« Soldout, c’est un chat: si tu l’abandonnes trop longtemps, il t’oublie »

© XAVIER MARTIN
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Le 11 décembre, Soldout mettra un point final à quinze ans de carrière, sur la scène de l’Ancienne Belgique. Pourquoi et surtout comment partir en beauté? Explications avec les intéressés.

Ce jour-là, l’un des premiers à réagir est John Stargasm, leader de Ghinzu. « Il nous a directement téléphoné, il était furieux », rigole David Baboulis. On est fin mars: le duo à la scène/couple à la ville formé par Charlotte Maison et David Baboulis vient d’annoncer officiellement la fin de Soldout. « John trouvait qu’on était des grands malades de faire ça. Quelques mois plus tôt, il était encore venu nous voir en concert à la Madeleine, avait pris une claque et se disait qu’on était cons d’arrêter maintenant. » Charlotte: « Le truc, c’est qu’on ne s’arrête pas. On veut juste faire les choses différemment. »

La vie d’un groupe est tout sauf un long fleuve tranquille. Celle de Soldout aura donc duré pas moins de quinze ans. Elle a notamment été marquée par un premier gros hit fédérateur (I Don’t Want To Have Sex With You) et quatre albums studio – Stop Talking (2004), Cuts (2008), More (2013), et Forever (2017). Ce à quoi il faut encore ajouter une compile de démos (Dead Tapes en 2005), et une bande originale (PuppyLove en 2014), récompensée d’un Magritte. Malgré cela, le duo électro a décidé de passer à autre chose. David: « À chaque album, on a vécu des expériences différentes. Mais aujourd’hui, on a l’impression d’être arrivés au bout de ce que l’on pouvait faire avec ce projet. » Charlotte prolonge: « En mettant un terme à Soldout, l’envie est de retrouver une certaine énergie, une certaine innocence. Celle que j’avais à 18 ans, quand j’ai rencontré David, et que j’ai vraiment découvert la musique électronique. » Pourquoi ne pas simplement faire une pause? « Honnêtement, on n’est pas un groupe comme Front 242 qui a marqué l’Histoire. Avec Soldout, cela a toujours marché, mais cela n’a jamais « cartonné » non plus. Du coup, si on part, c’est pour de bon. Soldout, c’est un chat: si tu l’abandonnes trop longtemps, il t’oublie (rires) . »

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On devine que d’autres facteurs ont pu jouer. En bossant en indépendant, par exemple, Soldout a préservé sa liberté. Mais s’est aussi mis pas mal de charges extra-musicales sur le dos. Charlotte: « Je m’occupe de la gestion, de l’organisation, des réseaux sociaux, etc. Cela représente près de 80% de mon temps. C’est trop. J’ai envie de faire plus de musique. De manière toute aussi indépendante, mais sans objectif de vente, sans avoir la pression de l’histoire d’un groupe qui oblige à remplir des salles toujours plus importantes. » Entre les débuts de Soldout, dans la queue du mouvement electroclash, et l’époque actuelle, pas mal de choses ont également changé. Le hip hop et la pop (urbaine) ont pris la main. David: « C’est sûr que ce n’est pas notre musique qui est à la mode. Mais elle n’est pas la plus compliquée à défendre non plus. Ce n’est pas comme si on avait un groupe de rock (sourire). Par contre, au-delà du style, il y un état d’esprit qui a évolué. Une envie de plus en plus répandue pour quelque chose de très rapide, qui se consomme très vite, et qui, en fait, n’a plus vraiment besoin de musique. C’était déjà le cas avant. Mais cela s’est accentué. »

