Critique | Musique

La minute Blond de Frank Ocean

Frank Ocean © DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Après de multiples rumeurs, Frank Ocean a fini par lâcher le successeur de Channel Orange. Un nouveau sommet de soul poétique, sentimentale et biscornue.

Enfin. Après plusieurs mois d’attente, et quasi autant de faux départs, Frank Ocean a fini par donner une suite à Channel Orange, disque clé de l’année 2012. À la disette succède l’abondance. Ce n’est en effet pas un, mais bien deux nouveaux albums que vient de sortir le musicien américain.

Le premier, intitulé Endless, est apparu le 19 août dernier. Il est question d’un « album visuel »: près de 45 minutes de musiques décousues, expérimentales, démarrant avec une reprise des Isley Brothers et se clôturant par une saillie techno. Le tout illustré par une vidéo noir et blanc tout aussi énigmatique (« teasée » depuis le début du mois d’août, sur le Net). Vingt-quatre heures plus tard, de manière tout aussi inopinée, Blond a déboulé à son tour via le service musical d’Apple.

En 2016, sortir un disque par surprise n’en constitue plus vraiment une. Pour les albums aussi attendus, la tactique semble même être devenue la règle. Dans le cas d’Ocean, la méthode reste toutefois flottante. Ou au minimum floue, nourrissant l’énigme plus qu’elle ne la résout. Loin en tous cas de la précision marketing attendue d’une telle sortie événement. Orthographié Blond sur l’artwork, le disque a par exemple été présenté sous le titre Blonde par Apple. Quant à la formule Boys Don’t Cry, longtemps pressentie pour l’album, elle désigne finalement un magazine (distribué dans des pop-up stores), dans lequel a été glissé le CD, proposant toutefois une autre liste de morceaux que sa version digitale… Vous avez dit confus?

Jeu de piste

C’est peut-être ça que Frank Ocean voulait signifier avec la vidéo d’Endless. On y voit le musicien s’activer patiemment dans un atelier, découpant du bois à la scie circulaire, peignant, soudant… Comme pour rappeler que derrière le buzz et la machine business, l’art est imparfait. Qu’il a besoin de temps. Et que creuser les émotions demande courage et persévérance. Même recadrées sous la forme de chansons, elles restent un jeu de piste nébuleux.

On a bien collecté les indices, semés tout au long de Blond: l’apparition furtive de Beyoncé (Pink + White), le coup d’éclat d’Andre 3000 (Solo Reprise), l’influence de James Blake, la citation des Beatles (White Ferrari), le crédit à Bowie… Malgré cela, c’est bien Ocean qui est au centre de l’attention, jouant avec sa voix, la trafiquant régulièrement (Nikes), pour mieux faire ressortir les nuances de l’histoire. Un récit cryptique, porté par des morceaux aux structures souvent complexes, voire alambiquées (Nights, découpé en deux parties). Même dans ses moments les plus complaisants, le charme impressionniste de l’entreprise soul ne rompt cependant pas.

Quelques heures après avoir mis la main dessus, Blond reste d’ailleurs encore largement à digérer. Pour l’instant, c’est surtout son audace qui fascine. Et son honnêteté. Orfèvre du cool (qui n’est pas de la froideur), crooner sans pose, Ocean confirme qu’il est l’un des rares aujourd’hui à pouvoir filer du sentiment sans donner l’impression de tricher. Et c’est déjà énorme.

FRANK OCEAN, BLOND, DISPONIBLE SUR APPLE MUSIC. ****

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content