Leiber et Stoller, faiseurs de hits

1957: Mike Stoller, Elvis Presley et Jerry Leiber se penchent sur la partition de Jailhouse Rock. © Michael Ochs Archives/Getty Images
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Duo d’auteurs-compositeurs parmi les plus influents de l’histoire du rock, Jerry Leiber et Mike Stoller ont écrit pour Elvis, Ben E. King et les Coasters. Un disque de reprises sort aujourd’hui sur le label belge 62TV. Le survivant raconte.

« En 1956, j’ai reçu un chèque de 5000 dollars. J’avais 23 ans. Je pensais que je ne verrais plus jamais autant d’argent de ma vie. Je suis parti avec ma femme de l’époque pour trois mois en Europe. Sur le trajet du retour, notre luxueux paquebot, l’Andrea Doria, est entré en collision avec le Stockholm. 50 personnes sont mortes dans cet accident maritime. Nous avons eu la chance de pouvoir sauter dans un cargo. Douze heures plus tard, Jerry, qui avait entendu la nouvelle aux infos, m’attendait au port de New York. Il a couru vers moi: « On a un hit: Hound Dog. » Je lui demande: « Quoi, Big Mama Thornton? » Il me répond: « Non, un petit Blanc qui s’appelle Elvis Presley. » Je n’avais pas la moindre idée de qui il me parlait. »

Avec son comparse le parolier Jerry Leiber, le compositeur Mike Stoller a écrit plus de 20 titres pour le King. Servi de moteur aux Coasters. Eté interprété par les Beatles, les Stones, les Beach Boys, Jimi Hendrix et Otis Redding… Il a, c’est peu de l’écrire, marqué de son empreinte la naissance du rock et la musique de l’après-Seconde Guerre mondiale.

« Ce qui est génial chez ces mecs, c’est que ce sont des Blancs qui ont compris la musique black, loue Philippe Decoster de 62TV. On a coutume de dire qu’Elvis Presley l’a inventé mais Leiber et Stoller sont à l’origine du rock’n’roll. » L’idée lui trottait en tête depuis un bout de temps déjà. Decoster a invité des groupes belges (Bed Rugs, The Experimental Tropic Blues Band, The Tellers…) et des artistes étrangers avec lesquels il a l’habitude travailler (Mujeres, The Goddesses) à revisiter des titres de l’un des plus grands tandems d’auteurs-compositeurs de l’Histoire.

« Quand j’étais gamin, sur recommandation d’un de mes camarades, nous avions appelé notre groupe Little Egypt. Du nom d’une de leur chansons. Mon pote m’a recommandé les Coasters. C’est comme ça que je me suis mis à écouter plein de vieux machins. Je pensais à cette compilation depuis quinze ans. Mais personne n’a rien à y gagner. Donc ça traîne toujours un peu. L’idée d’en faire un benefit a servi de catalyseur. Pas mal de musiciens connaissaient les morceaux mais définitivement pas les types qui se cachaient derrière. »

Juifs américains, Leiber et Stoller font connaissance à Los Angeles en 1950. D’origine polonaise et russe, Leiber vient de Baltimore. Stoller de Long Island. Plutôt que d’aller en cours, ils écrivent des chansons. Jerry chante. Mike est assis derrière un piano. Passionnés de musiques noires, du temps où le rhythm’n’blues était limité aux milieux afro-américains, ils allaient rapidement devenir « ces fichus types Blancs qui écrivaient les chansons les plus noires », dixit monsieur Ray Charles.

« Nous étions fans de blues et de boogie-woogie, raconte au téléphone Stoller dont le comparse est mort le lundi 22 août 2011 d’une insuffisance cardio-pulmonaire à l’âge de 78 ans. Nous avons commencé à bosser avec Charles Brown, Jimmy Witherspoon et bien sûr Big Mama Thornton. Je me souviens encore très bien de notre rencontre. Je reçois un coup de fil. On saute dans ma Plymouth 1937 grise. Et on se retrouve chez Johnny Otis devant cette femme. Formidable. Forte. Imposante. On a 19 ans. Elle doit faire dans les 115 kilos. Comme ils ont besoin de chansons, on fonce chez moi bosser. On écrit Hound Dog en douze minutes et on retourne chez Otis. Elle n’a pas l’air très enthousiaste, arrache la feuille que Jerry a dans les mains et se met à crooner la chanson comme une ballade. Jerry veut rectifier le tir. Et elle nous assène: « Ce n’est pas deux petits Blancs qui vont me dire comment on chante le blues. » Johnny intervient. Lui dit: « Fais leur confiance, ces mecs écrivent des tubes. » Ce qui n’était pas encore vraiment le cas à l’époque. La deuxième prise était la bonne. »

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La version d’Elvis a laissé les deux hommes plus perplexes. « Trop blanche. Elle n’avait pas le groove puissant de Big Mama. Et la chanson, dont les paroles avaient changé pour pouvoir être chantées par un homme, semblaient parler d’un chien alors qu’elles évoquaient un gigolo. Mais après sept millions de disques vendus, elle sonnait nettement mieux à notre oreille. »

