L’Impératrice: « Avec Tako Tsubo, on a décidé d’assumer davantage nos références outre-Atlantique »

De gauche à droite: Tom Daveau, Achille Trocellier, David Gaugué, Charles de Boisseguin, Hagni Gwon, et Flore Benguigui, aux commandes de l'Impératrice. © GABRIELLE RIOUAH
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Sur leur nouvel album, Tako Tsubo, les Parisiens prolongent et précisent leur éthique disco-funk. Le groove toujours aussi sophistiqué et sentimental, mais plus explicite.

22 février. Jour de deuil national dans l’Hexagone: Daft Punk n’est plus. Sur sa page YouTube, L’Impératrice rend hommage aux robots avec une vidéo. Celle d’une reprise de Voyager, captée lors de l’un de leurs tout premiers concerts, en 2013. En description, ces mots: « On n’aurait jamais osé rêver de tournées mondiales around the world et des fabuleux voyages qui nous attendaient, de cet album qu’on s’apprête à sortir qui nous rend si fiers et qui n’aurait jamais pu exister si vous ne nous aviez pas montré la voie interstellaire. » Daft Punk/L’Impératrice, la connexion musicale, c’est vrai, coule de source. Pas tant via la filière électro. Non, c’est davantage une même lignée disco-French-funk-façon Discovery– que prolonge L’Impératrice. Le genre à faire voyager bien au-delà de la simple francophonie.

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L’Impératrice a pu l’expérimenter. En 2018, un premier album, Matahari, a réussi à faire son petit bout de chemin, y compris à l’international. De l’autre côté du Zoom, Flore Benguigui et Charles de Boisseguin, n’en reviennent toujours pas. « Au Mexique, en 2019, on a joué devant 1 800 personnes, c’était la folie furieuse, se souvient Flore. Pareil aux États-Unis. Avec en plus une manière de réagir au live très différente du public français. Cela a beaucoup influencé la composition du nouvel album. » En quoi?  » Disons qu’avec Tako Tsubo , on a décidé d’assumer davantage nos références outre-Atlantique, répond Charles. Elles ont toujours été là (Vanille Fraise, un de leurs titres les plus connus, comportait par exemple un sample d’Anita Ward, NDLR) mais habituellement, elles se glissaient dans un format qui restait quand même très chanson française. Aujourd’hui, on est plus décomplexé sur l’utilisation de nos influences soul, hip-hop, r’n’b. »

L’Impératrice n’a jamais été un groupe tout à fait comme les autres. Une formation XL – cinq garçons, une fille –, à l’heure où les carrières se font surtout en solitaire. Une entité longtemps instrumentale, jusqu’à l’arrivée de Flore Benguigui. Une clique de musiciens aguerris aussi, mais dont le fondateur est sans doute le moins virtuose. « Je n’ai pas d’aisance technique, et à vrai dire cela ne m’intéresse pas trop, avoue Charles de Boisseguin. En studio, en ne jouant pas, je peux mieux analyser ce qui se passe. J’ai besoin de ce recul. J’ai davantage un rôle de producteur. Sur cet album, j’ai d’ailleurs pu prendre encore davantage part à la manière dont il sonne, dans le mix notamment. En ce sens, je suis plus proche de ce disque que de n’importe quel autre. »

L'Impératrice:

Jeu collectif

Sur le nouveau Tako Tsubo, Flore Benguigui en a profité de son côté pour aiguiser sa plume. Avec l’envie de textes moins « génériques », plus personnels. « Disons que sur Matahari , les paroles avaient tendance à être très oniriques. Le travail était davantage sur le son que sur le sens, quitte, soyons honnêtes, à ce que cela soit parfois un peu abscons. J’ai voulu dépasser cela, en proposant des textes plus intimes. Je ne voulais plus me cacher derrière de jolis mots. » Cette « prise » de parole en accompagne une autre. En décembre dernier, la jeune femme expliquait dans une interview à l’émission C à vous, sur France 5, à quel point elle avait pu subir le sexisme dans l’industrie musicale. Récemment, elle a également lancé un podcast intitulé Cherchez la femme, consacré à la place, trop souvent négligée, des femmes dans la musique. Sur Tako Tsubo, on retrouve cette thématique féministe dans le morceau Peur des filles. « Par rapport au cinéma, la musique n’a jamais vraiment intégré le débat #MeToo. Du coup, c’était important pour moi de m’impliquer, à ma toute petite échelle. » Sans pour autant faire de L’Impératrice un groupe qui rue dans les brancards, insiste Flore. « Avec Peur des filles, par exemple, on est plus dans le constat un peu ironique que dans le manifeste politique. Comme je parle au nom d’un ensemble de six personnes, je ne voulais pas non plus y aller frontalement, avec de trop gros sabots… Pour l’avoir vécu, j’ai conscience de ce qu’est un groupe dicté par les stéréotypes sexistes. Dans L’Impératrice, on est très loin de tout ça. On aurait pu par exemple céder à la tentation de mettre la chanteuse en avant, ou accepter systématiquement les demandes des magazines féminins qui ne veulent parler qu’avec moi. Au lieu de ça, on préfère se focaliser sur le collectif, dans lequel j’ai un rôle de compositrice au même titre que les garçons. »

L’Impératrice, entité souveraine et apaisée, mais consciente de ne pas rentrer dans toutes les cases du moment? Dans L’équilibriste, Flore chante notamment: « Ils disent que je suis trop normale/C’est plus sexy d’être un peu trash. » « Quand on voit un groupe comme Therapie TAXI, qui a bâti son succès sur des paroles très crues, et sexistes, on se dit qu’on est forcément très loin de tout ça, avec nos textes polis, qui parlent de la lune et de Paris (rires). Notre manager nous a d’ailleurs déjà dit que les paroles étaient trop floues, que l’on devait être plus cash, plus clairs, glisser du vocabulaire « urbain », etc. Mais ce n’est pas vraiment ce que l’on est. On est très « normal », pas « show off » du tout. » Charles poursuit: « L’Impératrice, c’est de l’artisanat. Il n’est pas question de produire de la musique à la chaîne derrière un ordinateur. On va au studio, cela prend du temps, coûte cher. En cela, on peut se sentir parfois un peu différent. »

L’Impératrice serait donc ce groupe, au groove sophistiqué, raffiné, érudit – « Parlons franchement, continue Charles, le niveau musical de la majorité de ce qui passe à la radio, est nul » -, mais qui ne perd jamais de vue non plus le sentiment. Tako Tsubo, par exemple, ou syndrome du coeur brisé, désigne le stress causé par une émotion trop vive – selon certaines études, les cas auraient été multipliés par quatre, depuis le début de la pandémie… Flore: « Pour nous, cela représentait surtout l’éruption d’une émotion trop intense dans la normalité de la vie. Ce qui résume bien ce qu’on veut mettre dans notre musique… »

L’Impératrice, Tako Tsubo, distribué par Microqlima/Pias. ***(*)

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