Risque d’Avalanche

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Le groupe belgo-burkinabé Avalanche Kaito a tiré son épingle du jeu. Récit et portrait d’un projet qui aime le choc des cultures et les proverbes africains. Ils sont en concert au Botanique ce 11 novembre.

Premier samedi de septembre, milieu d’après-midi. Alors que le batteur et producteur Benjamin Chaval (Bargou 08, Le Jour du Seigneur) et le guitariste Nicolas Gitto (Zoft, Why The Eye?, Facteur Cheval) viennent de faire taire leurs instruments et leur intro, une voix incantatoire s’élève au milieu de la foule. Cette voix puissante, qui impose un impressionnant silence, c’est celle du griot burkinabé Kaito Winse. Le groupe belge Avalanche Kaito se produit dans le cadre bucolique des Larmer Tree Gardens et du festival End of the Road. L’un des plus pointus, aventureux et magiques d’Angleterre. D’habitude, le site sert à des mariages, des baptêmes, des bals de promo. On est dans le Wiltshire, avec ses vastes prairies et ses moutons. La deuxième scène extérieure a son théâtre en plein air et ses paons. Une bonne partie du public est venue avec ses chaises de jardin mais le trio qui mélange le rock expérimental et la tradition africaine va se le mettre en poche avec son jusqu’au-boutisme et son audace. Sourire et énergie dinguement communicatifs, Kaito harangue, murmure, appelle à la communion, à la danse et à la transe. Alors qu’on s’avance dans les bois à la recherche d’un espace pour se poser et discuter, des festivaliers viennent les remercier, veulent acheter des disques. Le groupe signé chez Glitterbeat est plutôt en train de réussir son coup et on ne peut pas dire que c’était gagné d’avance.

La première fois que j’ai vu le projet en concert au café Central fin 2018, j’ai trouvé ça génial, et invendable en l’état, se souvient leur manager Michael Wolteche. Il y avait un clash, une énergie, un coté noise déstructuré. Peu d’électronique et beaucoup d’électrique. C’était un très gros bordel. Ma copine avait bien rigolé. Elle m’avait dit qu’ils allaient rencontrer un énorme succès dans les caves.Né de la rencontre entre Kaito, le griot bourlingueur, et le duo noise punk bruxellois Le Jour du Seigneur, le groupe n’avait alors que quelques mois d’existence et une quinzaine de concerts dans des squats à son actif.

Si l’on s’en réfère au Larousse, un griot est en Afrique subsaharienne un membre de la caste des poètes musiciens ambulants, dépositaires de la culture orale. Il est réputé être en relation avec les esprits. “Les griots, ce sont les gens qui jouent pour les rois et se rendent dans les funérailles pour manier les tambours, raconte Kaito. Le griot est un guérisseur, un médiateur, un musicien, un slammeur, un raconteur d’histoires. Celui qui fait comprendre que la vie n’est qu’un grain de poussière. Le griot va venir avec sa poésie te donner le soleil. Son rôle, c’est aussi de faire son possible pour sauver celui qui voudrait se suicider. Si le roi se sent roi, c’est parce que le griot est là. Le griot donne le sens des choses, il les fait vivre dans une dimension traditionnelle. On n’est pas griot pour gagner de l’argent mais pour donner la lumière à la société et annoncer des nouvelles. Pour appeler la pluie aussi… On communique avec la nature. On la maîtrise.”

Le groupe décrit sa musique comme “le son du monde tel qu’il est vraiment, une explosion sonore indisciplinée et inoubliable créée par le croisement de voyageurs égarés”. S’il est griot comme son grand-père, son père et ses frères, Kaito veut s’inscrire dans la modernité. C’est ce qui fait qu’une culture traditionnelle ne meurt pas. Il le sait. “Ma famille était déjà dans la transmission, mais il faut s’adapter à ce qui se fait aujourd’hui pour partager le message dans le monde contemporain. Il y a une curiosité, je pense, qui est, si pas nécessaire, à tout le moins importante. Au pays, de plus en plus de jeunes se foutent de la tradition. Ils veulent de l’électronique, du boum-boum. Avec du hip-hop dedans. Ici, on appellerait ça du karaoké.”

