« Les supergroupes? Dans le rock, c’est souvent catastrophique »

Emmanuelle Seigner (ici entourée d'Anton Newcombe, à sa gauche, et des Limiñanas, au-dessus) et le rock: "J'ai toujours eu ce rêve quelque part à l'intérieur de moi." © MEDHI BENKLER
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

D’abord pensé comme un disque solo d’Emmanuelle Seigner, Diabolique est le premier album de l’Épée. Supergroupe qu’elle secoue avec Anton Newcombe et les Limiñanas. Coup de grâce.

C’est une drôle de bestiole dans l’Histoire de la musique. Parfois un peu rapace (simple histoire de fric), souvent ronronnante (boeuf entre amis plus que véritable projet artistique). Le supergroupe -all stars band lui préfèrent certains- est né à la fin des années 60. L’appellation du moins. Elle désigne des projets souvent éphémères faits de pièces rutilantes et rapportées qui s’associent généralement le temps d’un album ou de quelques concerts. « Dans le rock, c’est souvent catastrophique, sourit l’aussi affable que barbu Lionel Limiñana. Même les bazars avec George Harrison, Bob Dylan, Tom Petty ont donné des trucs vachement ringards. Je ne me suis jamais vraiment intéressé à ça. Puis, nous, on n’a jamais pensé ça de la sorte. T’imagines bien. Déjà par humilité. « 

« En jazz, ça arrive tout le temps, embraie Anton Newcombe, le cerveau de The Brian Jonestown Massacre, frais comme un gardon. Tout n’est pas dans l’étiquette et l’emballage. Bowie a fabriqué l’une des mes chansons préférées, Heroes , avec Brian Eno. Primal Scream a par moments embauché Mani des Stone Roses ou Kevin Shields de My Bloody Valentine. Ou encore fait naître un truc avec Andrew Weatherall. C’est de l’ordre du supergroupe. Peu importe comment tu l’appelles, la collaboration peut servir de déclencheur. »

Les deux hommes sont bien placés pour en parler. Ils viennent de sortir Diabolique, le remarquable premier album de L’Épée. Un projet monté autour d’Emmanuelle Seigner. « Je connaissais son travail au cinéma, en gros depuis Frantic. Mais mon métier à la base, c’est disquaire et j’avais adoré l’album qu’Emmanuelle avait enregistré avec Ultra Orange il y a une bonne dizaine d’années, commente Lionel. Je l’avais vachement défendu à l’époque. Je trouvais que c’était une respiration dans toutes les bouses que je recevais (Seigner rigole à côté de lui dans le fauteuil). C’était un vrai disque avec plein de références qui me parlaient. J’adorais sa voix. Je me rappelle très bien du bol d’air qu’il représentait dans la musique française de l’époque. D’entrée de jeu, ça sortait du lot. On sentait qu’on faisait partie de la même famille musicale. C’était assez rare en ce temps-là. Tu avais des trucs indépendants, très pointus, dont on parlait dans les fanzines, notre milieu naturel. Mais un disque sur une major avec cette couleur-là, il n’y en avait pas. Et il n’y en a toujours pas des masses d’ailleurs. J’avais été super étonné quand je l’ai reçu. »

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Elle s’en souvient très bien. La première personne à qui Emmanuelle l’avait fait écouter, c’était Étienne Daho. « Je lui ai demandé de me parler franchement: si c’est de la merde, c’est pas grave, je veux juste savoir si ça a un potentiel. C’est lui qui m’a dirigée vers Sony BMG via son manager. Je ne pensais pas que ça pouvait avoir un quelconque intérêt. C’est sorti et ça a vachement plu. »

La femme de Roman Polanski donne un coup de fil à Lionel et Marie Limiñana après être tombée par hasard sur un de leurs morceaux qui accompagne une scène d’overdose dans un épisode de Gossip Girl. Elle veut dans un premier temps embaucher le groupe perpignanais pour qu’il l’aide à enregistrer un album solo. Alors qu’en 2017, elle tourne à Lyon un remake (Insoupçonnable) de la série britannique The Fall, elle part leur rendre visite à Cabestany, le petit village où ils habitent à une quarantaine de kilomètres de la frontière espagnole. « J’ai pris un avion à 7 heures du mat’ un samedi. Quand je me suis levée, mon mari m’a dit: « Mais repose-toi« . J’avais des cernes, des cheveux orange. J’étais épuisée mais il fallait que j’y aille. Je le sentais. J’avais l’intime conviction que c’était les bonnes personnes et le bon moment. Ils sont venus me chercher à l’aéroport et ça a tout de suite cliqué. « 

Ce jour-là, les Limiñanas discutent avec leur nouvelle copine, la font chanter dans leur home studio, puis l’emmènent manger italien et se promener sur la plage… « Du coup, maintenant, on a notre photo dans le resto. Et ça, c’est la classe, sourit Lionel. Aldo ne punaise pas tout le monde au mur à côté des rugbymen du coin… »

