M.I.L.K., la grande évasion

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Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Le Danois Emil Wink sort son nouvel album, The French Girl Effect, privilégiant les mélodies pop solaires et décomplexées. M.I.L.K., mais pas cheesy.

On a beau grandir au Nord de l’Europe, cela n’empêche pas de pratiquer une musique ensoleillée. Sur son nouvel album, The French Girl Effect, le Danois Emil Wilk s’évade via une dizaine de morceaux, baignant dans une lumière pop romantique. Entretien.

Où vis-tu ?

J’ai déménagé récemment à Paris. Mais j’ai grandi sur l’île de Bornholm. Le Danemark est un pays très plat. Bornholm est le seul endroit plus accidenté. On y trouve aussi l’une des plus grandes forêts sauvages du Danemark, avec un tas d’espèces différentes. Il y des plages aussi. C’est un peu un petit paradis de vacances. Au départ, y vivaient ceux qui n’avaient pas assez d’argent pour habiter Copenhague. Mais aujourd’hui, c’est en train de devenir plus bobo. Ceux qui viennent s’installer cherchent une vie plus lente, apaisée. Tout le monde fabrique sa propre bière, élève ses poules, etc.  

C’était un bon endroit pour grandir?

Oui, pas mal. C’est un peu désert en hiver, il y beaucoup moins de touristes. Tout est très lent. Il n’y a pas non plus beaucoup d’activités culturelles. Et puis, gamin, je n’avais pas Internet. Comme ailleurs sur l’île, c’est arrivé très lentement. Donc en gros, je pouvais juste compter sur une chaîne radio qui jouait les gros hits. C’est pas mal, parce que cela t’oblige à te bouger pour construire toi-même ton goût. Mes potes qui habitaient en ville n’avaient qu’à se pencher pour cueillir les dernières nouveautés. Moi, je devais chasser.

Et quelle a été ta première prise ?

(rires) La première fois que j’ai entendu Michael Jackson, j’étais retourné. Je voulais danser comme lui. Par la suite, j’ai déménagé à Copenhague et toute ma vie a changé. Dans la coloc où j’habitais, on était huit : j’étais le seul qui ne faisais pas de musique. Dans une pièce, il y avait le producteur d’un groupe comme Mew; dans une autre un membre de Liss, un groupe qui s’est quand même retrouvé signé sur XL Recordings, etc.

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C’est ce qui t’a amené à toi-même te lancer ? Quand as-tu démarré ?

Assez tard en fait. J’avais déjà 23 ans. A l’époque, j’étais animateur télé pour des émissions jeunesse. C’était vraiment super. Mais comme j’avais pas mal de périodes plus calmes, j’ai commencé à m’intéresser de plus près à la musique. J’allais voir mes colocs, je regardais comment ils fonctionnaient. Au bout d’un moment, j’ai commencé à leur faire des suggestions. Ils m’ont montré comment écrire, produire, etc. C’était un peu mon école. J’ai fini par être tellement absorbé par la musique que j’ai quitté la télé. Au début, j’utilisais des accords assez basiques. Je me suis ensuite concentré sur les mélodies et les paroles. J’invitais mes potes à venir jouer dessus. Les premiers essais étaient assez chaotiques. Mais petit à petit, j’ai mieux compris comment faire.

Tu proposes une musique très pop, très solaire. L’un de tes premiers EP était même intitulé Maybe I Love Kokomo (en 2018). Qui serait aussi l’explication de l’acronyme M.I.L.K. Et une référence au titre des Beach Boys ?

Au début, c’était surtout une blague. En interview, on me demandait à chaque fois d’expliquer pourquoi M.I.L.K.. J’ai fini par donner cette explication, pour rire. Et cela a été vite repris partout. Mais la vérité est que cela ne signifie rien de particulier. A l’époque, tout le monde avait des noms de groupe très long sur la scène indie. Par réaction, je voulais un mot court et joli, qui donne un chouette feeling. Et puis tout le monde aime le lait ! (rires).

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Tu as récemment collaboré avec Benny Sings. Comment vous connaissez-vous ?