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Lorsqu’il rencontre Alexia, une Bruxelloise qui est depuis devenue sa femme, elle lui fait écouter un tas de groupes belges dont Le Jour du Seigneur. “Je voulais proposer quelque chose de nouveau. Quelque chose qu’on ne pouvait pas trouver au Burkina Faso. À ce moment-là, j’étais dans une école de danse. Le Jour du Seigneur partait dans tous les sens. Ça me parlait. Je trouvais que ça ressemblait à une inondation.

Aventuriers

Kaito est très libre dans son rapport à la tradition, commente Nico Gitto. Il veut partager et mélanger la musique traditionnelle et l’art griotique avec de nouvelles choses. Tirer la machine vers le côté aventurier de la force.Tout un pan de l’art griotique défend une position assez conservatrice mais Kaito n’a vraiment pas peur du clash entre le passé et le présent. “Certains de mes morceaux sont un peu bizarres pour les anciens. Ils ne comprennent pas où ils nous emmènent. Je dois leur expliquer ma démarche”, avoue-t-il. “Je trouve son état d’esprit très sain, ponctue Michael Wolteche. C’est la preuve d’une vraie confiance dans la force de sa culture.”

Kaito veut s’ouvrir aux autres, élargir ses horizons et ceux de sa communauté. “Il y a plein de choses que je ne connaissais pas avant de quitter le village. Quand je suis parti àOuagadougou, j’ai découvert les lampes, les lumières. Le goudron aussi, surtout le goudron. Chez nous, les routes, c’est pour les riches. Je me suis habitué et familiarisé à un tas detrucs.” La curiosité de Kaito est fondamentale dans son apprentissage. Son apprentissage de la vie et du monde mais aussi celui de la musique. “Iln’y a pas d’école pour l’étudier dans mon village. La transmission s’y fait de père en fils. Mais si je critique l’Église, je suis aussi passé par là musicalement pour développer mes capacités. Protestante, musulmane, catholique… Il n’y a pas une religion par laquelle je ne suis pas passé. J’ai été y apprendre les différentes techniques vocales. Ça m’aide à m’adapter à tous les styles.

Benjamin raconte: “Je viens de la noise et de la musique expérimentale. Et c’est à cet endroit-là qu’on s’est rencontrés avec Kaito.En compagnie de Michael, ils ont éclairci le propos. “Perso, j’ai l’impression que plus il y a des gens et plus il faut que l’information que tu transmets soit lisible, taillée au laser. Les gens se prennent une espèce de machine à laver dans la tête mais ça reste assez clair. Il y a des moments qu’ils comprennent, des moments auxquels ils peuvent se raccrocher. Même si, au milieu, ils ne vont rien capter. Notre boulot, c’est de proposer des formes musicales qui permettent tout ça. Des grandes envolées noise mais aussi un rythme, un chant, une mélodie, un riff.

Très vite Chris Eckman, fondateur du label Glitterbeat, s’est montré intéressé et a demandé d’être tenu au courant de l’évolution du projet. “On s’est retrouvés pour une réunion de trois jours, à écouter plein de musique, se souvient Michael. C’était beau mais très sec, très aride. Je leur ai fait entendre ce qui manquait d’après moi. Un peu de lubrifiant. Ils m’ont fait écouter des choses eux aussi. Puis, Benjamin a amené des œuvres de musique électronique à lui qu’ils se sont mis à injecter.

Le festival anglais End of the Road a vibré de l'énergie communicative d'Avalanche Kaito.
Le festival anglais End of the Road a vibré de l’énergie communicative d’Avalanche Kaito. © belga image

Chaval a produit le premier disque en solo et envoie aujourd’hui de nouvelles musiques pour le prochain album. “C’est peut-être un peu machiavélique de ma part, mais moi j’adore travailler sur des projets qui ne sont pas prêts et où il reste beaucoup à développer. Le genre de truc qui normalement ne devrait pas avoir de visibilité. Ou du moins seulement à la longue dans un certain milieu très spécifique. Avalanche Kaito est atypique dans le paysage. Parce qu’il n’est pas normal qu’il soit là où il est.”

