Rilès, le rêve américain

Le sourire aux lèvres, la persévérance dans le sang, Rilès a traversé l'Atlantique pour réaliser son rêve: sortir un premier album sur le label Republic. © ELISA PARRON
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Depuis sa chambre d’ado, à Rouen, Rilès a forcé le destin, en publiant un morceau par semaine, pendant un an. Signé aujourd’hui aux États-Unis, le jeune rappeur/chanteur français de 23 ans sort son premier album, Welcome to the Jungle

Sa crinière est aussi épaisse que sa moustache est fine. Ce qui a tendance à donner à Rilès des airs de mousquetaire. Un jeune d’Artagnan qui n’a pas eu besoin de quitter sa province pour partir au combat. C’est depuis Rouen -autant dire nulle part- que Rilès a visé le monde. Longtemps, le hip-hop, notamment en France, s’est focalisé sur les grandes villes. Depuis Internet cependant (et Orelsan), plus besoin de s’inventer une vie en bas des immeubles du 93 ou des quartiers nord. « Bouseux » ou banlieusard, même combat: l’ennui, après tout, donne les mêmes couleurs au rap…

De fait, Rilès ne s’interdit rien. Solo dans sa bulle, il passe outre le fait que le français est plus chanté/rappé que jamais: lui, c’est en anglais qu’il s’exprimera, histoire de s’exporter plus facilement. Fait exceptionnel pour un artiste hexagonal, Rilès est signé directement sur un gros label américain -Republic, celui de Post Malone, Ariana Grande, Taylor Swift, etc. C’est pourtant bien depuis sa chambre qu’il a lancé ses plans de conquête du monde. À plusieurs reprises pendant la rencontre, il répète, comme un motto: « Ma vie, c’est du jazz, rien n’a été calculé« . Peut-être, mais tout a été voulu, recherché, arraché à un parcours qui n’était pas forcément celui que sa condition de fils d’immigrés kabyles, atterris en province, prévoyait à la base…

Rilès a souvent raconté l’histoire de son abondante tignasse. Elle résume bien l’opiniâtreté de sa démarche. « J’étais en troisième année à la fac d’anglais, mon projet musical ne décollait toujours pas. À un moment, mes potes sont quand même venus me voir: « Écoute, ton projet, c’est un peu chaud, ta mère fait des ménages, c’est la galère, les huissiers sont encore passés la semaine dernière… Il faudrait peut-être que tu penses à un plan B.«  » Pour l’étudiant, c’est hors de question. « J’étais plein de fierté et d’aveuglement aussi, je refusais de laisser tomber. À l’époque, j’avais le crâne rasé. J’ai demandé à un pote de sortir son téléphone et de filmer: devant l’objectif, j’ai juré de ne plus me couper les cheveux tant que je n’aurai pas atteint le million de vues sur YouTube… »

Rilès, le rêve américain
© VICTOR LABORDE

Avec l’argent d’une bourse obtenue après son bac scientifique (mention très bien), il a monté un home studio dans sa chambre. En septembre 2016, il décide de poster un morceau sur le Net chaque dimanche, à 18 heures, pendant un an. Les Rilèsundayz sont lancés… Pas encore de quoi affoler la Toile. Si les vues s’accumulent gentiment, Rilès doit attendre le mois d’avril pour voir les chiffres s’envoler. C’est l’effet Seb la Frite. Le youtubeur/influenceur aux quatre millions d’abonnés consacre en effet une capsule sur le rappeur de Rouen. Il n’en faut pas plus pour que l’aventure prenne un nouveau tournant, capital cette fois. Les labels accourent, les propositions de concerts se multiplient (en 2018, il se retrouve sur la scène des Ardentes à Liège). Paré au décollage, Rilès publie aujourd’hui son premier album. Mais il n’a toujours pas retaillé ses cheveux -ils sont devenus sa signature visuelle…

