Kings of Convenience de retour, enfin! Entretien avec Erlend Øye

Erlend Oye (à gauche) et Eirik Glambek Boe. Vive les rois...
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Erlend Øye retrouve Eirik Glambek Bøe pour Peace or Love, le premier album de Kings of Convenience en douze ans. La pop acoustique du tandem norvégien lui va toujours aussi bien.

Il fait tellement beau et lumineux dehors qu’il a tiré les tentures. Erlend Øye, le plus célèbre binoclard de la pop scandinave, habite en Italie mais zoome l’interview depuis la maison de son comparse Eirik Glambek Bøe à Bergen. Les raisons de son emménagement à Syracuse, au sud-est de la Sicile, peuvent paraître saugrenues: « En Norvège, tu bouffes tout seul la plupart du temps, explique-t-il. Parce qu’à moins d’être dans une relation amoureuse, les gens ne se rencontrent pas tant que ça pour manger. Or, moi, c’est quelque chose que j’aime beaucoup faire. J’apprécie la façon italienne de partager les repas. » Øye a toujours occupé une place assez singulière sur la scène scandinave. Il y a tout juste 20 ans, sorti de nulle part, le chanteur à la voix veloutée affolait les radars. Ceux du folk avec le premier album des Kings of Convenience et un titre de disque aux allures de manifeste: Quiet Is the New Loud. Ceux aussi des musiques électroniques, puisqu’il chantait la même année sur deux tubes (Poor Leno et Remind Me) de Röyksopp.

Quand et pourquoi avoir décidé d’enregistrer un nouveau Kings of Convenience?

Décider était facile mais le fabriquer fut une autre histoire. On a commencé en 2015. On a commencé à écrire des chansons, à partager des idées pour un disque. On a entamé les enregistrements en 2016. Mais à l’époque, des problèmes personnels se sont mêlés à nos vies. Nos tentatives n’ont pas été fructueuses. On a continué l’année d’après dans différents studios, avec différents ingénieurs du son. Et finalement, à partir d’un moment, je n’ai plus pu discerner ce qui était bon de ce qui ne l’était pas. On a mis le processus en suspens pendant un an et puis on s’est retrouvés en 2019. Tout était tout de suite plus clair. Ce qui était de qualité, ce qu’il allait nous falloir retravailler. Notre amie canadienne Leslie Feist venait en Europe, a demandé si on pouvait se voir et a proposé de faire un truc ensemble. C’est de là que viennent les deux chansons avec elle sur Peace or Love. Ça a équilibré la balance. On avait alors tous les ingrédients dont on avait besoin pour faire un bon disque. Nos tracas sont là, dans notre manière de délivrer les chansons. Mais je ne sais pas s’ils se sont glissés dans les paroles.

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Est-ce que tu te souviens de ta première rencontre avec Feist, qui apparaissait déjà sur votre deuxième album Riot on an Empty Street?

En 2002, j’avais été embauché pour jouer les DJ dans un festival à Lisbonne. Chilly Gonzales et Feist se produisaient ensemble. Il sautait sur le piano, portait un déguisement de chat. Ce genre de truc. Je traînais backstage. Et Gonzales a crié: « Leslie, ce mec est dans ce groupe, Kings of Convenience. Tu devrais lui filer ta démo. Ça ressemble à ce que tu fais. Beaucoup de gens m’en donnent mais c’est la meilleure que j’ai reçue. Tous ceux à qui je l’ai fait écouter étaient bluffés. Je l’ai encore. Ça avait été enregistré dans son appartement. Tu peux la trouver sur le Web. Ça s’appelle les Red Demos. » Après, on s’est revus à Berlin. On a donné un concert. Un petit truc pour une trentaine de personnes. On a réalisé qu’on avait des choses en commun. On l’a invitée dix mois plus tard alors qu’on enregistrait notre deuxième album. On lui a demandé si elle pouvait prendre un avion à Paris où elle vivait à l’époque pour venir faire un truc avec nous. En deux jours et demi, on avait mis en boîte ses deux contributions.

Qu’est-ce qui vous rapproche?

Je ne sais pas. Une certaine musicalité que je suis incapable de décrire. J’aime son écriture. Elle associe les choses avec son esprit. Un élément en amène un autre dont un troisième découle. Ses mélodies sont comme ça aussi. On est restés en contact au fil des années mais sa carrière a décollé juste après notre première collaboration. Il était donc compliqué de remettre ça. Elle était très occupée par son propre succès.