Machine à tubes, le tandem Leiber et Stoller a écrit des hits à la pelle. Parfois sur des coins de table, des capots de voiture ou dans des placards. Plus de 120 versions de leurs chansons se sont hissées dans les tops 100 anglais et américain. « On écrivait plusieurs titres en quelques heures et on les terminait dans la voiture en route pour les studios. » L’épisode Jailhouse Rock vaut à lui seul son pesant d’or. Printemps 1957. Leiber et Stoller ont déjà commencé à bosser avec Atlantic. Ils arrivent à New York et en profitent. Passent leur temps dans les cabarets et les clubs de jazz. « Jean Aberbach nous avait filé un script. Puis un matin, il a déboulé dans notre suite: « Alors les gamins, où sont mes chansons? » On lui a répondu: « T’inquiète elles arrivent. » Il a enchaîné: « Je ne m’inquiète pas. Parce que vous ne quitterez pas cette pièce avant de les avoir écrites. » Il a mis un fauteuil devant la porte pour nous empêcher de sortir et il a fait une sieste. En quatre heures, nous avons accouché de Jailhouse Rock, Treat Me Nice, I Want To Be Free et Baby I Don’t Care. »

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Stand by me

Chantés par James Brown, Frank Sinatra, Barbra Streisand, Aretha Franklin, Eric Clapton…, Leiber et Stoller, qui ont eu une influence non négligeable sur Phil Spector, se cachent aussi derrière Stand By Me, cosigné avec Ben E. King. « En 1959, Jerry et moi possédions un petit bureau. On produisait les Drifters dont Ben E. était le lead singer. Et on s’est vu proposer de travailler pour son projet solo. Il avait écrit les premières phrases d’une chanson. Quand je suis arrivé, ils bossaient ensemble sur les paroles. Je me suis assis derrière le piano. Et j’ai trouvé le son de basse qui est devenu la signature de la chanson. »

Le film de Rob Reiner, épopée de quatre enfants cherchant le corps d’un gosse de leur âge dans la forêt, fera le reste un quart de siècle plus tard. « J’ai rencontré le réalisateur Rob Reiner à une fête. C’était la première fois que je le voyais. Il a insisté pour que je m’asseye derrière le piano et il connaissait évidemment toutes les paroles de nos chansons par coeur. Quelques mois plus tard, il m’a appelé. Il voulait intituler son nouveau film Stand By Me. Et utiliser la chanson dans sa version originale. »

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Souvent considérés comme les premiers vrais producteurs indépendants –« on aurait préféré le mot « director » comme au cinéma »-, Leiber et Stoller ont fait en sorte que leurs chansons sonnent comme ils les imaginaient. Beaucoup les pensaient noirs avant de les rencontrer. « Plusieurs mecs qui bossaient sur la comédie musicale Smokey Joe’s Café par exemple se sont révélés extrêmement surpris de voir deux Blancs débarquer. Et on en a d’ailleurs tiré une certaine fierté. Quelque part, nous aussi, on voyait des Noirs quand on se regardait dans le miroir. On aurait bien aimé en tout cas. Quand on a commencé à écrire des chansons, ce sont eux qui nous faisaient vibrer. »

Rodgers & Hart (Louis Armstrong, Nat King Cole, Ella Fitzgerald), Porter & Hayes (Rufus Thomas, Sam & Dave), Goffin & King (Shirelles, Crystals, Monkees), Ashford & Simpson (Marvin Gaye, Diana Ross), Gamble & Huff (Dusty Springfield, The Jacksons) ou, plus proches de nous, Dr. Luke et Max Martin (Pink, Kelis)… L’histoire de la musique regorge de duos hit makers mais le monde a changé. « Il est plus difficile aujourd’hui pour les jeunes songwriters de se faire entendre s’ils ne sont pas des performers. Il y a toujours eu des blues et folk singers qui écrivaient des morceaux formidables, mais je pense que l’invasion britannique -l’arrivée des Beatles et de tous les autres- a marqué un tournant dans la pop et le rock. Ce n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Il y a juste -et il y aura toujours- de belles et de vilaines chansons. »

Compilation: I Can’t Get You Out of My Mind

Leiber et Stoller, faiseurs de hits

POP | Bonne action puisque les bénéfices (et tout le monde a bossé pour pas un rond) fileront à l’école de Waama, petit village de la jungle tanzanienne, I Can’t Get You Out Of My Mind revisite la fourmillante oeuvre de Jerry Leiber et Mike Stoller. Enregistrées pour la plupart à Bruxelles, au studio Swimming House, ces reprises remettent au goût du jour (ou pas) des titres du tandem jadis popularisés par Ben E. King, les Coasters et les Drifters. Mention spéciale pour les sixties Lillois d’Hokay Monday (Spanish Harlem) et les Espagnols de Mujeres (Dance With Me) ou encore la version d’I Who Have Nothing signée Françoiz Breut… Un louable et sympathique hommage qui part tous azimuts, s’achète en vinyle mais s’accompagne d’une version CD.

DISTRIBUÉ PAR 62TV. ***

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