Le titre, Shadow People, qu’ils ont mis en boîte ce jour-là et qui figure sur le dernier Limiñanas donne quelque part le ton de Diabolique. Il a été enregistré, produit et mixé de la même manière. Avec le même casting. « Je me suis dit: ça va encore être du Limiñanas. Shadow People volume 2. Mauvaise idée, avoue Newcombe, qui habite depuis une quinzaine d’années à Berlin. Je leur ai donc proposé de former un groupe. Je pensais aussi au live. Parce que l’album, c’est une chose mais le concert en est une autre. C’est comme une architecture faite de fumée. Regarde ce bâtiment et hop, il s’évapore. Il y a une beauté dans la scène que j’aime beaucoup. »

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En cours de route, le nouveau disque d’Emmanuelle Seigner devient donc le premier album de L’Épée. « J’ai surtout veillé à l’atmosphère. Je ne voulais pas ressembler à Louie Louie même si on adore Louie Louie, ajoute le Berlinois d’adoption . Ça devait sonner comme nous. Produire un disque, c’est comme mettre en scène une pièce de théâtre. Tu cherches une suspension consentie de l’incrédulité. Tu veux que les gens arrêtent de se demander si ça sonne comme Jesus and Mary Chain, Phil Spector ou les Troggs… Tu veux juste qu’ils écoutent ce que tu as créé. « 

Disque à sketches

Pour Emmanuelle Seigner, L’Épée et Diabolique font quasiment office de renaissance musicale après deux albums solo décevants passés relativement inaperçus.

« C’est le disque que j’aurais dû sortir après l’album avec Ultra Orange. Mais dès que tu es dans les mains d’une major, elle veut te formater. Elle essaie de faire de toi ce qu’elle voudrait que tu sois. Et pour moi, ça n’a pas fonctionné. J’ai enregistré un album avec Keren Ann. Très joli mais assez lisse. Puis, un autre, moins bien aussi. Je voulais un truc punk mais ça horrifiait la maison de disques. En France, on essaie de te diriger vers la variète. Même si plein de gens en font beaucoup mieux que toi. On pense que ça va vendre mais ça ne marche pas comme ça. Heureusement. »

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La marmite rock, Emmanuelle est tombée dedans quand elle était petite. La soeur aînée de Mathilde a passé son adolescence à écouter des disques chez Gibert Jeune…

« C’est Lou Reed qui m’a ouvert les portes. Je ne venais pas de ce milieu. Je venais du théâtre et j’ai commencé dans la mode comme mannequin avant de devenir actrice. Mais j’ai toujours eu ce rêve quelque part à l’intérieur de moi. »

La petite famille n’est pas soudée que par son amour du rock. Elle partage aussi celui du 7e art. Diabolique, le titre de l’album, est un clin d’oeil à Danger: Diabolik!, une espèce de Fantômas italien réalisé en 1968 par Mario Bava. Ce n’est pas la seule référence de L’Épée au cinéma. Dans la manière d’écrire de Lionel, il y a aussi l’influence des films à sketches de Dino Risi. « J’aime bien l’idée du concept album. C’est toujours un peu prétentieux de vouloir fabriquer un disque autour d’une histoire. Et pourtant j’adore. Melody Nelson mais aussi les disques pour enfants du Petit Ménestrel quand j’étais môme. Au coup de cloche, tu changeais la face. J’adorais fermer les yeux et écouter. En grandissant, tu le fais avec Fun House des Stooges ou le premier Doors. J’ai essayé de trouver une logique, une continuité. On est plutôt dans le registre du film à sketches à l’italienne. Des petits épisodes où l’univers change mais les profils restent les mêmes ou l’inverse. Ça ouvre plein de perspectives. »

Les quatre mousquetaires de L'Épée: un supergroupe tranchant.
Les quatre mousquetaires de L’Épée: un supergroupe tranchant.© MEDHI BENKLER

Lionel s’emballe quand on lui parle des Nouveaux Monstres et des histoires sordides racontées par Risi avec Mario Monicelli et Ettore Scola. « J’imagine qu’on a plein de choses en commun. Perso, j’adore la comédie italienne. Celle des années 60-70. Le cinéma français de ces mêmes décennies. J’ai également un faible pour le fantastique. Les films adolescents des années 80 aussi. C’est notre époque et on vient d’un endroit où on s’ennuyait pas mal. On a beaucoup écouté de musique et regardé des films. J’adorais aller au vidéoclub. Je ne suis pas nostalgique mais c’est un truc qui me manque. » « Je me souviens de la période où on pouvait commander des cassettes et de la bouffe en même temps, embraie Seigner. Ils te filaient des hamburgers avec ton film. » « Sans déc? »