Michael ne connaissait rien de la musique burkinabé. “Chouk Bwa (un groupe belgo-haïtien avec lequel il travaille également), Kaito… Moi je n’ai aucune idée de rien. Et quelque part, je m’en fous un peu. Pour moi ce qui compte, c’est le côté tout à fait universel. Chouk Bwa a donné un concert à Paris avec un public assis et tout le monde disait: “c’est pas cool, on voudrait se lever et danser.” Mais non. On vient d’écouter cette musique comme si on écoutait un quatuor à cordes de Beethoven et elle le mérite. Il y a tellement de détails, de petites choses fantastiques.

Amener autre chose. Briser les habitudes. Casser les codes. Michael avoue qu’il adore écouter les cannettes de Coca qui roulent dans les escalators. “Et Ben se retrouve là- dedans aussi. Il a mis de ces sons sur le premier album. Dans un hôtel Ibis, un jour, il a demandé s’il pouvait passer derrière le comptoir de la réception pour enregistrer le bruit d’un réfrigérateur.”

Kaito, lui, joue de la flûte et de l’arc à bouche… “Je sais que si je les abandonne, ma tradition va disparaître dans le futur. J’espère inspirer, toucher quelque chose.Quant à ses textes, ils reposent sur des agencements de proverbes. Des piliers de la sagesse à la fois surréalistes et très imagés. Il déconseille par exemple de marcher deux fois sur les testicules d’un aveugle.

Permaculture

La rencontre peut sembler étrange. Nico, qui a embarqué dans l’aventure pour la scène après l’enregistrement du disque, a son explication sur leur osmose: “Je pense qu’on est tous les trois issus de parcours et de musiques qui veulent insuffler de l’énergie au public. Quand on y arrive, ça marche même si la musique est alambiquée. Parce qu’on la fait pour les gens. On n’est pas dans un truc super expé qui resterait à l’intérieur de nous.

Les trois hommes se souviennent de leur concert au Micro Festival à Liège en 2021 comme d’un moment fondateur. “Complètement dingue. On jouait sur une scène au milieu de la foule. 360 degrés. Les gens tout autour sont devenus fous. Kaito en oubliait pratiquement son texte.Arrivé à Bruxelles en 2009 avec son sac de cymbales, une table de mixage et 700 euros en liquide, Benjamin parle de la capitale de l’Europe comme d’un courant d’air, d’un méga carrefour. “Ça a changé depuis mais l’État offrait une espèce de paix sociale qui permettait à un tas d’artistes de bricoler, de créer, d’essayer. Du coup, il y a une vraie liberté créatrice. Les gens peuvent se permettre d’errer et d’être oisifs. Moi, j’appelle ça de la permaculture.”

Avalanche Kaito avait déjà réalisé une tournée de quelques concerts au Royaume-Uni en janvier, joué dans des clubs à Bristol, Leeds, Newcastle, Glasgow et Londres. Cette fois, il vient d’enchaîner trois festivals et quelques petites salles. “En Hollande, un vieil Irlandais nous avait prévenus: au Royaume-Uni, les gens vont tout de suite comprendre ce que vous faites. On est accueillis de manière super simple. Il n’y a aucun filtre. On a déjà joué sur des scènes plus grosses avec un cool accueil. Mais on vend plus de disques à la sauvette ici que partout ailleurs. On a la chance de ne pas être trop catalogués, de ne pas se retrouver dans les cases habituelles. Du coup, on est un peu considérés comme des ovnis et on peut se faufiler. Derrière l’aspect déglingué noise punk, on n’est pas trop typés de niche. On a un truc qui peut traverser le courant…Kaito, qui appelle ses comparses des frères Jedi et a baptisé Ben R2D2 à cause de son amour des machines, sortira bientôt un album solo. Longue vie aux griots…

■ En concert avec Chouk Bwa le 11/11 au Botanique, Bruxelles.

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