Premier album de YellowStraps, enfin prêt pour le décollage

© Clotilde Billiette
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Après avoir frôlé le K.-O., YellowStraps franchit brillamment le cap du premier album, avec Tentacle, pépite électro-soul sensible, idéale pour sublimer le spleen amoureux.

Il y a ceux qui débarquent en défonçant la porte du succès sans sommation -quitte à se prendre plus tard les pieds dans le tapis du buzz. Et puis d’autres qui préfèrent prendre leur temps. Tout leur temps. Il y a maintenant dix ans, YellowStraps postait sur SoundCloud un premier titre marquant, Pollen. Une ballade éthérée, assez forte que pour le placer sur les radars de l’industrie. Le duo formé par Yvan et Alban Murenzi va pourtant éviter de se précipiter, évoluant à son rythme. Une décennie plus tard, voici donc qu’arrive seulement Tentacle, premier album… qui a bien failli ne jamais voir le jour.

C’est que les embûches n’ont pas manqué. À commencer par le Covid. Le duo aura beau rebondir avec un projet collaboratif baptisé Yellockdown, conçu pendant le confinement, la course de fond laissera des traces. Début 2021, Alban lâche prise. Depuis, Yvan est seul aux commandes. “Quand il a pris sa décision, je n’ai pas compris tout de suite. Pour moi, YellowStraps c’était pour la vie! (sourire) L’identité du projet, c’était vraiment nous deux.” Passé le choc, le grand frère décidera malgré tout de s’accrocher. À écouter Tentacle, densifiant encore la soul électronique développée par le binôme, il a bien fait…

Les histoires d’A

Nés au Rwanda, arrivés en Belgique en 2000 après un détour par l’Ouganda, Yvan et Alban grandissent du côté de Braine-l’Alleud. Ados, ils plongent d’abord dans le rock, apprenant leurs premiers accords avec Nirvana et les Arctic Monkeys. Et puis un jour, les frangins tombent sur King Krule, English teenager à la voix d’ogre, dont la poésie de caniveau les amène vers des accords jazz et des textures plus électroniques. Celles-là mêmes qu’a commencé à explorer leur pote Fabien Leclercq alias Le Motel, avec qui ils butinent le fameux Pollen.

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La suite est connue, faite de hauts (une session Colors, une récompense aux Elektropedia Awards) mais aussi de pas mal de bas. Début 2020, juste après la sortie de leur troisième EP, Goldress, YellowStraps semble enfin tenir le bon bout quand la pandémie met un nouveau coup d’arrêt. “Très vite, j’ai compris qu’il allait falloir s’activer, trouver un truc pour ne pas plonger définitivement.” Dès le début du confinement, Yvan et Alban s’imposent comme défi d’écrire un morceau par jour, en collaboration avec une série d’invités.

Cela donnera le projet Yellockdown, publié en octobre 2020. Sur la pochette, Yvan et Alban sont assis aux deux extrémités opposées d’un long canapé… “Prémonitoire, hein”, sourit Yvan. Quelques semaines après la sortie, Alban confie en effet sa lassitude. “Après Yellockdown, l’idée était d’enchaîner avec l’album. C’est à ce moment-là qu’Alban s’est rendu compte qu’il n’y était plus trop. Quand ce qui était à l’origine une passion devient aussi ton boulot, ça change quand même pas mal de choses… Il n’avait plus la même flamme.” Des heures de discussion n’y changeront rien. Le 31 décembre, Alban débranche la prise. Est-ce que je lui en ai voulu? Au début, peut-être un peu. Mais j’avais déjà vu ça avec nos potes de L’Or du Commun: quand Félé Flingue est parti, je n’avais pas compris non plus. Faire de la musique n’est pas un choix de vie simple. Si tu n’es pas déterminé et concerné à 200%, c’est dur de continuer…

Yvan va, lui, s’accrocher. Avec l’idée, quitte à se retrouver seul, “de développer une musicalité plus personnelle, en allant creuser dans des endroits où je ne serais probablement pas allé auparavant”. Non pas qu’avancer en duo ait créé des frustrations, “mais ce n’est pas la même énergie. En solo, Yvan approfondit la mélancolie électronique, rappelant volontiers le spleen urbain de groupes made in UK tels Mount Kimbie ou James Blake. Au point d’ailleurs de se retrouver invité l’an dernier sur la compilation Blue Note Re:imagined II, via laquelle le célèbre label jazz conviait la “nouvelle scène jazz, soul, et r’n’b anglaise” à piocher dans son prestigieux catalogue (le Caravan de Duke Ellington, dans le cas de YellowStraps).

© National

À côté de ces fondamentaux, Yvan tente aussi de nouvelles directions, notamment dans la façon de faire sonner la voix. “J’ai regardé plein de tutos sur YouTube, essayé un tas de plug-ins… J’ai parfois doublé le chant, ou pris juste une note que j’ai déformée pour la faire sonner quasi comme une guitare, etc. J’ai même utilisé l’autotune, alors qu’avant, comme beaucoup, je pensais que c’était uniquement destiné à ceux qui ne savaient pas chanter, alors qu’en fait, c’est juste un effet comme un autre.

Dans sa volonté d’élargir la palette de YellowStraps, Yvan cherche de nouvelles couleurs, “tordant des nappes de synthé pour les rendre plus dures” -comme sur Necklace et ses coulées de synthé saturé à la Kanye West; ou, en revenant “aux inspirations plus rock des débuts”, à l’instar de Merci, l’un des deux morceaux en français de l’album, en compagnie de Roméo Elvis et Swing de L’Or du Commun. Le premier invité annonce: “Si quelqu’un venait à pouvoir nous freiner/je l’en remercierais du fond du cœur”, tandis que le second chante: “J’ai une chose/demain je voudrai le contraire”. Visiblement, les deux ont bien cerné la psychologie volontiers tourmentée de leur hôte…

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Chez YellowStraps, en effet, rien n’est jamais simple -et certainement pas les amours. À la fois sensibles et cérébrales, les chansons de Tentacle mâchouillent leurs états d’âme. “On me dit souvent que j’ai tendance à être un peu dans mon monde. Sans doute un peu trop. Après, le métier que je fais pousse aussi à ça, à être tout le temps dans la réflexion, la remise en question.” Cela donne par exemple un clip comme Novice -batte de base-ball à la main, Yvan tabasse son double. Ou de manière plus évidente encore, la pochette de Tentacle.C’est un disque qui tourne exclusivement autour de la contrainte amoureuse, des paradoxes de l’amour, de la complexité des relations humaines, etc. À un moment, j’ai eu cette image d’une camisole à plusieurs manches. On y retrouve à la fois le côté “bloqué” et névrosé des relations qui ne marchent pas, mais aussi l’affection des bras qui entourent et rassurent. Quelque part, cette dualité résume bien l’album.

Yellowstraps, Tentacle (8), distribué par Haliblue/Universal. En concert e.a. le 09/02, à l’AB, Bruxelles.

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