Le cinéma, les Wampas et Iggy…

Lionel Limiñana a écrit la majorité des textes de l’album. « C’était un peu compliqué parce qu’on ne connaissait pas Emmanuelle. Mais en allant manger des pâtes sur la côte et en buvant le thé, on a discuté. Et on a nourri le disque discrètement de ce qu’elle était à ce moment-là. Ce qui est rigolo, c’est qu’on a envoyé trois musiques à Bertrand Belin sans lui parler de tout ça. On est tous super fans de son boulot. Et quand il a balancé les textes des chansons, ça complétait ce qu’on avait déjà. Ça collait à ce qu’elle nous avait raconté et à l’image qu’elle nous renvoyait. On pensait encore à un disque d’Emmanuelle Seigner. Pas à un album de groupe. »

Dreams parle d’une femme harcelée qui finit par manger son agresseur. « Lionel a sans doute écrit ce morceau en se disant que j’avais dû bien me faire emmerder », avance Seigner. – Je t’ai imaginée comme le personnage d’un film ou d’un sketch. On est tous tombés sur des relous. Même si les filles, c’est pour des raisons différentes. Et je te voyais bien découper le mec en morceaux. Même si maintenant, je sais que t’aimes pas la viande rouge. – Dans le cinéma, on est plus tranquilles que la caissière du Prisu qui se fait emmerder par son patron. Mais j’aurais bien découpé un mec quand même. Un ou deux. »

Avant de collaborer avec Emmanuelle Seigner, les Limiñanas n’avaient jamais travaillé pour d’autres. « Une vraie responsabilité. » Depuis, les choses se sont accélérées. Ils ont récemment passé dix jours à Bruxelles, au studio ICP, à bosser sur le treizième album des Wampas. « On a vraiment adoré. Ce sont des gens merveilleux. Didier est un génie et un tueur. Il est toujours en train de faire des trucs. Il ne s’arrête jamais. Parfois, il se promenait même en trottinette. » Un engin qu’on ne peut imaginer qu’électrique. C’est en décapotable que Lionel et Marie se retrouvaient il y a quelques mois aux côtés d’Iggy Pop. « Il passait nos morceaux dans son émission radio et du coup on lui a envoyé un titre. Il a dit qu’il était OK pour nous rencontrer. On a été le voir à Miami. Normalement, on devrait bosser sur des morceaux du prochain Limiñanas avec lui. On en est là pour l’instant. Je ne sais pas si ça se fera ou pas. On aimerait y remonter cet hiver. C’est un mec adorable, un gentleman. »

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La couple a connu des expériences moins heureuses. Il s’est fait contacter récemment par une chanteuse dont il préfère taire le nom. « Ça n’a pas matché du tout. Ça s’est arrêté là. C’était plus pour des raisons d’attitude et de caprices. C’était une personne assez imbuvable. Nous, on se fout de gagner du blé. C’est jamais la motivation. Faut qu’humainement ça fonctionne. » Les autres fois où quelqu’un a fait appel à leurs services, c’est arrivé à travers le cinéma. Les Perpignanais ont travaillé avec le réalisateur, plasticien et ouvrier agricole Pierre Creton, partageant un titre avec Daho. Le Bel Eté sortira en novembre. « Ça parle des migrants, de ce que peuvent devenir ces gens quand ils arrivent en France. C’est couplé à une histoire d’amour. » Ils ont aussi composé la musique d’un film anglais: The World We Knew. « C’est ultra dark. Un huis clos réalisé par un proche de Nick Cave. » Et celle d’une grosse production Netflix. « Un film d’action réalisé par un Français. Rien à voir mais on a adoré. »

Coup d’un soir ou divine idylle? L’Épée ne devrait pas s’arrêter en si bon chemin. « J’ai mes projets, termine Newcombe . Je ne vais plus partir en tournée aux États-Unis pour faire une percée, en cherchant des contacts et en essayant de choper des passages télé. Je dois toutefois me pencher sur un nouveau Brian Jonestown Massacre. De leur côté, Lionel et Marie ont les Limiñanas mais je pense qu’un deuxième album est envisageable. » En garde…

Le 12/12 à l’Orangerie (Botanique) et le 15/12 à l’Aéronef (Lille).

L’Épée – « Diabolique » ****

Distribué par Because/NEWS.

Celle de Damoclès nous pend plus que jamais au-dessus de la tête et les soulèvements citoyens ont les allures de coups de glaive dans l’eau face à l’arrogance des puissants. L’Épée porte un nom qui colle à l’air du temps. Rien ne se gagne, rien ne se perd, tout se transforme. Pas besoin de test de paternité: le premier album du supergroupe franco-américain ressemble bien à ses géniteurs. Il y a le psychédélisme des Limiñanas dans toute sa diversité (oriental, velvetien, yéyé…), la touche inimitable d’Anton Newcombe, la voix en anglais et en français d’Emmanuelle Seigner, qui s’offre un génial duo avec Bertrand Belin (On dansait avec elle). Un disque tranchant qui a le diable au corps.

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