Sharko sort son 10e album: «Qui est Batman sans sa cape? Qui suis-je dans un monde où on écoute moins de rock ?»

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Vingt-cinq ans après son premier album, Sharko sort 10, concentré pop-rock cuivré balancé pied au plancher. Explications avant son concert à l’Ancienne Belgique, ce vendredi.

Parfois, pas besoin de faire compliqué. Vingt-cinq ans après ses débuts discographiques – Feuded, en 1999 -, David Bartholomé sort le 10e album de Sharko. Et il est intitulé… 10. Il succède à We Love You David, disque qui revenait « à une espèce d’essentiel », resserrant « les boulons » autour de la formule trio pop-rock. Celle-là même qui avait permis à Sharko d’emmener la fameuse vague Sacrés Belges du début des années 2000, avec notamment Girls In Hawaii ou encore Ghinzu. Fin de l’année dernière, les premiers sont d’ailleurs partis en tournée pour rejouer leur premier album, From Here To There. Tandis que les seconds s’apprêtent à remonter sur scène, 15 ( !) ans après leur dernière trace discographique (l’album Mirror Mirror).

Sharko, lui, a donc préféré revenir avec de la nouvelle matière. Un shot de neuf chansons, balancées en une vingtaine de minutes à peine. L’occasion de poser quelques questions à l’intéressé, lors d’une conversation qui démarre comme une interview et termine en… thème astrologique.

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Quelle est l’étincelle qui a donné naissance à 10 ?  

Je voulais intégrer des cuivres. Une de mes premières expériences, quand j’ai commencé, a été de jouer avant Arno. Les Nuits Botanique lui avaient proposé une formule fanfare (NdR: en 1997). J’avais pu assister aux répétitions. Et j’avais trouvé ça hyper beau. Je m’étais toujours dit que ce serait fabuleux de pouvoir revisiter à mon tour un répertoire. Donc j’avais gardé ce rêve dans un coin de ma tête.

Sauf qu’ici, ce sont des nouveaux morceaux.

Oui, parce que j’aime bien changer. C’était une manière de créer un enthousiasme, un élan. Cela me stimule.  Après, il faut pouvoir faire de la place pour ces cuivres, et pas les coller de manière artificielle. En tout cas, pour moi, il faut que cela ait du sens.

Une fois n’est pas coutume, tu chantes quelques phrases en français, sur Une bien belle journée. Au début de ton parcours, la question était systématique : pourquoi chanter en anglais ? Est-ce qu’aujourd’hui tu te la reposes ?

Ah bah c’est une des questions clés. Mais je pense avoir trouvé des réponses. Quand j’étais gamin, on écoutait tout simplement très peu de chanson française. C’était surtout du rock, de la pop anglo-saxonne. En fin de compte, c’est mon langage naturel. Mon ADN de divertissement n’a jamais été le français. Je suis tombé il n’y a pas si longtemps sur une vidéo consacrée à tous les bluesmen que Mick Jagger et Keith Richards ont pompés avec les Rolling Stones. Même s’ils chantaient en anglais, eux aussi ne faisaient que copier au final. Pour autant, tu ne peux pas dire qu’ils n’étaient pas authentiques. Cela m’a complètement décomplexé.  

Toujours pas envie de de creuser davantage le français donc ?

Je suis très mal à l’aise. Quand je m’écoute chanter, cela ne passe pas. J’ai l’impression d’être Patrick Bruel sur le tard. Cela ne me fait pas du tout rêver. Sur ce disque-ci, c’est un accident. Dans le domaine artistique, quand tu coinces, il faut absolument trouver un moyen de débloquer très très vite la situation, sinon elle se fige. En l’occurrence, je ne savais pas quoi chanter à cet endroit-là de la chanson. Donc à un moment donné, je me suis dit, « tant pis, tu mets n’importe quoi ». Et j’ai sorti cette phrase : « Encore une bien belle journée, sur la Terre ». Par la suite, j’ai essayé de changer. J’ai essayé 1000 formules, mais je n’ai jamais trouvé quelque chose d’aussi simple, d’aussi universel. Même si c’était en français…

L’album précédent s’appelait We Love You David. Ici, sur le morceau Glee, tu chantes : « I’m gonna treat me sweet ». C’est de la psychologie à deux balles de dire qu’après 25 ans de carrière, Sharko commence peut-être à mieux s’accepter, à lâcher prise et admettre qu’il a accompli certaines choses ?

