Nayra, « chanteuse de rap », et flamme libre

Nayra: “Quand on me ferme une porte, c’est toujours une motivation pour moi de la casser pour faire passer tout le monde.” © Alexinho
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Bonne nouvelle: la case “rappeuse” explose enfin, se fissurant sous les multiples propositions. Exemple avec Nayra, au flow intrépide et à la personnalité flamboyante. Présentation avant son prochain concert, lors de la soirée Volumineuses, ce samedi, à Bruxelles.

Il y a plusieurs Nayra. Ce jour-là, on en rencontre au moins deux. D’abord, celle qui vous accueille dans sa loge, peu avant son concert, l’œil blagueur, post-ado passablement dissipée et agitée. Et puis, quand l’interview démarre, l’artiste, toujours rieuse, mais concentrée, le regard intense, comme investie d’une mission. Cela se corse même encore quelques heures plus tard. Ce soir-là, sur la scène de l’Ancienne Belgique, Nayra rappe, chante, passe d’un morceau aux sonorités orientales à un beat plus synthétique, d’un titre introspectif à un élan collectif. La jeune femme danse, saute, descend dans le public, rit, et finit même par écraser quelques larmes. Une vraie tornade. Aussi difficile à contenir qu’à cerner. C’est sans doute le but.

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Avant de revenir en festival cet été (à Dour), Nayra sera l’une des invitées de la prochaine édition des Volumineuses, le 9 mars, à l’Espace Magh, à Bruxelles. Un événement festif prônant un féminisme “inclusif et intersectionnel” qui cadre bien avec la posture combative et les origines de Nayra. Sans que l’on puisse l’enfermer dans une case. Ou la résumer à un “quota diversité”, comme elle le rappe sur Zmagria

Le morceau en question est tiré de son dernier EP, Riah. Paru à la fin de l’année dernière, c’est un bon exemple de son éclectisme. Les sonorités électro saturées (Tarée) ou les refrains UK garage nineties (Vide) cohabitent par exemple avec les qraqebs, ces castagnettes métalliques marocaines (Toutàiep). Quelque part entre Wallen et MIA, Nayra kicke et cajole, revendiquant à la fois la figure d’Aïsha Kandisha, personnage mythologique du folklore marocain, et la rappeuse Casey.

Seine Saint-Denis style

À cet égard, elle illustre bien le dynamisme actuel du rap au féminin (lire plus loin). Et surtout sa diversité. Pas question pour Nayra de se laisser coincer dans un moule. Sur le morceau Tornade, qui ouvre son EP, elle rappe: Qu’on me demande d’être la nouvelle Diam’s, je crois que c’est ça le pire.” C’est une phrase qui est souvent mal perçue. J’ai un respect immense pour Diam’s. C’est quelqu’un qui m’a énormément inspirée, en prouvant notamment qu’au-delà de ses qualités techniques indéniables, la sincérité et l’authenticité pouvaient vendre. Mais depuis qu’elle a décidé de s’arrêter, l’industrie musicale -des maisons de disques aux médias- a induit l’idée que la place qu’elle a laissée vacante était la seule à prendre pour une femme. Aujourd’hui en 2024, il y a encore des médias pour titrer sur la “nouvelle Diam’s” ou des labels qui vous disent: “Non merci, on a déjà une rappeuse dans notre catalogue.” Alors qu’il n’y a jamais eu autant de propositions hyper fortes et hyper différentes.

De l'énergie aux larmes sur scène…
De l’énergie aux larmes sur scène… © Nnoman

De père égyptien et de mère marocaine, Ayat, de son vrai prénom, est née en 1998, à Saint-Denis. “Le berceau du hip-hop en France. Oui, vous avez bien lu: la dionysienne a bien dit “hip-hop”, terme que l’on pensait pourtant ne plus entendre que dans la bouche de vieux quadras blancs nostalgiques des premiers âges du rap. “Justement, c’est bien de se réapproprier parfois les choses. Pour moi, les mots sont importants. Chacun a une histoire, une origine. J’utilise volontairement le terme hip-hop parce qu’il regroupe d’autres choses qui vont au-delà du rap. Des valeurs, une mentalité. une communauté. D’autres arts aussi, qui sont hyper mêlés les uns aux autres. Et qui viennent d’un sentiment de rejet, de marginalisation.

