Lefto : « Ce disque est un hommage à tous ceux qui ont grandi sans un de leurs parents »

Lefto sur le front musical en periode troublée... © National
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Sur Motherless Father, le DJ/producteur bruxellois Lefto se demande comment guérir les blessures de l’enfance et garder espoir dans la tempête. There a light on the dancefloor (that never goes out)…

L’anecdote est forcément vraie puisque c’est Lefto lui-même qui la raconte. Celui que l’état civil connaît sous le nom de Stéphane Lallemand a alors 12 ans. Et déjà la musique le fait voyager. “J’étais complètement fan de rap, je fantasmais à mort sur une ville comme New York, etc. Je voulais absolument savoir à quoi ça ressemblait. Alors, à défaut de pouvoir y aller, j’ai pris le bottin, j’ai regardé le préfixe des États-Unis, cherché l’indicatif de Brooklyn et j’ai tapé un numéro au hasard. Au départ, la personne a évidemment raccroché. Mais j’ai réessayé, en expliquant que j’appelais d’Europe, que je voulais savoir quelle était l’ambiance sur place, à quoi ressemblait sa rue, etc. On a discuté finalement pendant une demi-heure. Quand mon père a vu sa facture de téléphone, il était furax.” (rires)

Trente-cinq ans plus tard, Lefto n’a plus besoin d’exploser son forfait. New York, mais aussi Tokyo, Berlin, Londres, Séoul, Detroit, Mexico, etc.: grâce à la musique, le Bruxellois a pu voyager un peu partout. Curieux insatiable, digger boulimique, il fait partie de ces DJ-tastemakers-curateurs dont les choix sont suivis dans le monde entier -notamment via son émission hebdomadaire sur Kiosk Radio. Le genre de passeur dont les platines disent beaucoup. Non seulement sur ses goûts -du hip-hop au jazz, de la house à la drum’n’bass. Mais aussi sur sa vision du monde et des relations humaines.

Avant le club

Au moins autant ambianceur que storyteller, Lefto peut démarrer sur un groove latino pour terminer la soirée en mode rave. Aussi éclectique soit-il, le set portera sa patte. Pareil pour les compilations et autres remix (pour des labels comme Blue Note, BBE, Brownswood, International Anthem, SdBan, etc.). Ou, a fortiori, pour ses propres productions. Exemple avec ce qui est présenté comme son premier véritable album : Motherless Father. Un mélange de groove électronique et de spiritualité jazz, garanti sans sample. Un disque de “préclub”, à la fois ancré dans son époque et intemporel. “Tout le monde me dit qu’il me ressemble. Ce qui est sûr, c’est que j’y ai tout mis.

Lefto commence à travailler sur le disque pendant le confinement. “Comme on n’avait aucune idée de quand on allait pouvoir rejouer, mon manager m’a proposé de passer un peu de temps en studio.” Lefto bosse avec le multi-instrumentiste Boris Van Overschee, à Louvain. Il m’a aidé à accoucher des mélodies que j’avais en tête et que je n’arrivais pas à retranscrire complètement.” Un premier morceau donne le ton: Live in Darkness and Wait for Brighter Days. Avec son intro parano, il décrit bien l’ambiance du moment. Qu’on le veuille ou non, le Covid a tout changé, assène Lefto. Pas forcément pour un mieux. “Je ne pense pas être pessimiste, mais clairvoyant quand je dis qu’on vit dans une société au bord de l’implosion.” Une vraie cocotte-minute, entre pressions économiques, catastrophe climatique, et “un front, à deux heures de vol d’ici”. Dans Love Supreme (Part 1 & 2), le poète-performer polonais Aint About Me évoque le pouvoir intrusif des réseaux sociaux et les dérives des algorithmes. Lefto: “Facebook, Instagram… J’essaie d’utiliser au minimum. Pour moi, ce sont des outils qui contribuent à enfermer les gens dans des bulles.

Peace of mind

L’époque est troublée. Au moment de la pandémie, la vie personnelle de Lefto est également secouée. Par l’arrêt, du jour au lendemain, de toute activité professionnelle -“c’est là que vous vous rendez compte à quel point ce boulot est précaire. Mais aussi la séparation d’avec la mère de son fils, “même si on continue de bien s’entendre et qu’on reste proches.

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À ses tourments viennent s’ajouter d’autres interrogations, jamais résolues. Le Motherless Father du titre, c’est lui… “Cet album reflète une période de réflexion que j’ai eue à propos de ma mère. Du jour au lendemain, elle est partie de la maison. J’avais 4 ans.” Ce qui est l’âge de son fils quand il décide de crever l’abcès. “Je le regardais et je n’arrivais pas à m’imaginer laisser mon enfant derrière moi et ne plus jamais le revoir. Et puis il demandait souvent sa maman. Comment c’était quand, moi, je la réclamais? D’une manière ou d’une autre, ça laisse des traces…” Sur les conseils de son psy, Lefto essaie de reprendre contact. “Je voulais avoir des réponses. Mon père n’est plus là pour m’aider. Et ma grand-mère maternelle a toujours évité le sujet. Elle était très catholique et le fait que sa fille soit partie en laissant son enfant la gênait, c’était un sujet tabou.” Via son oncle, Lefto tente de renouer. “Mais elle n’a jamais donné suite…

Lefto, entre danse et pansement

Motherless Father démarre avec le titre Diane Charlemagne, du nom de la chanteuse du tube de Goldie Inner City Life, décédée en 2015. Quand je l’ai composé, je me suis rendu compte qu’il pouvait ressembler à une version ralentie du morceau de Goldie. C’est un titre très important pour moi, parce qu’il m’a ouvert à tout un tas de nouvelle sonorités anglaises. Du coup, c’est devenu inconsciemment presque une sorte d’hommage.” Un psy soulèvera encore que ce n’est sans doute pas un hasard si un album intitulé Motherless Father démarre en invoquant une figure féminine disparue.Sauf que ma mère n’est pas morte. Elle est là, pas très loin. Je sais dans quel coin elle habite, avec qui elle est mariée…” Il a même retrouvé la trace de ses enfants sur les réseaux sociaux. “J’ai hésité à leur écrire…

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Aujourd’hui, la musique a repris la main. Peut-être pas thérapeutique, mais apaisante quand même. I Sing to Find Peace of Mind, glisse Lefto sur le titre de son premier single. “Ce disque, c’est un peu un tribute à tous ces gens qui ont grandi sans leurs deux parents, ou pour qui c’était compliqué à la maison…

Pour la version scénique de Motherless Father, Lefto a imaginé une performance de danse, avec la collaboration d’Isabelle Clarençon, et Joffrey Anane, Rashad Zangaba et Kassy Bondoko. “Musique et danse ont toujours été intimement liées chez moi.” La première a eu lieu à Louvain, le mois dernier. “À un moment, j’ai vu des gens dans le public qui dansaient avec des larmes aux yeux. Et c’était très beau…Last night, a DJ

© National

Lefto early bird, Motherless Father ****, distr. Brownswood. En concert le 30/03, à Bruxelles, au Listen Festival.

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