Laurent Raphaël

L’édito: Cool case

Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

L’été n’a pas encore dit son dernier mot que déjà la rentrée frappe à la porte avec l’insistance de Jack Torrance dans Shining.

Les impatients, les « septembrologues », les Gatlin de la culture pourront déjà se caler dans les starting-blocks en consultant notre sélection bio du jour, catégories scènes, bande dessinée, expos, gaming et séries télé. La semaine prochaine, suite de la moisson avec ce qu’il faut retenir en musique, en cinéma et bien sûr en littérature, panier garni des 50 romans qui envoient du bois à l’appui. Mais avant de se laisser happer par cette lame de fond annuelle, replongeons-nous un instant dans le tumulte de ces deux mois écoulés, propices plus que tous les autres à l’émergence des nouveaux standards du « cool ». Profitant de la décontraction et de la chaleur ambiantes, du grand brassage identitaire et de l’exposition prolongée des corps, l’été voit généralement fleurir les bourgeons de nouvelles normes esthétiques, politiques et culturelles, comme autant de cases cochées sur la check-list de l’air du temps.

Commençons par dresser l’inventaire, forcément lacunaire, de ces petites mythologies qui se sont hissées ces derniers temps au sommet de l’échelle de la coolitude. Soit, en vrac et dans le désordre, le hip-hop « Camino » -petite cylindrée mais beaucoup de bruit et un coeur vaillant- plébiscité à corps et à cris aux quatre coins des festivals; les tatouages effet « papier-peint » -devenus la norme, ils escaladent les façades épidermiques de toutes les classes sociales dans une frénésie de coloriage et/ou de peur du vide-; les toasts aux avocats vendus au prix du caviar à New York ou Londres; les t-shirts à la gloire des madeleines eigthies et nineties (Nirvana, Ghostbusters…) portés par des ados nostalgiques de ces décennies plus « authentiques » qu’ils n’ont pourtant pas fréquentées; les émojis cannibales -dont l’utilisation intensive menace en l’appauvrissant un langage déjà réduit à sa plus simple expression-; le Segway et l’hoverboard, ces versions bourgeoises et pantouflardes du skate; sans oublier l’acmé de notre civilisation: Instagram et ses photos délavées transformant le monde en coucher de soleil perpétuel nimbé de reflets bleutés…

Point commun de cet échantillon a priori disparate? Le règne du simulacre, en référence au concept développé, théorisé et validé par le philosophe Jean Baudrillard, mort il y a tout juste dix ans et qui est à la post-modernité ce que Barthes fut à la génération Pompidou: sa lampe torche. Comme son maître à penser, l’auteur de Simulacres et simulation a compris la nécessité d’étudier l’objet plutôt que le sujet dans une société de (biens de) consommation qui se résume, au fond, à une grande entreprise de manipulation de signes. Attention, on ne parle pas ici du fétiche sacré des sociétés traditionnelles mais bien de l’objet manufacturé, interchangeable, réceptacle à l’obsolescence programmée d’un signe distinctif -de richesse, de prestige, de pouvoir- qui ira bientôt se loger ailleurs, dans un nouveau modèle de voiture ou un nouveau rite à la mode.

Si le ru0026#xE9;el u0026#xE9;tait du0026#xE9;ju0026#xE0; moribond avec l’avu0026#xE8;nement de la consommation de masse, Internet lui a donnu0026#xE9; le coup de gru0026#xE2;ce.

Par un tour de passe-passe diabolique, cette peau superficielle ultra sensible aux fantasmes et aux symboles a fini par se substituer à la réalité, de sorte que les apparences ont désormais plus de poids que la réalité elle-même, rendue au rang de simple élément de décor. Un terreau relativiste idéal pour la prolifération des fake news, mais aussi pour l’adoption de fausses croyances et valeurs -la subversion supposée du tatouage, le sexisme cru soudain fréquentable du rap, la sublimation des paysages par filtres interposés, le prix coûtant vs le prix de vente d’une simple tartine avec de l’avocat écrasé dessus…- vidées de leur substance. « Le réel n’existe plus« , clamait Baudrillard. S’il était déjà moribond avec l’avènement de la consommation de masse, Internet lui a donné le coup de grâce. Le signe n’a même plus besoin de s’incarner, il circule librement dans le liquide amniotique virtuel auquel nous sommes tous reliés par un cordon ombilical à écran.

Les retours de bâton n’en sont que plus douloureux. Et sidérants en ce qu’ils viennent déchirer brutalement ce voile de faux-semblants qui nous couvre les yeux, comme si nous avions chaussé des lunettes de réalité virtuelle dispensant le film de nos propres désirs. Le terrorisme, les migrants, la misère, la violence nous ramènent de force à la réalité. Le cool lui-même fait les frais de cette mascarade sémantique. Hier creuset des révoltes et de l’émancipation de la jeunesse, il sert aujourd’hui de rabatteur à l’orgie de consommation…

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