rouge, bleu, rouge, bleu… Deux punaises d’heures entières!!! A ce tarif-là, plus besoin de lunettes pour voir Avatar en 3D. Je suis devenu l’Obélix de la vision en relief. Ca fait marrer le chauffeur, déjà très amusé par mes remarques précédentes. Il m’a demandé ce que je pensais de la clientèle, de l’ambiance, de la musique. Clientèle: très jeune, trop jeune. Pour moi, du moins. Pas mal de futurs dentistes, de testeuses de bouliers compteurs chez Euroclear. Des versions génération Y de Thomas Dutronc, d’Olivier Chastel et de Véronique Barbier. Et à côté d’eux, de véritables freaks. Dans le trip berlinois, avec les coiffures de nazis décadents, les panoplies Nina Hagen. Etrange mélange que ce mix entre les bôgosses de la win-attitude uccloise et ces créatures blafardes dont l’habitat naturel sont les caveaux de La Cambre-Stylisme.

Quand j’ai débarqué, ça bastonnait de l’electro acide aux basses redoutables. Moins d’un quart d’heure plus tard, c’était Azari & III, un infâme remix du sublime Year of the Cat d’Al Stewart ainsi qu’un truc arabisant qui avait plus sa place en warm-up d’un concert de Jean-Jacques Goldman que dans une soirée à la musique voulue dégénérée. Faut toutefois reconnaître que les mecs qui organisent cela (les soirées Number Six, chaque samedi au Wood) ne font pas forcément dans le tout-venant et ont même une sympathique attirance pour le bizarre. Je suis parti de là alors qu’Eva Peel, DJ de Paris à fond dans un trip musical à la Ivan Smagghe, imposait ses beats déviants à 150 personnes dont 135 devaient bien avoir du David Guetta sur leurs iPods. Soyons donc cléments avec la louche à venin! N’oublions pas qu’à Bruxelles, passé La Bascule, c’est Doudingue-Land et que 500 mètres plus loin, aux Games, ça enchaîne toujours Tainted Love de Soft Cell à Don’t You Want Me Baby de Human League sans jamais se poser la moindre question!!!

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Number Six au Wood, il y a donc bien quelques grosses fautes de goût, de l’involontairement rigolo, du mal dégrossi, de la frime tartignolle et des petites concessions aux descendants de Godefroid de Bouillon qui forment le gros de la meute mais à part ça, on ne peut pas leur nier une vraie volonté de partager du son pas forcément évident, d’assumer le risque de vider un dancefloor chaud-bouillant, d’amener un public qui se contenterait bien de gros tubes beaufs vers un ailleurs plus tortueux. Bref, des organisateurs qui aiment la musique, la découverte, et tentent de partager leurs kifs. En plein milieu de Doudingue-Land. Faut pas déconner: on peut en rire mais cela se salue malgré tout. Dont acte.

Tout autre chose. Quelques heures auparavant, au comptoir du Bazaar, je percute des traits qui me sont familiers. Ceux d’un quadra à tête de bonne bite, le genre à avoir fait l’école communale à Schaerbeek entre 1976 et 1982. En fait, c’est Baxter Dury!!! Voilà! Je suis à moins de trois mètres d’un chanteur dont j’écoute en ce moment l’album en boucle et ce type est tellement simple, incognito et, à vrai dire, pas trop charismatique, que je le confonds avec un élève de l’Ecole Communale 17 de ma prime jeunesse! En tout chroniqueur sommeille une charogne à scoops et durant les deux bonnes heures qui suivent, je passe dès lors mon temps à l’observer, espérant qu’il se mette à faire son Benoît Poelvoorde. Qu’il ait un comportement de star et, de préférence, de gros con. Mais bernique. Il n’y a personne pour le reconnaître, venir lui parler, tenter de starfucker. Il se marre avec ses potes, commande des boissons, part s’en griller une au fumoir, laisse tomber la cravate mais son comportement reste affreusement simple, banal et normal. Il y a juste qu’il danse vraiment mal. Aucun sens du groove. Le gros cliché de l’Anglais hétéro coincebarre. Le DJ balance du disco au kilo et Baxter Dury s’agite comme le ferait un chien mouillé au retour d’une ballade pluvieuse. Une mauvaise langue de mes amis me sort que cela n’a rien d’étonnant, vu que Ian Dury, son père, était un cas notoire de polio. Forcément, avec ce passif-là, fiston n’a pas vraiment reçu l’héritage génétique de Maurice Béjart. On se marre mais on finit par totalement se désintéresser de Baxter Dury pour plutôt attribuer le Chicon d’Or de la Courge Noctambule de La Semaine à un type habillé comme un vrai rockeur et ce à une soirée disco, donc (Holger avec Daniel Wang). Bandana noir à tête de mort, air chafouin, jeans troués à la Iggy Pop et perfecto lustré dans le dos duquel on devine un écusson de groupe. The Ramones? Mötörhead? Non, Madonna. Lol et même double lol quand ce véritable ressortissant du Mordor se met à causer à une version Mini-Me de Rachida Dati. Nom de Dieu! Il est de ces visions dans la nuit bruxelloise, ces temps-ci, ça doit être l’approche de la fin du monde. Vipères au poing, grande générosité dans la distribution de piques, c’était donc encore un samedi soir comme un autre à ricaner du comptoir car pas trop down with the sound. Du Facebook IRL. Un truc d’amuseurs de taximen. Plaisir d’offrir, joie de recevoir.

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Serge Coosemans

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