En fait, c’est un processus, l’acceptation de soi et de sa valeur. Je fais de l’astrologie depuis longtemps. Mais juste avant de me lancer dans l’écriture de We Love You David, j’ai été initié à l’astrologie mythologique. En gros, on part du principe que Jung a déjà conceptualisé, avec l’identification des archétypes. Des trames qui se répètent de génération en génération, ou même dans une vie. C’est ce qu’on appelle les circuits karmiques. Tu as l’impression de toujours reproduire le même schéma, d’attirer les mêmes événements ou de te retrouver dans une position identique.

A côté de ça, j’ai découvert un Français qui s’appelle Jacques Berthon qui a décidé d’analyser les mythes sous ce prisme, en faisant des correspondances avec l’astrologie. Je vulgarise très fort. Mais en gros, il a posé que chaque signe était porteur d’un mythe. Et que, selon la configuration de ton thème, on pouvait souligner tel ou tel mythe dans ta vie. C’est pas de la divination, c’est juste dévoiler la trame, le relief qui t’anime profondément et qui influence ta vie.

En quoi cela t’a marqué personnellement ?

En l’occurrence, j’ai découvert que j’avais le mythe de Narcisse. Ce n’est pas la maladie psychologique ou la déviation. Au départ, Narcisse est un jeune homme qui ne se connaît pas. Dans un premier temps, il accompagne ses amis chasser le cerf. Mais cela ne l’intéresse pas vraiment. C’est là qu’il rencontre Echo, qui répète tout ce qu’il entend par ailleurs. A nouveau, il s’éloigne et se perd pour arriver au bord de ce lac. Dans l’eau, il voit un jeune homme. Il a de la compassion pour celui qu’il voit dans le reflet et finit par l’embrasser. Il devient Narcisse, la fleur. L’idée est qu’il fasse abstraction du « moi » pour devenir complètement soi. We Love You David, c’était un peu ça. Réussir à s’accepter.

Sur 10, il y a une chanson sur un autre mythe, un super-héros même : Batman became Fatman.

Pour rester dans le même domaine, il y a une planète dans le thème astral qui s’appelle Pluton. Elle a été découverte au moment où le concept du surhomme a émergé. Cela se passe dans les années 30, quand Hitler vante l’homme aryen supérieur. Mais aussi quand est créé le personnage de Superman. C’est quand même curieux qu’un même concept naisse en même temps sur plusieurs continents différents. Bref. Tous ces super-héros se sont retrouvés dans une soudaine verticalité pour devenir surhommes. Quitte à oublier qui ils sont finalement. Ce qui est facile à gérer pendant ton heure de gloire. Mais quand tes pouvoirs commencent à s’affaisser, et que tu te retrouves face à celui que tu es vraiment ? Que se passe-t-il ? Batman, c’est ça. Qui est-il quand il retire sa cape ? Qui suis-je dans un monde où on écoute moins de rock ? Et moins de musique en général ?

On n’écoute pas forcément moins de musique...

Disons qu’on l’écoute différemment. On la rêve moins. Et elle fait moins rêver. On est moins transporté.

Quelle est alors ta réponse? C’est quoi le rôle de Sharko aujourd’hui ?

C’est précisément la question que je me suis posée en écrivant la chanson. Est-ce que ça a du sens de faire encore du rock à mon âge dans un pays comme le nôtre ? Oui, sans doute. En tout cas, je suis encore suffisamment idiot pour faire un disque. Et d’avoir toujours cette urgence en moi qui fait que je suis porté par des choses. Des sentiments que j’ai envie de transmettre, de diligenter.

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