À un fil

Le jeune homme de 23 ans a pas mal d’idoles -des « licornes » comme il dit. Mais il y en a une qui lui colle particulièrement à la peau: Kanye West. Les points communs ne manquent pas. Musicalement d’abord, mais aussi dans l’esprit: multitask (Rilès chante, compose, produit, etc.), pluridisciplinaire (il est aussi peintre à ses heures), et aussi, il faut bien l’avouer, un brin mégalo. En 2016, Rilès a également baptisé l’une de ses vidéos College Dropout –comme le titre du premier album de son modèle américain. Plus troublant encore: alors que les débuts du rappeur US sont marqués par un grave accident de la route dans lequel il manque de perdre la vie, Rilès passe de la même manière par le chas de l’aiguille. « C’était en mai 2017. Je venais d’obtenir mon permis. Je commençais à faire pas mal d’allers-retours sur Paris. » Ce jour-là, il est accompagné de son manager, Sofiane. Il est 22 heures quand ils reprennent la route vers Rouen. Il n’y a que 150 kilomètres à avaler, mais la journée a été longue. « Je n’ai pas senti le coup de mou arriver. Je me suis accoudé sur le bord de la fenêtre. Ça a laissé une brèche au sommeil… » La voiture quitte sa trajectoire, tape sur le côté, une fois, deux fois, trois fois, puis s’immobilise sur la voie de gauche, une roue en moins. « On était choqués, mais on n’avait rien! » Le duo réussit à sortir du véhicule. Mais quand Rilès y retourne pour allumer les feux d’urgence, la voiture est percutée par derrière. Il est projeté à 20 mètres. « Quand j’ai repris conscience, j’ai entendu les pompiers annoncer un blessé grave. Heureusement, c’était de moi qu’ils parlaient. Je n’aurais pas pu supporter de vivre avec un mort sur la conscience. » Il s’en sort avec une quarantaine de points de suture, une oreille à recoller et un bassin légèrement déplacé. Un miracle. Une semaine plus tard, il est déjà sur scène. « Au festival Rush, chez moi, à Rouen, devant 5.000 personnes. Je ne pouvais pas louper ça… »

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L’histoire de Rilès est donc bien la suivante: celle d’un (com)battant que rien ne peut arrêter, à qui rien ne résiste. On devine un mélange d’acharnement, d’entêtement, d’audace et aussi, certainement, d’inconscience. Une chorale gospel sur le titre Admiration? Pas de souci, Rilès s’envole pour Los Angeles et dégote une dizaine de chanteurs sur place qu’il enregistre directement dans le salon de sa location Airbnb. Un clip avec Snoop Dogg pour le morceau Marijuana? Il n’y a (presque) qu’à demander. « On y a été au culot. Au départ, j’avais imaginé un personnage « à la » Morgan Freeman ou Snoop, mais sans jamais penser évidemment que ça puisse se faire. Au cas où, j’ai quand même envoyé un premier mail avec un script hyperdétaillé. Mais il a dû arriver chez le manager du manager du manager de Snoop: on nous a répondu que c’était minimum 400.000 euros pour une apparition… » (sourire) Rilès ne baisse pas les bras pour autant. « On a fouillé Internet pour trouver un contact plus proche. Le type nous a rappelé deux, trois jours plus tard en nous disant finalement que Snoop Dogg était chaud. » Le Français ne veut pas y croire avant d’y être. Le jour J, il se retrouve pourtant bel et bien dans le salon de la star, pour tourner les images dont il a besoin. « On est restés que 45 minutes, mais c’était largement suffisant pour tout mettre en boîte… »

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Sur Internet, on trouve également cette photo de Rilès attablé à une salle de réunion, dans les bureaux de son label américain, donnant l’impression d’expliquer ses plans à une armada de cadres grisonnants. C’est l’American Dream en plein. Le motto pop -« il faut croire en ses rêves« – appliqué à la lettre. Généralement, il booste les plus ambitieux à oser s’inscrire à un télécrochet. Dans le cas de Rilès, il l’a directement amené de l’autre côté de l’Atlantique. Ayant frôlé plusieurs fois le précipice, obsédé par le temps qui passe (le sablier est son emblème), le jeune homme n’a visiblement pas un instant à perdre… À la fin de sa série Rilèsundayz, il dévoilait ainsi l’acrostiche « déployé » tout au long des 52 titres: « O sed fugit interea, fugit irreparabile tempus, audeamus nunc ». Soit, si l’on ravive nos anciennes notions de latin: « Pendant ce temps, le temps s’échappe, irremplaçable »

