La no man’s langue de Benoît Lizen

Benoît Lizen © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Au Botanique ce 13 mars pour fêter les dix ans du label Honest House, le biologiste Benoît Lizen sort à 29 ans un premier album de folk chaud, enchanté et enchanteur. Bienvenue dans le monde magique des langues imaginaires.

Fin d’après-midi. L’obscurité commence à tomber sur Louvain-La-Neuve. Le Liégeois Benoît Lizen nous attend dans le hall de gare de la ville universitaire à l’architecture symétrique et impersonnelle où il a étudié et aujourd’hui travaille. Biologiste de formation, Benoît est chercheur à l’UCL. « Je ne savais pas trop ce que j’allais faire de ce diplôme. Je voulais juste bien comprendre le vivant. Ça n’allait pas plus loin, raconte-t-il de son calme apaisant et olympien, le cheveu et la barbe rousse, devant une tasse de café. Au final, je passe mes journées à jouer avec des éprouvettes pour essayer de percer tous les mystères du gène dans le cerveau. »

Lorsque l’esprit scientifique de Benoît s’évade -c’est ce qui nous a amené à croiser sa route-, il papillonne sur les cordes d’un banjo ou d’une guitare acoustique. Le 13 mars, le folkeur de la cité ardente exilé dans le Brabant wallon présentera son premier album lors de la Honest House Label Night organisée au Botanique pour célébrer les dix ans de la petite structure indé qui lui sert de maison de disques.

Premier album, 29 balais. Cherchez l’erreur. « Je fais de la musique depuis que je suis gamin. J’ai essayé le solfège et l’académie mais quand j’ai réalisé que je ne savais jouer que Petit Papa Noël et Frère Jacques, j’ai préféré m’y consacrer en autodidacte. J’ai du mal avec l’approche scolaire de l’art et son intellectualisation. J’ai finalement appris à l’oreille, et passé mes après-midi d’adolescent à gratouiller mes morceaux préférés dans ma chambre jusqu’à m’endormir le soir avec ma guitare dans les bras. »

Son hobby, sa passion, sa bouffée d’oxygène, il les vit dans l’intimité jusqu’à ce qu’un ami l’invite il y a quatre ans de ça à jouer quelques morceaux pour le mariage de son frère. « C’était une cérémonie laïque dans un petit théâtre. J’y suis tombé sur un vieux pote que j’avais perdu de vue. Il se chargeait ce jour-là de la régie et appartenait au collectif liégeois Sauvage Sauvage. Il m’a proposé de tourner un clip. Celui où je me promène dans la neige. Puis de fil en aiguille d’habiller les images d’un court métrage. C’est ainsi que j’ai fait la connaissance de Jarby McCoy avec qui j’ai finalement enregistré mon disque. Jarby et moi, on aime la musique pour les mêmes raisons. Avoir la chair de poule et l’envie de chialer quand on entend un joli morceau. C’est aussi à ce moment-là que j’ai rencontré les gens d’Honest House. Un label qui porte bien son nom et permet à la musique d’exister dans les marges. Je suis d’autant plus en admiration que tout s’y fait sans aucun but lucratif. »

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A l’époque, les gars lui organisent ses premiers concerts. L’invitent à ouvrir pour Glenn Jones à L’An Vert. « Je n’avais jamais joué devant un public. J’étais super honoré et en même temps je me disais que je n’avais rien à foutre là. »

Ce qu’on a oublié de vous dire jusqu’ici, c’est que Benoît chante dans une langue inventée, un langage qu’il a créé de toutes pièces: le Galionka. « Quand je me suis mis à rédiger mes premiers textes, j’ai essayé d’écrire en français mais ça ne collait pas à ma musique. Comme ça ne devait pas me freiner, j’ai tenté de trouver une démarche qui soit cohérente et me corresponde. Il y avait de ça dans l’idée de véhiculer des émotions abstraites. En tant qu’auditeur, la place que laisse la non-compréhension à l’imaginaire m’a toujours séduit. »

Et ce, dès son plus jeune âge. « Lorsque j’écoutais de la musique anglophone étant gosse, certaines choses me faisaient vibrer même si je n’y comprenais rien. Je m’inventais des histoires et je laissais travailler mon imagination. Que ce soit avec des trucs concrets ou d’autres très abstraits. Mais en grandissant, quand je me suis mis à pouvoir traduire les paroles, j’ai parfois été fort déçu des textes, de leur qualité ou juste du décalage avec ce que j’avais pu me raconter. »

Grammaire et lexique…

Un peu espagnol, un peu portugais, un peu anglais aussi, le Galionka se joue des radars. Benoît Lizen, bilingue sans plus (« je ne peux même pas dire que je parle néerlandais, j’en suis un peu honteux »), a conçu un lexique mais il préfère pour l’instant le garder pour lui. « Ce n’est pas grand-chose hein. Pour les neuf chansons que compte le disque, le dictionnaire tient sur deux ou trois pages A4. J’aime l’idée que ces morceaux aient du sens mais je ne veux pas nécessairement que les gens le comprennent. J’ai essayé d’inventer des mots dont les sonorités me semblent douces. Des mots qui me plaisent, qui me paraissent appropriés aux morceaux. Le vocabulaire part d’une émotion, d’une esthétique, d’un aspect purement musical auquel j’apporte par la suite un sens en fonction de ce qu’ils m’évoquent. Je n’écris jamais les textes en français d’abord. Une langue imaginaire permet de ne faire aucun compromis entre les sons et leur sens. Si à un moment je me sens coincé, je peux toujours créer des synonymes. Je ne m’inspire pas de l’italien, du chinois ou de que sais-je encore. Je cherche juste à ce que ça fasse joli avec ma musique. C’est le seul et unique objectif. Je ne sais d’ailleurs pas à quelles langues rattacher et raccrocher le Galionka. Certainement pas à l’allemand ou au néerlandais en tout cas. »

