« Les Stones se sont retrouvés entraînés dans un mouvement qui les dépassait »

Rockeurs d'hier, boomers d'ajourd'hui? © MARK SELIGER
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Alors que Mick Jagger vient de fêter ses 80 ans, les rolling stones sortent un nouvel album, Hackney Diamonds. Au-delà de ce nouveau coup d’éclat, que signifient encore les Stones aujourd’hui? Nous avons posé la question à François Salaün.

Au printemps dernier paraissait Satisfucktion, les Rolling Stones, une leçon de morale, signé par l’écrivain François Salaün avec l’illustratrice Lulu la Nantaise (aux Presses de la Cité). Le livre offre un regard sur le parcours de ces héros de la contre-culture sixties, professionnels de la provoc’, dont certains excès passent parfois moins bien aujourd’hui. Réussissant ainsi “le rare prodige d’incarner le cauchemar de deux époques”, écrit François Salaün, qui avait déjà participé à l’écriture de Comment j’ai survécu à 40 années avec les Rolling Stones, un récit de Dominic Lamblin, vétéran de l’industrie musicale en France, qui a notamment accueilli les Stones lors de leur premier concert à l’Olympia, en 1964.

La question à 50 centimes: comment expliquer la longévité des Rolling Stones?

Déjà par le fait que ça “fonctionne”. Pour le dire autrement, si le succès n’avait pas été au rendez-vous, je ne suis pas certain que Mick Jagger aurait poursuivi. Du point de vue du public, il y a sans doute une espèce de nostalgie collective. Les Stones sont parmi les derniers grands représentants de cette époque, quasi les seuls à tourner encore. Dylan aussi, mais il est peut-être un peu plus élitiste. Les Rolling Stones touchent un public plus large. Ils sont en outre assez malins que pour se faire suffisamment rares, et ne pas saturer le marché. Chaque sortie reste un événement. Puis je pense qu’il y a quand même une sorte de fascination pour ce qui relève presque de la biologie, rapport à leur âge désormais vénérable: un nouvel album ou un nouvelle tournée est presque autant un événement musical que médical.

Les Rolling Stones ont accompagné une véritable révolution culturelle, notamment au niveau des mœurs. Ça n’en fait pas pour autant de grands féministes. Vous écrivez qu’ils incarnaient finalement une “version cool du patriarcat d’hier”.

Ce serait injuste de leur faire un procès a posteriori. Comme n’importe qui, ils sont “victimes” de leur époque. Ce sont des enfants de l’après-guerre, nés dans les années 40, avec une vision des rapports hommes-femmes qui nous semble forcément un peu datée. Donc, oui, en effet, dans les années 60, même s’ils se retrouvaient engagés sur une voie progressiste, il restait encore pas mal de stigmates du patriarcat à l’ancienne. On le ressent beaucoup dans les textes de Jagger, parfois très gratinés. Je pense à des morceaux comme Stupid Girl ou Under My Thumb. Mais c’est à replacer dans un contexte. Et puis, à l’époque, ça reste des jeunes musiciens assez peu impliqués politiquement. Je ne suis pas sûr que Jagger et Richards étaient passionnés par le combat féministe. Ils se sont retrouvés entraînés dans un mouvement qui les dépassait.

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En 1976, par contre, les Rolling Stones imaginent une affiche représentant une jeune femme ligotée et couverte de bleus pour l’album Black & Blue. Ils ont pourtant dû se rendre compte que le mouvement féministe est passé par là.

Là par contre, on voit une évolution. Pas tellement de la part du groupe, mais de la société. Pour la première fois peut-être, les Stones sont confrontés à de telles réactions qu’ils sont obligés d’annuler la campagne. Mon analyse est que, les barrières étant tombées, l’époque étant devenue plus permissive, il faut trouver de nouveaux moyens de choquer. Il faut maintenir la réputation de groupe rebelle. Par exemple en s’attaquant à de nouveaux bastions d’indignation, que sont le féminisme et l’antiracisme. Les Stones vont donc s’efforcer de titiller un peu ces mouvements-là. Sans doute avec un certain manque de nuance et de discernement…

Dans les années 60, Jagger chante Stray Cat Blues, qui évoque une relation avec une mineure de 15 ans…

Encore une fois, à l’époque, ça n’émeut personne. Sauf erreur, l’âge légal pour des relations sexuelles en Angleterre doit être fixé alors à 16 ans. C’est une transgression “mineure” si j’ose dire, dans l’esprit de la plupart. Dans le livre, je rappelle aussi que c’est un schéma assez classique du rock. Chuck Berry chantait Sweet Little Sixteen. Elvis a commencé à fréquenter sa future femme quand elle n’avait que 14 ans. Led Zeppelin faisait défiler les jeunes fans dans ses chambres d’hôtel, etc. Ce n’est presque pas considéré comme répréhensible.

Pareil avec Blind Faith, l’un des groupes d’Eric Clapton. La pochette de son premier album est la photo d’une jeune fille nue, tenant en main un avion avec une symbolique phallique évidente. Cela ne froisse personne. D’ailleurs, dans une version live de Stray Cat Blues datant de 1969, Jagger abaisse encore l’âge de la fille de deux ans, pour être sûr de choquer le bourgeois. À cet égard, on peut se réjouir que les choses aient évolué…

Mick Jagger explique qu’il ne pourrait plus écrire un morceau comme Brown Sugar, dont le texte fait référence notamment à l’esclavage.

Si on était taquin, on pourrait aussi dire que de toutes façons, ça fait longtemps qu’il n’a plus écrit un morceau de ce niveau-là… Mais oui, il a raison, il pratiquerait certainement une autocensure. Pourtant, si on se penche sur le texte, on ne peut pas dire que le morceau tient des propos racistes. Ni qu’il fait l’apologie du viol. Par contre, il les évoque de manière très légère et “décontractée”. Ce qui passe moins facilement avec la sensibilité qui est la nôtre, collectivement, aujourd’hui.

En s’appuyant sur le blues, musique afro- américaine par excellence, les Stones sont parfois accusés aujourd’hui d’appropriation culturelle.

Quand les Stones se lancent, ils ont l’ambition de faire connaître le blues au public anglais. Donc oui, dans un premier temps, ils “s’approprient” une musique afro-américaine. Mais sans jamais laisser croire que c’est la leur. Ils ont une posture de croisés, avec l’objectif de sortir du “ghetto” ces musiciens qu’ils considèrent comme leurs maîtres. En interview, ils citent systématiquement Muddy Waters, Jimmy Reed, Robert Johnson, etc. Des noms qui sont souvent inconnus du grand public. Ils leur donnent une exposition inespérée qui, pour certains d’entre eux, les aidera à sortir d’une relative misère. J’ai l’impression que, là-dessus, leur démarche est assez “pure”.

Satisfucktion, les Rolling Stones, une leçon de morale, de François Salaün et Lulu la Nantaise, éditions Presses de la cité, 200 pages.

© National

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