Loyle Carner, le rap purgé de sa masculinité toxique

Loyle Carner met des mots là où certains codes virils aimeraient vous faire taire. © DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Sur fond de hip-hop old school, l’Anglais Loyle Carner dynamite les codes de la masculinité de l’intérieur, à coups de confessions désarmantes. Coeur de rappeur.

La scène se déroule en octobre 2017 -précisément la veille des révélations du New York Times sur les agissements de prédateur sexuel d’Harvey Weinstein… Ce soir-là, Loyle Carner donne un concert à Norwich, à 150 kilomètres à l’est de Londres. « C’était une soirée particulière parce que c’était la première fois que je rencontrais la petite soeur de ma copine. Je savais qu’elle était dans la salle, j’étais forcément un peu nerveux. » Il l’est d’autant plus quand il voit revenir Elisa Imperilee en pleurs, dans les coulisses: programmée en première partie, la moitié du duo Elisa & Srigala a eu droit à une série d’insultes machos pendant son concert. « J’étais dégoûté! Quand je suis monté sur scène, j’ai juste dit: « Il n’y a pas de place pour le sexisme dans mes concerts. » C’est là que le public a commencé à pointer le gars en question. C’était un jeune type, peut-être 17, 18 ans. Je lui ai demandé de partir. C’était difficile, mais si tu ne paies pas pour tes actions quand tu es jeune, tu ne comprendras jamais. »

Avant #MeToo, Loyle Carner était donc déjà un peu #MeToo… Un peu plus tôt, cette année-là, le jeune Londonien sortait un premier album – Yesterday’s Gone-, qui privilégiait la sincérité et l’authenticité sur la frime bling-bling. De quoi en faire le rappeur « sensible », anomalie bienvenue dans un monde rap beauf et méchant. Un raccourci bien pratique, mais pas tout à fait correct: des confessions de stars comme Jay-Z aux discours plus directement militants d’artistes tels Mykki Blanco, Loyle Carner est finalement moins une exception, qu’un son de cloche parmi d’autres, dans une scène toujours plus nuancée qu’on le pense.

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En réalité, Loyle Carner est même foncièrement hip-hop. Old school dans la forme; plus moderne sur le fond. Notamment dans sa manière de se dévoiler. De Drake à Kendrick Lamar, les rappeurs ont appris à vider leur sac. Loyle Carner ne fait rien d’autre. Il évoque sa dyslexie (jusqu’à transformer son vrai nom -Benjamin Gerard Coyle-Larner- en nom de scène), ses troubles de l’attention et son hyperactivité. Mais aussi son père avec qui il n’a jamais eu énormément de contact; ou son beau-père qui meurt brutalement en 2014. Le rappeur se dévoile sans fard, ni effet de manche. De ses tourments personnels, il ne fait pas forcément une dramaturgie grandiloquente: ce qui compte ici, c’est moins ressasser que dire, exprimer. Mettre des mots là où certains codes virils aimeraient vous faire taire.

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Sur son nouvel album, Not Waving, But Drowning, Loyle Carner maintient la même éthique, comme s’il ne pouvait faire autrement que de se livrer. Il commence par s’adresser à sa mère, à nouveau omniprésente -aussi bien dans sa musique que dans ses clips (elle apparaît dans quasi une vidéo sur deux). Dans Dear Jean, le fiston explique qu’elle n’est plus forcément celle qu’il appellera en premier quand il aura des soucis… Outre le succès et une certaine notoriété (il a servi de modèle pour Yves Saint Laurent), Loyle Carner a en effet trouvé l’amour. Le bonheur ne serait plus très loin…

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La pochette de Not Waving, But Drowning nuance pourtant. Si, sur son premier album, Loyle Carner posait entouré de sa famille et de ses amis, il est désormais seul. Comme le poème de Stevie Smith auquel il fait allusion, le rappeur fait signe au milieu de l’océan: pour saluer ou appeler à l’aide?

S’avouant aussi « paumé » que tout le monde, Loyle Carner a bien son idée sur le chaos ambiant (« Le Brexit me déchire le coeur: se dire, par exemple, que si l’on retirait les votes des gens décédés depuis le vote, c’est le Remain qui l’emporterait »). Dans sa musique, il préfère toutefois évoquer ses propres tergiversations. Dans Looking Back, il interroge ses origines métissées (« I’m thinking that my great grandfather could’ve owned my other on« ). Ailleurs, sur Krispy, il évoque son amitié gâchée avec son camarade Rebel Kleff, omniprésent sur son premier album. « Il y a eu des problèmes d’ego, d’argent… C’est dur quand vous vous éloignez de votre meilleur ami. Depuis, on a un peu aplani les choses. Tout n’est pas réglé, mais on avance. »

Une bisbrouille entre potes: le sujet pourrait paraître futile s’il ne permettait à Carner d’appuyer toujours un peu plus sa démarche « confessionnelle ». Elle est moins gratuite qu’il n’y paraît. À la fois fan de football (It’s Coming Home?, samplant la réaction en direct de la famille Carner lors de la qualification de l’Angleterre contre la Colombie, lors de la dernière coupe du Monde) et de cuisine (les morceaux Ottolenghi et Carluccio), Carner se livre pour mieux casser les clichés. Il est cet artiste-rappeur s’affichant avec un bébé dans les bras dans l’un de ses premiers clips (The Isle of Arran) ou préparant des crêpes pour sa petite soeur imaginaire dans un autre (Florence). Soutien de la plateforme CALM, qui entend diminuer le chiffre de suicides chez les jeunes hommes (la première cause de mortalité chez les moins de 45 ans au Royaume-Uni), admirateur de l’artiste-travesti Grayson Perry (« son livre The Descent of Man m’a marqué »), il ne cherche rien moins qu’à dynamiter les codes de la masculinité toxique.

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Le chantier n’est pas mince. Il demande des efforts, des remises en question. « C’est l’un des combats de ma génération. Aujourd’hui encore, je sens cette pression à rentrer dans tel cadre, adopter tel comportement. La semaine dernière, par exemple, comme je n’avais pas assez d’argent sur moi pour payer au magasin, c’est ma copine qui a réglé. Ça m’a fait tiquer. J’étais vraiment fâché sur moi. Je sais que c’est ridicule. Mais c’est ce qu’on vous montre à la télé, au cinéma…: en tant que garçon, c’est à vous de vous débrouiller, d’être fort. Ce qui est cool, ce qui attire les filles, c’est de jouer les durs… Et en même temps, je ne sais pas être quelqu’un d’autre: ce n’est pas comme si j’étais très effrayant (rires). »

Loyle Carner, Not Waving But Drowning, distr. Caroline. ***(*)

Le 15/05 au Botanique, Bruxelles, et le 16/08 au Pukkelpop.

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