Vers la lumière

Nayra n’a toutefois pas grandi en écoutant Le Monde de demain ou L’École du micro d’argent en boucle. Mais bien des rappeurs comme Niro ou Lacrim. Elle compose ses premières chansons à 13 ans. Très vite, elle publie ses freestyles, enregistrés dans sa chambre, ou s’invite dans des open mic, entourées de garçons. Au départ, elles sont deux sur scène. “Avec ma cousine Nora. C’est d’ailleurs en contractant nos deux prénoms que ça a donné Nayra.” Qui est également un dérivé de Nour, “qui veut dire lumière. C’est l’éclat de lumière, en quelque sorte.

La cousine finit par décrocher, mais elle s’accroche. Qu’est-ce qui l’a fait tenir bon? “C’est un peu mystique ou spirituel. Mais disons que je sentais que ce que j’étais en train de faire me dépassait. Et que ça pouvait me guérir moi, mais aussi éventuellement d’autres, d’un tas de traumas communs, générationnels, etc.” Alors Nayra fonce. Aînée d’une fratrie de trois, elle cumule école, petits boulots et musique. À 18 ans, elle signe en maison de disques. “Mais après un single, tout s’arrête, pour des raisons qui ne me concernaient pas. Je me suis retrouvée à aller devoir récupérer les contrats, etc.” Au même moment, elle passe le bac et s’inscrit à la Sorbonne. Elle y est toujours, terminant un master en industries culturelles et créatives.

À côté de l’université, elle ne lâche pas pour autant ses ambitions musicales. Il y a deux ans, elle rencontre notamment le beatmaker/compositeur Leny (Magoufakis), qui l’aide à assouvir ses différentes envies musicales. Un éclectisme qui “était mal perçu dans le label dans lequel j’étais. On me disait que c’était “illisible”, qu’on ne comprenait pas où je voulais en venir. Alors, oui, c’est déstructuré. Mais c’est le but! Si c’est aussi radical, c’est précisément parce que ça n’est pas hésitant, que c’est pensé comme ça. L’idée est d’exprimer toute ma personnalité, et que chaque note, chaque strate de chaque instru, corresponde à une émotion bien précise.

Chanteuse de rap

Que cela implique de rapper ou de chanter, peu importe. Dans un entretien avec le sociologue Karim Hammou, Nayra explique même que le chant est aussi une manière de reprendre la main sur ces rappeurs qui, en découvrant l’autotune, ont “mélodifié” de plus en plus leur flow. Tout en ne se limitant pas non plus au simple rôle de chanteuse qu’on n’invite que pour le gimmick r’n’b. Nayra précise: “C’est juste que je ne me suis jamais posé la question de mon genre, et de ce que je suis capable d’accomplir ou pas. Le fait est que j’ai toujours chanté. Et qu’en même temps, j’ai grandi dans un milieu où tout le monde autour de moi rappe. Donc, je veux pouvoir faire les deux.

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L’an dernier, quand elle se retrouve dans Nouvelle École, le télécrochet rap de Netflix, et que Niska fait mine de s’étonner qu’elle puisse passer de l’un à l’autre, elle décoche un: Je suis chanteuse de rap”. Nayra ne sera pas sélectionnée pour la suite, mais sa participation éclair ne passera pas inaperçu. Sur Twitter, les réactions vont même se multiplier, s’indignant de son élimination précoce. Il y a des défaites qui ressemblent parfois à des victoires… Sur son propre compte, Nayra finit par réagir et remercier les internautes. Au passage, elle glisse encore: “Je suis une meuf du 93, quand on me ferme une porte, c’est toujours une motivation pour moi de la casser pour faire passer tout le monde.” Et à nouveau l’idée que la quête perso peut emmener les autres dans son élan.

Une larme, un sourire

Tout feu tout flamme, Nayra est donc cette artiste intense, qui a autant écouté la grande chanteuse Warda que Booba. Cette zmagria, enfant d’immigrés, perçue comme Française au bled, et Marocaine en France, qui célèbre ses origines amazigh en se décorant les mains et le visage de tatouages berbères. Une jeune femme racisée, qui chante sur le rap, et rappe sur la mélodie. Et donc une artiste qui, pour rester la plus authentique possible, a choisi de ne pas choisir.

Ce qui n’est pas un luxe mais visiblement une nécessité, pour celle qui est capable de sauter en l’air sur un morceau et de fondre en larmes sur le suivant. “Là d’où je viens, on n’a pas le choix. Faut être les deux. Accepter les choses dans leur entièreté. Tu ne peux pas être vulnérable sans développer une combativité au moins équivalente. Il faut développer les ressources nécessaires pour pouvoir défendre cette vulnérabilité, et que ça ne devienne pas une faiblesse.

Nayra, Riah, distr. Grow. En concert aux Volumineuses ce 09/03, à l’Espace Magh, Bruxelles.

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