Matt Elliott: folkeur à fleur de peau

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Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Sur le déchirant The End of Days, le troubadour écologiste et anticapitaliste Matt Elliott se met au saxophone et chronique un monde qui court à sa perte.

Jadis, Matt Elliott était un grand fumeur. Quand il a arrêté la clope, il s’est mis à calmer sa rage sur un vélo. “Soit je roulais comme un cinglé, soit je me déchaînais sur des mecs qui faisaient de la merde au volant. À Nancy, je suis davantage connu pour rager contre les chauffeurs que pour ma musique. Je suis ce connard d’Anglais qui hurle tout le temps sur les automobilistes.” Les temps changent. Le formidable singer-songwriter n’a toujours pas sa langue et sa colère en poche mais depuis peu, il est devenu français. “À la base, je m’en fous. Je suis anglais parce que je suis né en Angleterre. Je n’en tire aucune fierté. C’est comme les quatre premiers chiffres de ma carte de banque. C’est un accident de naissance. Mais pour moi, le Brexit a été un cauchemar. Je pense que même Boris Johnson n’y croyait pas. Il voulait juste envoyer un signal à l’Europe. Enfin bref. La procédure de naturalisation a été beaucoup plus facile pour moi que pour d’autres. Une de mes potes syriennes est bloquée dans un camp en Hollande. C’est l’horreur. Mais ça m’a quand même pris trois ans et j’avais peur qu’on me jette du pays… “Pourquoi tu me demandes dans quel genre de resto je vais manger? Je ne bouffe pas de fromage. Non. Désolé.” C’est vraiment bizarre ces questions d’intégration. Mais pour la première fois de ma vie, je suis le sujet d’une constitution. Je suissuper content. J’aimême le droit de manifester. Mais du coup arrêtez de tirer avec vos fameuses “balles de défense”. Parce que si je perds une main, ma vie est finie…

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Né en 1974, originaire de Bristol, Matt Elliott est un sacré personnage. Le genre de mec qui a arrêté l’école pour vendre des disques -“Mon patron avait une connaissance incroyable de la musique mais insultait ses clients.” Qui était DJ avant de pouvoir rentrer en boîte -“Je mixe de la musique complètement opposée à celle que je joue sur scène. C’est pour emplir de joie les gens. Pas pour les faire pleurer.Qui a commencé sa carrière musicale avec de l’électro expérimentale avant de devenir un folkeur à fleur de peau. Et qui est parti s’installer en 2001 en Dordogne, la région de sa petite amie, alors qu’il ne parlait pas un mot de français. “Si j’étais resté en Angleterre, je ne serais pas musicien aujourd’hui. Puis, on avait un jeune fils. J’adorais Bristol mais j’étais heureux de l’élever à la campagne. Le Royaume-Uni est assez violent de manière générale.” Lorsqu’il s’est séparé, Matt a cherché une ville avec une gare (il n’a pas le permis) et comme il y est tombé l’un des trois seuls jours de l’année où il y fait beau, il s’est installé à Nancy.

STAHP Day

Depuis 20 ans maintenant, Matt Elliott fait du dark folk… “J’aime bien considérer que je poursuis l’œuvre de ces troubadours qui partaient sur la route avec leur instrument à cordes et passaient de ville en ville pour chanter sur la mort, le deuil, le roi et comment il est con… Je perpétue cette tradition. Et c’est vrai que c’est dark. Je ne peux qu’acquiescer. Même moi, c’est ce que je réponds quand on me demande ce que je fais…

Album remarquable, The End of Days est un disque aussi beau qu’intense. Il brille dans son dépouillement, dévaste par sa force tranquille. Matt Elliott rappelle à la fois Leonard Cohen et Bill Callahan. “C’est un peu la continuation du disque précédent. Parce que je suis beaucoup la science et je m’inquiète pour le futur de l’humanité. Je voulais chroniquer cette époque bizarre qu’on vit et qu’on voit. La fin des civilisations. Tous les scientifiques hurlent, mais les politiciens et l’industrie s’en fichent. Je trouve très bizarre d’habiter ce monde et cette époque. La planète se divise de plus en plus entre les gens comme moi qui croient en la science et les autres qui sont complètement dans le déni et n’ont pas l’intention de changer quoi que ce soit à leur comportement. Même si de plus en plus de personnes se rendent compte du problème qui est lié au capitalisme.

© National

Quand on lui demande où il situe son album sur l’échelle allant du chagrin absolu à la joie intense, Matt Elliott se dit dans la résignation. “Tout le monde a accepté l’idée qu’on approche de la fin du monde. Donc moi, je vais en profiter tant que je peux. Je suis super triste pour les jeunes. Ils doivent prendre le pouvoir vite fait. Parce qu’il ne faut pas compter sur nous… Si on survit -je n’en suis pas convaincu-, on considérera notre époque comme la pire de l’humanité. La génération qui savait et qui n’a rien fait, à part regarder. Je me souviens de ce que c’est d’être jeune et de ne pas avoir de pouvoir. Tout le monde décide toujours pour toi. Tes parents décident pour toi à la maison. Et c’est pareil avec le monde. Les jeunes comprennent mais n’ont d’autre possibilité que de descendre dans la rue. Nos dirigeants ne sont pas là pour nous. Ils sont là pour les entreprises et l’économie.”

Matt a l’air plus en colère que triste. Activiste, il a récemment lancé STAHP, un mouvement mondial où chacun pourrait à sa manière manifester son mécontentement face à la situation actuelle. Le 7 mars, il a organisé un STAHP Day… “Tout le monde ne peut pas aller à une manif. Tout le monde ne peut pas se passer de son salaire. L’idée est que chacun contribue de manière libre, de la manière qui correspond le mieux à sa situation. Tu peux faire grève, te mettre sous certificat, monter un projet musical communautaire, ou juste décider de ne pas dépenser d’argent. C’est universel en plus. Applicable dans des pays non démocratiques.

En attendant, The End of Days est une continuation de son petit voyage dans le monde de la musique. Il y joue du saxophone. Instrument qu’il tenait en horreur et dont il est tombé en amour grâce à Coltrane, Archie Shepp et surtout Albert Ayler. “Quand j’ai bossé avec Gaspar Claus, j’ai vu ce qu’il arrivait à exprimer avec ses notes de violoncelle et leur longueur. J’étais un peu jaloux et je me suis mis au saxophone. Le meilleur conseil que j’ai à donner à tous les gens qui jouent d’un instrument bruyant, c’est d’acheter une bonne bouteille de vin à leurs voisins pour les remercier de ne pas être chiants.

Matt Elliott, The End of Days ****1/2, distribué par Ici, d’ailleurs.

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