« Je m’identifie plus à un guerrier qu’à quelqu’un de fragile. »© VICTOR LABORDE

Hit factory

Le succès n’est évidemment pas un long fleuve tranquille. Sur son premier album, Welcome to the Jungle, sorti le mois dernier, le jeune homme a d’ailleurs du mal à cacher ses premières déceptions. Une fois que l’on passe en coulisses, « vous vous rendez rapidement compte que tout n’est pas tout à fait comme vous l’imaginiez. Je savais que ce serait la jungle. Mais là où je m’attendais à croiser deux, trois mygales, j’ai vu passer des gorilles, des léopards, des tigres, et un tas d’autres bêtes horribles » (sourire). Alors qu’il charbonne comme un fou en solo dans sa chambre, il découvre par exemple le principe des writing camps -ces sessions d’écriture auxquelles sont conviés des auteurs-compositeurs, chargés de pondre les prochains hits pour les plus grandes stars (il a lui-même été invité à une retraite pour le prochain Rihanna). « C’est un travail à la chaîne. Tout à coup, je découvrais que pas mal de mes artistes préférés se contentaient par exemple de piocher dans les 30.000 chansons écrites pour eux, lors de ces writing camps. Ça fait un peu mal au coeur. »

Récemment, Rilès a pu avoir un autre exemple de la manière dont fonctionne l’industrie musicale. Il évoque le cas de son ami d’enfance, le rappeur Leone. « Il a déboulé un soir chez moi, vers 3 heures du matin, pour enregistrer un titre. On fait les prises de voix, le mix, puis il a été tourner un clip dans le quartier. Quelques jours plus tard, il a balancé la vidéo sur YouTube, mais sans mettre la moindre description ou mot-clé. Après une semaine, le clip avait à peine dépassé les 2.000 vues. Mais il a été repéré par l’équipe de Niska, qui a mis la main dessus. » À peine remodelé, le titre Plein les poches servira ainsi de base au tube Médicament de Niska et Booba, certifié single de diamant…

Rilès, le rêve américain

Bien sûr, Rilès lui-même ne cherche pas autre chose que des tubes et le succès. Même s’il a perdu quelques illusions, il rêve toujours grand. C’est son côté « américain », même s’il assure ne pas être plus fasciné que ça par le mode de vie états-unien: « Non, pas particulièrement: je ne suis pas le basket, par exemple, je n’y connais rien au base-ball, j’en n’ai rien à foutre des sneakers… »

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Sur Welcome to the Jungle, il mélange donc pop, rap et accents soul -sans jamais approcher le génie de ses idoles, mais avec assez de dextérité que pour plaire au plus grand nombre. En outre, s’il continue de faire miroiter son plus bel accent américain, il glisse ici et là quelques touches plus personnelles. Comme le morceau E A Verdade, chanté en portugais. « Ado, j’ai pratiqué pendant quatre ans la capoeira. J’écoutais ces sons brésiliens en boucle. » En l’occurrence, il s’agit souvent des chants de combat, entonnés par les anciens esclaves, débarqués en Amérique latine. « Ce ne sont pas forcément des chants heureux, mais ils sont interprétés de manière à vous donner de la puissance. C’est parfois ce que j’essaie de faire aussi avec mes sons. J’essaie de transformer des choses assez sombres pour donner de la puissance aux gens. Dans le fond, même si mon disque a un côté très sombre et vulnérable, je m’identifie plus à un guerrier qu’à quelqu’un de fragile. »

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Ailleurs, Rilès glisse encore quelques mots en arabe. Une manière de rappeler ses origines, nés de parents algériens immigrés en France. « Ils m’ont fait écouter pas mal de musique orientale, des chanteurs kabyles aux grands orchestres classiques arabes. » Le père de Rilès a d’ailleurs été lui-même musicien. Alors, quand le fiston part jouer pour la première fois à Alger, il y a un an d’ici, au Théâtre de verdure Laâdi Flici, le concert prend forcément une autre connotation. « Mon père a même fait la première partie. Vingt ans plus tôt, il avait déjà joué au même endroit avec son groupe. Toute la famille était là pour voir ça. C’était incroyable. Dans ces moments-là, vous vous dites forcément qu’il y a quelque chose au-dessus de nous qui tire les fils… »

Rilès, Welcome to the Jungle, distr. Universal. ***

Le 20/11 au Palais 12, Bruxelles.

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