Critique | Musique

[l’album de la semaine] Mustafa – « When Smoke Rises »: poetic justice

Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Sur les huit courtes ballades aux contours folk qui constituent son premier album, Mustafa raconte la violence des quartiers délaissés de Toronto.

Il ne faut pas chercher très loin pour retrouver la vidéo sur YouTube. Elle date de 2009. Mustafa Ahmed a douze ans, les cheveux rasés court, et une veste de training un peu trop grande. Devant un logement social en brique rouge, il récite son poème A Single Rose. « Don’t let me be the single rose in this run-down park« , glisse-t-il notamment, le sourire timide… Entre-temps, le gamin a grandi. De jeune phénomène médiatique, Mustafa The Poet, comme il s’est fait longtemps appeler, est devenu une sorte de porte-parole de sa communauté, appelé par le Premier ministre Trudeau à rejoindre le Youth Advisory Council de sa ville de Toronto, tout en intégrant le music business, discutant avec Drake, ou réussissant à placer des chansons pour des stars pop comme The Weeknd ou Camila Cabello. Pourtant, douze ans plus tard, le décor n’a pas changé. Dans ses clips, Mustafa traîne toujours dans les mêmes rues. Celles de Regent Park. C’est là qu’il a grandi, fils d’immigrés soudanais arrivés au Canada en 1995, atterrissant dans le plus grand ensemble de logements sociaux du pays. L’un des plus « sensibles » aussi…

Sur la pochette de son premier projet, Mustafa est au centre de l’image, mais à l’arrière-plan. C’est son pote Smoke Dawg qui occupe le devant. C’est également lui qui est cité dans le titre, comme un double hommage à l’ami disparu: en juin 2018, le jeune rappeur est assassiné lors d’une fusillade… La mort et le deuil sont partout dans la musique de Mustafa, comme ils l’ont visiblement toujours été dans sa vie. Dès le début du disque, il implore: Stay Alive, rappelant que la vie de gang est sans issue -« All of these tribes, and all of these street signs/None of them will be yours or mine« . Sur le morceau suivant, Air Forces, Mustafa supplie encore: « Just stay inside tonight/You know what’s happening outside. »

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Ces tragédies urbaines, on a l’habitude de les entendre surtout dans le rap -comme si les autres genres avaient délaissé ces zones de la ville, négligeant de rapporter les voix des populations les plus précaires. Il y a donc quelque chose de déstabilisant, mais à vrai dire d’assez touchant également, à entendre Mustafa chanter ses « fables du ghetto » sur des arpèges folk. Fan de Future comme de Leonard Cohen, le jeune homme enchaîne huit courtes ballades à fleur de peau, entre picking de guitare acoustique et piano délicat. Où il est question de perte (Ali, autre ami tué par balle), de colère (les envies de revanche sur The Hearse), de la violence sociale exercée sur les plus pauvres. Mais aussi d’empathie et d’espoir.

En cours de route, Mustafa est notamment rejoint par Sampha (Capo). Il a également pu compter sur l’un ou l’autre coup de main de James Blake ou Jamie xx. Mais sans que le prestige de ses invités ne trahisse l’intimité du propos, ni sa sincérité -Mustafa glissant ici et là des mémos vocaux de proches (ou samplant un choeur féminin traditionnel soudanais). On pourra toujours trouver le chant sensible, voire affecté. Mais c’est précisément parce que Mustafa ne cache rien, et se montre dans toute sa vulnérabilité, à l’exact opposé de la fureur qui l’entoure, que son propos n’en a que plus d’impact.

Mustafa , « When Smoke Rises », distribué par Regent Park Songs. ***(*)

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[l'album de la semaine] Mustafa -

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