Critique | Musique

Phoebe Bridgers, vers l’infini et au-delà

© DR
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Le second album de la jeune californienne offre de larges orchestrations et des textes qui saignent d’un réalisme magique. Et cette voix…

L’appellation folk-pop qui titre cette page est approximative. Et c’est l’une des qualités majeures de Phoebe Bridgers, née en août 1994 à Los Angeles. La jeune femme ressemble drôlement fort à ses chansons. Une blonde qui n’en est pas une, traversant les styles de musique comme on flirte avec les gentils fantômes: au-delà des différentes frontières théoriques séparant folk, pop, americana, country et même orchestrations de cordes fluviales. Révélée en 2017, elle propose cette année-là un premier album personnel et puis boucle un EP sous l’étiquette du groupe Boygenius et une collaboration avec Conor Oberst. Faut pas être grand mage pour comprendre l’attractivité exercée par Phoebe, soit une voix qui ressemble à ces fleurs de papier qu’on jette dans l’eau au Vietnam et qui grandissent démesurément. Sur un fil confessionnel qui donne l’impression qu’elle nous chante à l’oreille tous ses rauques intimes de demoiselle complexe avant d’embarquer dans d’éventuelles bacchanales, pas seulement vocales. C’est le cas de l’ultime morceau de l’album entamé comme une berceuse, conte onirique de soirée tranquille qui, peu à peu, se déploie en IMAX orchestral, I Know the End, bombardant la fin du titre de 5 minutes 45 secondes de dissonances cataclysmiques. La musique gonflant jusqu’à la jouissance ultime, là où il ne reste plus qu’à la Terre à imploser dans l’infini cosmique. Ou plus simplement, dans la propre psyché de Bridgers. Si Hollywood n’a pas de musique pour son prochain film sur l’Apocalypse, ceci devrait faire l’affaire. Y compris via les râles ultimes de la chanteuse, qui souffle comme on le fait sur une vitre pour en dissiper la buée. Même si ce n’est sans doute pas l’intention première.

Phoebe Bridgers, vers l'infini et au-delà

Réalisme magique

Ce trajet entre le « Je » et le « Nous » suprême, qui préside au sens des chansons, est synchrone avec le caractère de leur autrice. Qu’elle résume en déclarant à propos de cet album: « Le pire pour moi, c’est quand quelqu’un est vraiment agréable, quand tu sais que ta réaction vis-à-vis de ce genre de personne va lui être importante alors que la conversation reste douloureuse ». On comprend bien que la simplicité ou la polarité classiques des sentiments humains ne font pas partie du biotope Phoebe, confirmant qu’il y a peu de créations fertiles si quelques fissures ne s’immiscent pas aux racines. « I actually fuck with my art », précise la blonde dans le communiqué de presse, histoire de bien faire entendre que son compas personnel ouvre des horizons émotionnels sans cesse balancés entre nord frigorifique et tropiques de l’esprit. Pas pour rien qu’elle se réfère volontiers au réalisme magique de l’écrivaine Carmen Maria Machado, cette dernière se présentant elle-même comme l’héritière des Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez…Tout ce processus de réhabilitation de soi -à 25 piges…- pourrait donner un album pesant, mais de Kyoto –rare upbeat de son répertoire- au splendide Savior Complex, Miss Phoebe marque les chansons d’un talent idéalement aérien.

Phoebe Bridgers

« Punisher »

Distribué par City Slang.

8

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content