Laryssa Kim, l’onironaute: « Ce que je produis n’est pas toujours facile à appréhender »

Diva Laryssa. © pauline colleu
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Sur son premier album, Laryssa Kim imagine une “séance d’exorcisme” amoureux. Une rêverie électronique, entre brouillard à la David Lynch et fantasmagorie façon Sorrentino. Troublant

Un jour, Laryssa Kim a tout envoyé valser -un bon diplôme, un job. Bye bye Rome -là où elle est née, a grandi. Direction Amsterdam, pour étudier la musique et le théâtre. Puis le Conservatoire de Mons, pour s’inscrire dans la section de composition acousmatique -ce “cinéma pour les oreilles”. Tous les télécrochets du monde nous apprennent qu’on gagne toujours à “suivre son cœur”. Dans les faits, c’est rarement aussi simple. “Au début, c’était l’horreur. Je me suis demandé plus d’une fois ce que j’avais foutu. Mais malgré toutes les difficultés, tous les pleurs, jamais je ne serais retournée en arrière! De toutes façons, la vie vous met toujours à l’épreuve. Donc autant que ce soit pour quelque chose qui vous passionne…

Laryssa Kim a tout quitté pour tracer sa route. Alors ce n’est pas pour, aujourd’hui, rentrer dans des cases ou s’embêter avec des injonctions extérieures. L’aventure, c’est l’aventure. Sur son premier album, Contezza, elle prend la forme d’une quête sonore aux confins de l’électronique et de l’ambient. Mais pas seulement. On y entend aussi des synthés kraut angoissants et des refrains de pop italienne, des vagues trip hop très “lynchiennes” et des bruits d’animaux nocturnes, “mêlant un côté chaud et un autre plus expérimental”. Le tout accompagné de visuels dans lesquels la “maliosa” (“magicienne”) Laryssa Kim se transforme en diva r’n’b lascive, filtre VHS eighties compris. Un beau cas.

Filtre d’amour

Étonnamment, ce qui pourrait passer pour chaotique sonne extrêmement cohérent. Le résultat s’intitule Contezza -“la connaissance pleine et entière” si l’on traduit bien. Tourbeux et mystérieux, il a été imaginé comme une séance d’“exorcisme”. Sans crucifix, ni douche d’eau bénite. Mais avec des boucles, et des paroles répétées telles un mantra. Et un thème en particulier: l’amour. En partant de quelque chose d’écrasant et de pesant, pour aller vers une relation plus claire et légère.” Et de passer ainsi du morceau Les Amants d’Osmium – 76 OS (“l’élément le plus lourd”) à Les Amants transparents – 1 H, en toute fin de disque.

Chacun a une vision de l’amour qui est influencée par son parcours, par ses blessures enfantines. Ces “bagages” peuvent parfois être encombrants et vous pousser à voir les choses négativement. Ce sont comme des lunettes, ou un filtre. L’idée est de nettoyer ce filtre pour y voir plus clair. Et développer un amour plus adulte, plus spirituel, vaste et inconditionnel pour la vie, pour soi-même et les autres. Bon, je suis encore loin de cette vision presque bouddhique, c’est beaucoup de travail (rires). Mais j’aime bien en parler et mettre ces réflexions sous forme artistique.

© National

Réalité plurielle

La musique de Laryssa Kim est savante et charnelle, expérimentale et instinctive. Pas facile à cerner, elle en a conscience: “J’ai choisi de faire des choses qui me parlent, mais qui ne sont pas forcément à “la mode”. Ça ne veut pas dire que je suis meilleure qu’un autre ou “spéciale”. Mais je vois bien que ce que je produis n’est pas toujours facile à appréhender. Notamment parce que c’est un mélange de différentes choses. Ça peut contrarier les esprits qui ont besoin de diviser. Mais je n’y peux rien, je suis comme ça.

D’où une musique qui abrite aussi bien de l’italien que du français ou de l’anglais. “Je ne suis pas en train de forcer un truc. C’est vraiment ma réalité”, insiste-t-elle. Tous les titres des morceaux sont d’ailleurs bilingues, avec la langue de Goliarda Sapienza comme base. “C’est une manière de rappeler mes racines. Et puis, je vais souvent chercher des mots italiens un peu rares ou surannés, ça rajoute un côté mystérieux.

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Là, dans le café bruxellois où on la rencontre, par une après-midi pâle et venteuse, on se demande quand même si la lumière romaine ne lui manque pas un peu. Pense-t-elle parfois à retourner au pays? Pour la première fois de la conversation, elle ne répond rien, comme si la question lui paraissait parfaitement incongrue. Ses yeux, cependant, sont catégoriques: c’est non. “Pour des vacances, voir ma mère, mes amis, oui, mais sinon… Je suis bien à Bruxelles. Et puis, je sais que je ne pourrais pas y faire la musique que je fais ici, du moins pas dans les mêmes conditions…

Rêve party

A fortiori dans le climat politique actuel, d’un pays dirigé par l’extrême droite? On n’insiste pas. De toutes façons, pas besoin de passer les Alpes pour être réduit à certains clichés ou figures imposées. En particulier quand on est métisse, née d’une mère italienne et d’un père congolais (Brazzaville). “Je n’ai ni l’envie ni le temps de me voir sous le regard limitateur de quelqu’un d’autre.” Ni dans un sens, ni dans l’autre d’ailleurs. “Dans ma création artistique, j’ai tendance à créer un espace autre, en dehors de la réalité, plutôt que de la dénoncer. Ce n’est pas parce que je suis une femme, métisse, que je dois absolument me positionner sur des questions de genre et d’identité dans mes productions. Par contre, j’ai eu plusieurs fois le plaisir de mettre ma musique au service des projets très engagés.

Pour autant, ce n’est pas parce que la musique de Laryssa Kim crée son propre espace en dehors de la réalité qu’elle se résume à une fuite. Encore moins à une simple distraction. Après tout, le surréalisme, dont on fête cette année les 100 ans, a lui-même cherché dans le rêve matière pour bousculer l’ordre établi. L’an dernier, j’ai participé à une conférence, à laquelle était notamment invitée une artiste afro-américaine qui se fait appeler The Nap Ministry (littéralement “le Ministère de la Sieste”, le pseudo de Tricia Hersey, NDLR). Elle présentait le fait de s’offrir des petites siestes comme révolutionnaire. Ce n’est pas la seule qui en fait un acte de résistance (par rapport à la logique productiviste du capitalisme, NDLR). En s’octroyant l’espace pour dormir et rêver, on peut imaginer des réalités alternatives, que l’on pourra essayer ensuite de reproduire dans la vie de tous les jours.” Viva la révolusonge…

Laryssa Kim, Contezza, distribué par City Tracks. En concert le 02/03, à Bozar.

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