Benoît Lizen
Benoît Lizen© DR

Pour aller jusqu’au bout des choses, Benoît a aussi établi l’une ou l’autre règle grammaticale. « Je me suis fixé quelques petites contraintes mais je suis le seul à les connaître et les exceptions sont faites pour s’en servir. Ces règles ne sont pas très compliquées et tiennent plutôt de l’instinctif. Je ne suis pas en train de rédiger un Bescherelle. Disons que si je dis un truc dans une chanson et que je veux exprimer la même chose dans une autre, je vais essayer de le formuler de la même façon et de respecter quelques bases en termes de conjugaison. »

Le Liégeois ne voit que des avantages dans une langue imaginaire. L’amour de ce qu’il entend. De ce qui semble étranger. Le côté intrigant de ce qui nous échappe. Il doute cependant de ses vertus mnémotechniques. « Je ne pratique pas assez régulièrement (rires). Mais oui, je chante toujours la même chose. Tout est écrit. Au début, j’enregistrais les paroles pendant que je les chantais. Puis, je les ai compilées en phonétique dans un petit carnet. »

Des elfes aux Sims

Benoît Lizen n’est évidemment pas le premier à s’être créé une langue pour mieux trouver sa voix. Un peu poètes un peu fêlés, Christian Vander (Magma) dans les années 70 et le Parisien Nosfell dans un passé plus récent ont jonglé en France avec les lettres pour se jouer des mots, brouiller les pistes, titiller notre imagination et nous inviter au voyage… Adriano Celentano a même en 1973 signé Prisencolinensinainciusol, l’ancêtre du rap italien, dans un dialecte inconnu et en a profité pour se hisser dans les charts américains… Son texte, qui ne veut en fait rien dire, explore les barrières de la langue et met le doigt sur notre incapacité à communiquer.

Mais quand ces constructions plus ou moins élaborées s’invitent dans le monde de la chanson, c’est souvent à travers le prisme de la fiction. Enya a par exemple mis en boîte un titre en quenya (mélangé à de l’anglais) et un autre en sindarin, deux langages elfiques créés par Tolkien, pour La Communauté de l’anneau. Là où Lily Allen a repris son propre morceau Smile en Simlish, la langue des Sims, héros du célèbre jeu vidéo de simulation de vie.

Quand on sait que le Klingon, échappé de Star Trek et inspiré par les langues amérindiennes, est enseigné aux Etats-Unis et que le Klingon Language Institute a notamment traduit Beaucoup de bruit pour rien et Hamlet, on s’interroge quand même un peu sur la nerditude des choses…

En attendant, moins intéressé par la science-fiction que par le vieux blues (celui du Delta surtout), l’oeuvre de CW Stone-king et le folk lo-fi de Big Blood, Benoît Lizen aime les petites imperfections, les musiques qui vivent et les chansons qui sentent l’homme… Les neuf titres, splendides, doux et chauds, de Naomka, premier album qui rappelle les débuts intimes de Devendra Banhart et que le Liégeois semble nous chanter dans le salon au bord de l’âtre, crépitent d’ailleurs de ce petit supplément d’âme et de son amour pour les instruments qui ont vécu. « C’est une vraie passion. Mon petit banjo date de 1895. Je ne sais pas combien de personnes ont pu jouer dessus… Je l’ai acheté à un Américain qui passe son temps à chiner aux Etats-Unis et à revendre de vieux instruments qu’il a retapés à des prix plus que démocratiques. Tu peux en écouter le son sur le Web. Il les décrit de fond en comble, avec leurs qualités mais aussi tous leurs défauts. »

Benoît joue également sur du matos des poétiques Coyote. Une guitare du regretté Sam Pierot, tragiquement parti, beaucoup trop jeune, pendant les fêtes de fin d’année. « Sam et moi avions pas mal de choses en commun. Il était lui aussi passionné par le blues d’avant-guerre. Il avait encore tant de choses à m’apprendre. » Et une gratte à 3 euros 50 de Christophe Paul. « Parfois, elle se met à vibrer, à bourdonner… J’aime beaucoup ça. Il l’a trouvée sur une brocante. Le gars lui demandait cinq euros mais il considérait que c’était encore trop cher… Quand il partait en camping, il n’emmenait même pas d’étuis avec lui. Il dormait à la belle étoile avec sa guitare qui prenait toute l’humidité. Il l’a usée, usée et usée encore. Beaucoup de luthiers la détesteraient mais je l’adore. » Peut-être parce qu’elle a son propre langage elle aussi…

NAOMKA, DISTRIBUÉ PAR HONEST HOUSE. ****

LE 13/03 AU BOTANIQUE AVEC FRANK SHINOBI, UMUNGUS ET TAÏFUN. LE 18/04 À L’ATELIER ROCK (HUY) AVEC THE FEATHER ET LE 06/06 À L’AN VERT (LIÈGE).

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