Dernier baroud

En réalité, cela fait un moment que Soldout pense à raccrocher. « Si l’on écoute nos amis, se marre Charlotte, on a dit ça après chaque album. » Après More, en 2013, l’idée, pourtant, se précise. Il reste juste encore une série de morceaux qui attendent sur un coin, orphelins d’un vrai disque. De quoi organiser un dernier baroud d’honneur? Quand ils commencent l’écriture de Forever, Charlotte et David savent déjà que ce sera le dernier de Soldout. David: « C’était très clair dans nos têtes. Plein d’éléments tournent d’ailleurs autour de ça. » À sa sortie, le disque est truffé d’indices. Mais rien encore de concret à annoncer. David: « On aurait pu dire dès ce moment-là que c’était le dernier. Mais, autour de nous, pas mal de professionnels nous l’ont déconseillé. Ils trouvaient que cela envoyait un mauvais signal. Et puis, c’est vrai que le risque était que cela prenne toute la place: on est très fiers de cet album, et on avait vraiment envie que le public l’écoute pour ce qu’il est, sans être brouillé par autre chose. » Le communiqué est donc reporté. « À un moment, on ne savait plus trop comment le dire, ni quand. Le fait est que l’on n’est pas entourés d’une grosse équipe de stratégie marketing qui nous dit quoi faire (rires ). C’est toujours un peu à l’arrache. »

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Le duo est pourtant plus convaincu que jamais que Soldout a vécu. Charlotte: « On a fini par se dire que ce serait pas mal d’organiser une dernière grosse date. Ça avait l’avantage de marquer les choses dans le temps. Et puis c’était l’occasion de faire une belle fête. » La décision prise, il faut alors la communiquer. Charlotte écrit un texte, David un autre, chacun dans son coin. Le premier est enthousiaste, va de l’avant; le second est plus mélancolique . « Finalement, on a demandé à une amie de faire un mix des deux », sourit Charlotte. Le lieu des « derniers adieux » est tout désigné: l’Orangerie du Bota étant trop petite, ce sera l’Ancienne Belgique. Le groupe se met d’accord avec la salle bruxelloise pour booker une AB Box, d’une capacité de 800 places. « Mais le jour où les places ont été mises en vente, on avait déjà écoulé 600 tickets. » Le 11 décembre prochain, Soldout se produira donc dans la grande salle, pour laquelle il ne reste aujourd’hui plus que quelques places.

Toute dernière fois

Cocasse: quelques jours avant, c’est un autre groupe belge électro qui fera ses adieux sur la même scène de l’AB: Magnus, le projet dance de Tom Barman (dEUS) et CJ Bolland. David: « Oui, c’est fou. D’autant plus qu’on a démarré en même temps. Je me rappelle d’ailleurs d’une anecdote, un jour où l’on s’est retrouvés à la même affiche, avec Tom Barman: lui en DJ set, nous en concert. Il est arrivé, toujours très bien entouré. Il nous a expliqué qu’il avait vraiment apprécié le concert: « Mais le quatrième morceau, là, vous l’avez piqué à Magnus. » On ne voyait pas du tout de quoi il voulait parler (rires). Finalement, j’ai compris qu’il parlait d’un titre qui est inspiré de mon morceau préféré de… Klaus Schulz. Soit. Quand on a appris qu’il jouait quelques jours avant nous, avec Magnus, on s’est dit qu’il allait penser qu’on le copiait à nouveau! (rires ) ».

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Magnus a prévu de clôturer son histoire avec un tas d’invités sur scène. Ce sera aussi le cas de Soldout -à commencer par DC Salas, prévu en première partie. Pour les autres noms, le duo préfère rester encore discret. Une chose est sûre: « Je n’ai jamais autant travaillé et repensé nos morceaux, explique David, tout cela pour un seul concert. Je pourrais dire que l’on s’en fout. Après tout, les chansons fonctionnent, on a encore tourné cet été avec. Mais j’ai envie de donner le maximum. On n’a pas envie que cela se termine sur quelque chose de négatif. » Dans la foulée, le duo a également pondu un dernier morceau, long de treize minutes. « Au départ, il devait en faire quinze pour les quinze ans (rires). Mais c’était se mettre un nouveau carcan, alors qu’on cherche justement à être plus libre. »

Ce sera le cas, dès le 12 décembre. « On prendra alors deux, trois jours pour souffler. Et puis, on se remettra au travail. On ne sait juste pas encore précisément sur quoi. Ce qui est aussi effrayant que libérateur (rires). «  La grande aventure…

Soldout, en concert le 11/12, à l’Ancienne Belgique. www.abconcerts.be

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