Radio Soulwax: « 24h, c’était le minimum »

Pendant plus de 2 ans, les frères Dewaele ont bossé sur un mix géant de 24 heures. Avec, pour chacun des 24 thèmes, un film d’une heure, décliné sous la forme d’une application iPhone, iPad. Un travail de titans. Pour pas un rond… Explications lors d’une rencontre exclusive…

Pas certain qu’ils n’y aient pas laissé une partie de leur santé mentale. Il y a 2 ans et demi, les frères Dewaele se lançaient dans un pari un peu dingue: réaliser 24 mixes de 60 minutes, piochant dans leur discothèque géante. A chaque heure, son thème. Et à chaque heure, son film, basé sur les pochettes des titres mixés. A la base, les artworks étaient animés un peu à la manière des petits films des Monty Python: minimaliste et absurde à la fois. Rapidement, Stephen et Dave Dewaele ont cependant cherché à varier les plaisirs… Le 4 juillet dernier, Radio Soulwax était ainsi lancée, avec 6 premiers « épisodes ». Sous la forme d’une radio en ligne, mais aussi d’une application pour smartphones et tablettes numériques.

Dernier détail: le tout est disponible… gratuitement. La condition sine qua non pour pouvoir diffuser les milliers de morceaux utilisés, sans avoir à engager une armée d’avocats chargés d’obtenir tous les droits -rien que la première heure de mix, baptisée Introversy, enchaîne quelque 500 intros de morceaux différents… Conséquence: les frères Dewaele ne peuvent espérer aucune rentrée de leur radio. Trois ans ou presque de boulot pour rien. Pour la seule beauté du geste. En anglais, on appelle ça un « labour of love »…

Ancien et nouveau régime

Pour en parler, on retrouve les 2 frères dans leur repaire gantois. En plein centre-ville, une porte sans numéro, un escalier en bois étroit qui mène à une petite cuisine, puis, 3 marches plus loin, un studio rempli de machines, d’instruments et de bacs de vinyles. Un tas de vieilles VHS aussi avec, au-dessus de la pile, une compilation vintage new beat. Sur la table, au milieu de ce qui sert de salon, une théière avec une infusion au jasmin dans laquelle ont été plongés des quartiers d’orange: la boisson énergétique du moment… Pas inutile, à voir les visages cernés des gaillards. Pour la session photo, les rideaux ont été légèrement ouverts, faisant passer un minimum de lumière naturelle. « D’habitude, ils sont totalement fermés, sourit Dave. Déjà comme ça, c’est trop pour nous. »

Il n’a pas été simple d’attraper les 2 frangins, à l’agenda surbooké. La semaine précédente, les funérailles de DJ Mehdi, un pote, avaient une nouvelle fois reporté le rendez-vous. Mais une fois sur place, Stephen et Dave se montrent ultradisponibles, affables, intarissables sur leur moteur principal: la musique.

Faut dire qu’ils sont tombés dedans dès le plus jeune âge. Leur père, Jackie Dewaele alias Zaki, a été le premier Monsieur pop/rock de la BRT. Dès 96, ses 2 fils lançaient Soulwax, qui s’arrimera à la vague rock belge du moment. Le groupe tourne pas mal à l’étranger. Mais c’est un autre projet qui va dynamiter leur trajectoire. En 2002, ils sortent sous le nom de 2ManyDJ’s un mash-up qui fera date: sur As Heard on Radio Soulwax Pt. 2, les rappeuses de Salt’N’Pepa font danser les Stooges, les Destiny’s Child se frottent à Ten CC et Dolly Parton se retrouve dans les bras du duo électro norvégien Röyksopp… Dès ce moment-là, les frères Dewaele ne cesseront de tourner à travers le monde, DJ ultracotés qui ne laisseront pourtant jamais tomber leurs amours rock avec Soulwax. A cet égard, ils tombent pile poil, raccords avec une époque où l’électronique prend un sérieux virage rock, sinon dans la musique, au moins dans l’énergie.

