« On s’en fout après tout, La Muerte, c’est du rock’n’roll »

La Muerte, de gauche à droite: Didier Moens, Christian Z, Michel Kirby, Tino de Martino et Marc Du Marais. © Philippe Cornet
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

La Muerte crame ses années 80-90 « entre Salvador Dali et les Stooges » en snipers du plomb fondu, puis se sépare. Les deux fondateurs bruxellois, alliés à trois nouveaux venus métalleux, ramènent aujourd’hui leur terror’n’roll à l’AB.

« Quand la répétition est finie, j’ai l’impression d’être un peu ivre, alors que j’ai bu une demi-bière », dit le chanteur. Un vendredi soir dans le ventre souterrain de Bruxelles, La Muerte 2015 répète en un vaste local propret à l’allure d’abri anti-atomique. Vu le bombardement sonore exercé, la topographie du lieu n’est pas superflue, la charge de La Muerte semblant physiquement capable de mettre KO n’importe qui sans protection auditive. Pourtant Marc, oreilles libres, reste debout, en vrai psycho-beugleur qu’il est. Aujourd’hui, « revenant du boulot », il porte une fine veste satinée bleu azur et un bonnet laineux avec marque de soda: une moustache dartagnantesque parachève le look entre joueur de baseball sous surveillance électronique et cousin suspect de Robert De Niro. « La notion de transgression est inhérente à La Muerte, comme le fait pour certains que l’on représentait le péché. A nos débuts, pour les bluesmen on n’était pas blues, et les métalleux trouvaient que je ne chantais pas assez haut, Didier n’ayant pas LE riff metal, même si moi, je trouve les siens épatants. On s’en fout après tout, La Muerte, c’est du rock’n’roll. » Le Didier en question, Dee-J en version guitariste, est de la même génération quinqua que Marc: cheveux neige, sweat, T-shirt Ali (le boxeur, pas le cousin du prophète). Et il était là quand tout a commencé.

Cabinet de curiosités

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1983. Le surnommé Marc « Marine » pour sa participation vocale au combo funky-branchouille bruxellois Marine a une révélation. Déjà impressionné par le New-Yorkais James White, il se prend la claque Birthday Party au Plan K, le 15 octobre 1982. Choc noisy méta-tellurique qu’il met dans sa propre ligne de mire immédiate: reprendre le schéma ultra où se croisent diverses influences primaires -rock, blues, psychobilly, garage- et les refondre dans son propre ADN. C’est là que l’Ucclois Marc, glandeur scolaire devenu ébéniste, rencontre le Schaerbeekois Didier, ex-punk étudiant en animation. « La première répétition, c’était avec un batteur, Rabbi, qui donnait le rythme entre Marc et moi: Marc a vidé sur le sol un sac plastique contenant des textes et a commencé à gueuler des trucs. On s’est arrêté après dix minutes mais la connexion était faite. » La Muerte sort son nom d’un poème de Garcia Lorca, et défie surtout la petite mort du rock: la « voix de loup » de Marc y pousse des graves impensables, laryngectomisés, comme si Saint Nick Cave revenait visiter Lascaux. Beau comme un carburateur. Didier, lui, enchaîne des guitares sombres scalpels alors que la section rythmique -qui changera souvent de têtes- coule gentiment tout cela dans un bloc de ciment frais. L’échelle de Richter adore.

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Marc: « J’ai un moment habité avec Didier dans un appart qui ressemblait à un cabinet de curiosités, jouant avec toutes ces images venues du cinéma, de la musique, des arts qui me fascinent toujours. La Muerte est un groupe à lectures multiples, comme le cartoon qui peut aussi être extrêmement violent: cette violence, on la détournait par des éléments ludiques. » Plus référencés trashy-série B donc que bikers greasy premier degré, même si Marc fait de la moto et aime les gaz d’échappement chez Roger Corman. Ainsi, l’écriture des chansons est souvent construite sur le principe hasardeux du cut-up(1) où le vocaliste-auteur chope des textes aussi divers que « L’Enfer de Dante, du Lautréamont, des dialogues de films, du James Ellroy ou le manuel d’entretien de la Chevrolet », les hache menu et verse les mots chauds dans le cyclone sonore. La reconnaissance est quasi immédiate pour ces faux mercenaires nécrophiles qui incendient pareillement originaux et reprises, comme le Wild Thing des Troggs ou le Lucifer Sam du Floyd période Barrett. En Angleterre, le très mode magazine ID, puis Sounds, Melody Maker ou le NME tissent des étoiles au groupe qui se fait une forte réputation européenne de tuberculeux tasty, amateurs de starlettes tatouées et de gros cubes customisés. Indice suprême: John Peel les invite « pour pas un balle » à l’une de ses fameuses sessions radios BBC. La fièvre sexy-mazoutée pétrole grosso modo de 1984 à 1994, via une dizaine d’albums et d’EP’s. Puis la bande jette l’éponge après un dernier disque live, Raw, possiblement à court de carburant.

Hémoglobine chaude

Mis à part une prestation à Dour en 1997 et un DVD molosse sorti en 2009, La Muerte se fait surtout remarquer ces 20 dernières années par un assourdissant silence. Didier turbine dans un studio son, assume des productions, alors que Marc « remplit le frigo en bossant dans la déco de films ». Justement, sous une kyrielle de pseudos -dont celui de Marco Laguna-, notre hurleur maison se fait une réputation de réalisateur téméraire via une dérision à l’hémoglobine chaude et aux cylindres huileux, clips, docs et courts métrages. « Sur le tournage de Dago Cassandra, mon premier long à sortir j’espère en 2015, j’ai travaillé avec une actrice flamande, Delfine Bafort -bénévole comme tous les participants au film. Quand elle m’a demandé si La Muerte pourrait faire une performance dans le club-galerie de Gand qu’elle tenait avec son copain, fan du groupe, je n’ai pas pu dire non. » Le 8 novembre dernier, La Muerte dépasse le contrat initial de quatre titres et en enfourche le double devant le public gantois, sourd de plaisir. Entretemps, malgré sa réticence initiale, Didier a rejoint Marc, préparant l’affaire avec trois musiciens, plus jeunes, issus du métal, « plus un choix de relations et d’amitiés que de genre musical »: le batteur Christian Z. et le guitariste Michel Kirby, du groupe Lenght of Time, plus le bassiste Tino de Martino, de Channel Zero. Sans, of course, la moindre relecture nostalgique du tumultueux passé. Didier: « Cette formule retrouve la genèse de 1984, un assez chouette sentiment de virginité, un travail à la fois de décomposition et de recomposition. » Bref le retour des vivants même pas morts.

(1) PRINCIPE LITTÉRAIRE EXPÉRIMENTÉ E.A. PAR WILLIAM BURROUGHS QUI CONSISTE À ASSEMBLER DE MANIÈRE ALÉATOIRE DES BRIBES DE TEXTES POUR EN COMPOSER UN AUTRE.

En concert le 7/01 à l’Ancienne Belgique et dans les festivals belges cet été, dont Dour. www.facebook.com/lamuerte.be

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