Je suis d’abord tombé sur le titre avec Rex Orange County (NdR : le tube Loving Is Easy). Mais quand j’ai découvert ses propres chansons, j’ai été soufflé. C’était vraiment le son que je cherchais. Je lui ai envoyé un message. Plus tard, je suis allé chez lui, à Amsterdam, dans son studio, installé sous un pont, avec un parquet en bois, récupéré dans une ancienne salle de sport – on voit encore les marques des différents terrains. On a commencé à bosser sur une série de morceaux, dont Prisoner (NdR : duo sorti en 2019). Par la suite on est resté en contact. Durant le Covid, on a d’ailleurs travaillé sur 5 morceaux, dont certains comme The French Girl Effect se retrouvent sur le disque.

Vous faites tous les deux une pop très sunny, légère. Faite pour s’évader?

Probablement, oui. C’est en tout cas ce qu’elle me permet quand je la fais. Et c’est aussi ce que je cherche dans les musiques que j’écoute. Je ne pense pas être le seul. Dans une époque sombre, les gens veulent écouter une musique qui ne leur remet pas le nez dans le chaos ambiant. J’ai parfois l’impression qu’il n’y a jamais eu autant de bullshit. Quand j’allume la télé, tout le monde cause, mais personne ne dit jamais rien. Comme s’ils répétaient les mêmes choses en boucle. Rien n’a l’air vrai. C’est aussi ce qui rend le moment si anxiogène, et l’époque si déprimante. Tout semble plastique, artificiel. A cet égard, je pense que la pop peut ramener l’attention vers des choses plus profondes, éviter d’entretenir la fatigue générale avec de la musique préfabriquée. Je joue par exemple avec des vrais instruments, les gens que j’invite sont de vrais musiciens. Je veux que l’on entende la spontanéité, que la musique reste organique.  

Ta musique a des relents seventies, eighties. Tu aurais voulu évoluer à une autre époque ?

N’importe laquelle avant Internet (rires). Je ne dis pas que le Net est un problème en soi. Mais c’est tellement neuf, une génération à peine. J’ai parfois l’impression qu’on roule avec une voiture de course sans même avoir le permis. De tous temps, on a eu l’impression que tout allait vite. Mais l’accélération que l’on a vécue ces 10 dernières années est quelque chose qui n’est pas arrivé si souvent que ça dans l’Histoire. Je ne veux pas sonner trop politique, mais je ne suis pas toujours sûr que l’humain est fait pour ça… Aujourd’hui toutes les villes se ressemblent. Chaque fois que je tombe sur un Starbucks, je suis super déprimé. Parce que cela veut dire qu’il a pris la place d’un autre café. Qui aurait pu être super ou horrible, peu importe, mais qui au moins n’aurait pas été pareil à ce qu’on trouve partout ailleurs. Donc oui, quand je dis que la musique est une échappatoire, c’est aussi par rapport à une société qui a tendance à se concentrer sur les mauvaises choses (sourire).  

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Pourquoi cette fascination pour la Californie ?

C’est un sentiment plus nuancé, un mélange de fascination mais aussi d’un peu d’angoisse. Disons que j’apprécie le mode de vie. Tout le monde est un peu plus chill, bronze un peu plus au soleil, fume un peu plus de weed (rires). Et puis vous y croisez un nombre insensé de gens talentueux. Tout le monde bosse avec tout le monde – un musicien punk peut se retrouver à participer au prochain morceau de Katy Perry. Les gens n’ont pas de « frontières » comme on peut parfois en avoir ici. En France en particulier, où tu dois souvent commencer par construire une relation avant de pouvoir collaborer avec un autre musicien. A LA, c’est plus direct, on avance et si ça ne donne rien, ce n’est pas grave.

Et puis le soleil donc…

Disons que quand vous venez d’Europe du Nord, c’est forcément quelque chose que vous fantasmez. J’ai grandi sur une île avec des plages, mais ce ne sont pas les mêmes qu’à LA. Et puis, au Danemark, l’été est assez court. C’est vraiment un moment spécial que tout le monde attend. D’où cette idée d’escapism, de paysages de vacances ensoleillés. A cet égard, le Covid a encore appuyé ça, quand vous imaginiez faire des longs repas dehors alors que tout était fermé, et chacun cloitré chez soi…

M.I.L.K., The French Girl Effect ***, distribué par Capitol.

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