Aujourd’hui encore, Dave et Stephen Dewaele ont choisi de ne pas choisir: entre rock (un nouveau Soulwax est dans l’air) et musiques électroniques, tout s’enchaîne et s’imbrique. Boulimiques, ils jouent les passeurs, d’un monde à l’autre. D’ailleurs, leur radio est une autre passerelle dans son genre. Elle a beau se conjuguer au futur présent, disponible pour iPhone et autre iPad, elle s’arque sur l’ancien modèle: en mettant en scène les pochettes, elle célèbre le support physique, ce truc superflu que l’on pensait voué à disparaître. Paradoxal? On laisse la fratrie s’expliquer…

Quelle était l’idée de départ avec Radio Soulwax?

Stephen: Pendant 10 ans, on n’a cessé d’avoir des demandes pour faire un nouvel album en tant que 2ManyDJ’s. Mais franchement, on l’a déjà fait, on ne voyait pas trop l’intérêt de le refaire. Jusqu’au jour où l’on nous a proposé de l’accompagner d’un show. Au départ, cela nous semblait compliqué. Un DJ sur scène, vous pouvez mettre les lasers et les effets que vous voulez, c’est toujours la musique qui reste le plus important. Du coup, on s’est dit qu’on pouvait peut-être simplement jouer avec les pochettes de disques, en les montrant sur grand écran. En fait, avant, cela se passait souvent comme ça: quand j’étais jeune, en soirée, les DJ prenaient la pochette et la mettaient devant leur desk. Vous pouviez voir ce qu’ils jouaient. Du coup, même si vous ne connaissiez pas le morceau, vous pouviez le retrouver au magasin de disques le lendemain. A partir de là, on a commencé à imaginer comment présenter le projet de manière originale…

Pourquoi s’être braqué sur l’idée de pondre 24 heures de mix?

S.: Pour As Heard On…, on avait mixé 54 morceaux sur un seul disque et cela nous avait déjà paru très frustrant. On a plein de musiques dans nos têtes, plein de thèmes à exploiter. Donc 24, c’était un peu le minimum…

Dave: Je me rappelle avoir lu une interview d’un des membres de Kraftwerk. Il parlait des nouvelles manières d’expérimenter la musique: le fait que les gens peuvent en écouter partout, tout le temps, avec le streaming, les portables… A l’époque, il expliquait que s’il faisait encore un album avec Kraftwerk, ce ne serait plus aussi linéaire. Il imaginait une pièce de musique qui dure un jour. J’ai trouvé l’idée très bonne! On ne se doutait pas que cela allait prendre autant de temps… En fait, c’était une idée débile (sourire).

Ce sont les visuels qui vous ont demandé autant d’énergie?

D.: Les premiers étaient relativement simples, à la manière des petites animations en gif. Mais petit à petit, on s’est pris au jeu pour finir par tourner de vrais films. Chaque thème a une approche différente: l’un est composé uniquement de riffs, un autre seulement d’intros, etc… On faisait l’audio, puis on se retrouvait ici pour pondre un story-board nous-mêmes, avant d’en discuter avec les animateurs…

Vous avez une formation audiovisuelle?

S.: J’ai fait des études de réalisation à St-Lucas, à Bruxelles… La question qu’on nous pose souvent, c’est « pourquoi? ». On n’avait jamais de réponses claires à donner, jusqu’à ce qu’un jour une copine nous dise: « Ben, simplement parce que vous le pouvez. » Et c’est vrai: on a la possibilité de le faire. Alors, pourquoi se priver? On a ce luxe grâce au live. Il n’a pas fallu aller mendier dans les maisons de disques pour financer le projet.

