Le Water Moulin et le Rockerill, bastions du rock en Hainaut

Chacun dans leur coin du Hainaut, Tom Raznor et Michaël Sacchi font vivre l'émergence musicale.
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Le Water Moulin vient de fêter ses quinze ans. Le festival du Rockerill en sera le 1er juin à sa dixième édition. Considérations alternatives et rock’n’roll avec les patrons…

L’un est installé derrière la gare de Tournai. Dans une aile de l’Union industrielle, un atelier de construction mécanique. L’usine date de 1892 et le bâtiment en question était jusque dans les années 70 la maison de l’ancienne direction. L’autre cultive l’art de la fête à Marchienne-au-Pont, dans les anciennes Forges, sidérurgiques, de la Providence, banlieue rock’n’roll de Charleroi. Tom Raznor et Michaël Sacchi ne sont pas que les deux cinglés qui président à la destinée de Spagguetta Orghasmmond, improbable groupe hennuyer revisitant à sa manière toute particulière les guinguettes italiennes: ce sont aussi respectivement les catalyseurs du Water Moulin et du Rockerill, refuges de l’underground et des cultures alternatives de part et d’autre du Hainaut.

Mi-mai, le Moulin fêtait ses quinze ans sur deux jours avec sa mascotte André Brasseur, du post-punk secoué et de la musique à danser en allemand… Le 1er juin, le Rockerill accueillera la dixième édition de son festival. Douze groupes, deux scènes, douze heures et plus si affinités pour prendre le pouls de la nouvelle scène (post-)punk anglaise (Bo Gritz, The 113, Lambrini Girls, Play Dead…) et allemande (Dunkle Strassen, Die Verlierer). Il y a aura même Chevalier Surprise, Peuk, des Mexicains (Mengers) et un contest de skate pour célébrer dignement la chose…

« C’est de plus en plus compliqué de remplir une salle avec de la découverte et j’ai l’impression de devoir m’y prendre de plus en plus tôt pour choper des projets intéressants, explique Michaël Sacchi. Puis les noms un tant soit peu connus sont de plus en plus chers. Et moi, je ne veux pas programmer des groupes qu’on a déjà fait cinq fois. À la base, je n’étais pas très chaud à l’idée de trop miser sur l’étranger. Les gens ne connaissent pas, ne connaissent plus. Mais je suis tombé sur des trucs anglais super qui cartonneront peut-être dans un an ou deux comme Idles ou Sleaford Mods… »

« Ça commence à être un peu galère de trouver des groupes émergents d’une certaine ampleur avant qu’ils ne passent par le Botanique ou l’Aéronef, acquiesce Thomas. On avait nettement plus de facilités à nos débuts. » Le marché a changé. Les salles plus institutionnalisées ont commencé à diversifier leurs jauges et à tenter de les optimiser. L’Aéronef lillois fonctionne de plus en plus souvent en formule club pouvant accueillir jusqu’à 450 personnes à prix tout doux. Le Grand Mix, à Tourcoing, s’est offert une deuxième salle d’une capacité de 300 spectateurs lors de son dernier lifting et propose des afterworks gratuits. Quant au Botanique, il exploite le Witloof Bar, sa petite scène dans les caves, de manière plus intensive. Notamment en se tournant vers les jeunes groupes de rock et de post-punk.

Rajeunissement

Le Water Moulin et le Rockerill partagent un état d’esprit mais n’ont pas les mêmes échelles, pas les mêmes organisations, pas les mêmes modèles économiques. Pas non plus les mêmes publics, même s’ils s’entrecroisent. La survie de ce genre d’endroits passe inévitablement par un rajeunissement des cadres. Tant dans l’assistance que dans l’organisation. « L’évolution est assez positive, poursuit Thomas. Je constate un mini revival. Je vois des gens d’une petite vingtaine d’années qu’on n’avait pas avant et qu’on n’a d’ailleurs peut-être jamais eu en quinze ans. Même dans les écoles d’art, il y a un renouveau, un regain d’énergie. Ça se voit jusque dans les accoutrements. La manière de s’habiller. Il y a vraiment eu un creux. Quinze piges sans jeune avec des cheveux verts. Maintenant, tu croises une bonne clique de gens un peu plus extravagants. J’ai remarqué la même chose à Lille. Un vrai rajeunissement du public. »

Les membres des Cryptids ont commencé à s’investir dans l’organisation du Moulin et ça lui fait du bien. Ces lieux alternatifs ont besoin de sang neuf. « Pour l’instant, ils font de l’intendance et de l’artistique. Déco, posters… Après faudra les sensibiliser à la programmation. » Le son de cloches est différent du côté de ­Charleroi: « Je pense qu’il nous manque des jeunes et qu’il nous manque des groupes, déplore Mika. J’aimerais bien avoir des potes dans les Cryptids. Mais les miens de copains, ils ont 50 balais… »

Toutes les salles de concerts, en ce compris les plus underground, s’inscrivent dans un contexte géographique, social et culturel. « À Charleroi, je pense qu’il y a une paupérisation d’un côté, une gentrification de l’autre. Et que nous, on est un peu dans l’entre-deux. Au milieu, avec notre public de niche. » La ville a beaucoup changé ces dernières années. « Avant, il n’y avait rien. Or maintenant, tu as plein de terrasses et de bars. Je pense qu’il manque des cafés sympas avec de la chouette musique et des petits concerts. Un endroit où les gens se retrouvent. J’organise un truc toutes les deux semaines. Mais je pense que les gens aiment aller ailleurs. Varier les décors. Ils ont besoin de changement. Puis on n’est pas dans le centre de Charleroi. C’est cool d’être isolé mais ça n’a pas que des avantages. »

Le Water Moulin utilise un lieu qui a été mis gracieusement à sa disposition par un particulier. Le Rockerill, lui, est sur le point de passer aux mains de la Ville de Charleroi. Avec lifting à la clé (sécurisation, réfection de la toiture, rénovation énergétique…) et bail emphytéotique de 27 ans aux actuels proprios pour sa gestion. « Il y a quand même quelques grosses différences entre les deux salles, remarque Thomas. Nous, déjà, on n’a pas de salarié. Est-ce que les salariés, ça facilite la vie? Oui. Est-ce que j’aimerais être salarié au Water Moulin? Je n’en sais rien. Puis il y a taille du lieu et je suis content de la nôtre (une centaine de personnes). On se sent un peu à l’étroit parfois. Mais la majeure partie du temps, c’est nickel. Si on doit changer une tuile, on peut le faire nous-mêmes… »

Le Moulin, qui fêtera la musique le 22 juin avec des groupes qui y répètent, vient de sortir un bouquin compilant ses flyers. « Dès le début, on s’est fixé pour objectif de faire des posters pour tous nos concerts. Je trouve le support papier important pour la scène alternative. Avant les réseaux sociaux, c’était le seul moyen de se tenir au courant. On a demandé aux nouveaux de nous créer une page Instagram d’ailleurs. Parce que les jeunes ne sont pas sur Facebook. Facebook, c’est pour les vieux. »

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