Un projet qui ne va rien vous rapporter…

D.: C’était impossible d’avoir tous les droits de tous les morceaux. Donc on a dû créer une radio online. Ce qui nous a permis aussi d’embrayer avec les applications pour iPhone, ainsi que pour l’iPad, qui est arrivé pendant qu’on bossait sur le truc. Notre société est basée en Angleterre, et la licence de diffusion à laquelle on a souscrit permet aux gens de télécharger les shows. On paie un forfait par an, comme le font Pure FM ou Stubru. A partir de là, vous pouvez jouer le même morceau 24h/24, ou en diffuser 1000 différents en une heure.

Et pour le droit des images?

D.: C’est une licence « general entertainment broadcast ». Elle nous permet de diffuser des images qui correspondent à la musique. Après, cela devient un petit peu flou (sourires)… Pour l’instant, personne ne s’est plaint. Le fait est qu’on a essayé d’être très respectueux. Pour nous, c’était une manière de remettre en avant une forme d’art qui s’est perdue avec la dématérialisation de la musique.

Vous avez parfois sélectionné des morceaux à cause de leur pochette?

S.: Bien sûr! Un exemple: une heure est uniquement constituée de pochettes avec des femmes nues, des pin-up… Puis, quand vous avez 300 morceaux et que vous devez en garder 50, la pochette est forcément un des critères qui rentrent en compte. Depuis 2, 3 ans, on bosse avec quelqu’un qui digitalise directement tous les vinyles. Du coup, on a une grande banque de données avec la musique, les visuels… C’est plus simple.

Vous possédez combien de disques?

D.: La plus grosse partie est entreposée pour l’instant dans un Shugard. La dernière fois, on devait tourner autour des 60000. Mais on n’arrête jamais…

S.: Le problème c’est qu’aujourd’hui, ce sont les collectionneurs et les magasins qui nous contactent pour nous prévenir quand un nouveau stock vient d’arriver… Ce n’est pas bien pour nous, pour notre portefeuille… (rires). On se dit qu’on va finir comme ces types dans les magasins de vinyles d’occasion, comme dans le livre High Fidelity de Nick Hornby: le genre de gars un peu bizarres, un peu nerds. Foncièrement, ils ne veulent pas vraiment vendre leurs disques, vous devez toujours leur prouver que vous vous y connaissez un peu…

A l’heure d’Internet, collectionner a-t-il encore un sens?

D.: Non pas vraiment. Avant, il fallait parfois faire le tour des disquaires pendant 10 ans avant de trouver le morceau que vous cherchiez. Aujourd’hui, en 30 secondes, vous y avez accès. C’est super! Et vous pouvez même le faire à 3 h du mat’: vous ne trouverez pas de disquaire ouvert à 3 h du mat’… Cela étant dit, au bout du compte, il faut quand même qu’on mette la main sur l’objet…

Quand avez-vous commencé à collectionner les disques?

S.: Dès 12 ans. Notre père était DJ, il travaillait à la BRT. Il ramenait tous les disques qu’il recevait à la maison. Je complétais en passant chez Music Mania: les 1ers Rough Trade, les 1ers Virgin Prunes, les trucs sur lesquels il n’accrochait pas.

D.: En tant que petit frère, je ne pouvais que suivre (sourires). Tout le monde était dingue de musique à la maison, ma mère y compris. C’était comme manger, aussi naturel que ça.

S.: Il y avait des disques partout. Encore aujourd’hui, quand j’entre dans un magasin de vinyles, je peux dire que tel album était rangé à la maison, dans telle étagère, entre les 2 chaises…

Finalement, vous ne seriez pas un peu des no life?…

D.: Euh, la réponse est oui (sourires). Désolé. C’est vrai. C’est pour ça qu’on ne connait pas d’endroits pour faire des photos. On ne connait que ça (Il désigne les tas de vinyles autour d’eux, ndlr). Ça, c’est notre vie…

Entretien Laurent Hoebrechts

À écouter sur RadioSoulwax.com ou à télécharger sur l’Appstore ou l’Android Market.

Les trailers pour chaque mix sont disponibles sur www.youtube.com/soulwax.

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