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Eirik vit en Norvège, toi en Italie. Comment votre relation a-t-elle évolué avec le temps?

Au début, en 2001, Eirik ne voulait pas prendre la route pour faire le tour du monde. Mais à partir de 2006-2007, il est devenu celui qui prenait le plus de plaisir dans les tournées. Il me poussait à ce qu’on fasse davantage de concerts. C’est un truc cyclique. On veut les mêmes choses mais pas en même temps. On est comme un vieux couple. Ou peut-être plutôt deux frères. C’est comme si on n’avait pas pu se choisir. Il a trois enfants maintenant. Il est aussi en général pas super organisé. Il peut être compliqué de lui grappiller du temps.

C’est quoi l’histoire du disque que tu as sorti l’an dernier avec Sebastian Maschat: Quarantine at El Ganzo?

Nous étions censé jouer avec Whitest Boy Alive dans deux gros festivals au Mexique mais ils ont été annulés alors qu’on arrivait. J’étais avec Sebastian, notre batteur, et on s’est retrouvés dans l’hôtel où on devait loger pour des sessions d’enregistrement. La situation était agréable. Tous les artistes en résidence avaient annulé à cause du Covid. Donc, on nous a autorisés à y rester. On y a squatté pendant trois mois et demi pour fabriquer l’album. Ce n’était pas facile de revenir en Europe mais ça aurait été possible. Pourquoi est-ce qu’on se serait battus pour rentrer, nous retrouver dans notre appartement et ne rien faire alors qu’on pouvait rester dans un endroit qu’on ne connaissait pas avec un tas de choses à découvrir.

Tu parles de Whitest Boy Alive. Vous avez sorti l’an dernier votre premier morceau depuis 2009…

Oui et le Covid est arrivé. On avait tout planifié mais la pandémie a foutu en l’air tout ce qu’on avait prévu. On verra quand on pourra relancer le truc. En espérant que le monde revienne à la normale. Les chansons n’ont pas encore été écrites. C’est bien que tu me demandes. Parce que souvent les gens interprètent. C’est un miracle quand tu crées de nouvelles chansons. Tout spécialement avec un projet comme Whitest Boy Alive. Parce que les directions qu’emprunte ce groupe doivent être très claires et concises. Ce n’est pas facile. Aussi parce que je ne sors plus pour danser autant qu’avant. Ce n’est pas que je suis trop vieux. Plutôt que mes oreilles ont déjà été endommagées et de manière assez significative. Je ne peux plus écouter de musique trop bruyante plus de 45 minutes. Sinon, je deviens très fatigué et perds toute mon attention. J’avais déjà des problèmes à nos débuts en 2001, mais lors de notre grosse tournée en 2009 avec Whitest Boy Alive pour notre deuxième album, c’est vraiment devenu inquiétant. Je suis vraiment content qu’on soit sur Kings of Convenience. Parce que ça reste un volume auquel je peux faire face. La plus grosse difficulté, c’est d’avoir l’air normal quand tu es entouré de gens. Quand je suis assis à une table de six où deux conversations sont tenues en même temps, je n’arrive à prêter attention à aucune d’entre elles. Je ne suis pas en mesure de « bloquer » l’autre. Je ne peux même plus aller à des concerts parce que les gens viennent me voir: « Hey, tu te souviens de moi? On s’est rencontrés là-bas à telle occasion? » Je déteste parler aux gens qui gueulent dans mes oreilles et tu ne peux même pas leur expliquer. Ils pensent juste que tu es un trou du cul. Ça veut dire que tu ne peux plus sortir. Parce que si tu sors, tu te mets dans une situation où tu deviens désagréable. Ce que je ne veux évidemment pas. En résumé, je ne veux plus vivre dans ce genre de ville où la socialisation se déroule dans des endroits où la musique va fort. En Italie, c’est très facile. Tu rencontres les gens en mangeant. Et souvent, c’est dehors.

Kings of Convenience, toujours en état de marche...
Kings of Convenience, toujours en état de marche…© SALVIO ALIBRIO

Quand on voit tout ce que tu as sorti l’an dernier, ça ressemble à l’année la plus chargée de ta carrière pratiquement…

C’est marrant: j’ai fabriqué un album en trois mois et j’ai mis six ans pour celui-ci avec Eirik. Ça résume bien comme notre collaboration est compliquée. Surtout à cause de nos situations de vie. On ne peut pas juste rester ensemble et travailler jusqu’à ce qu’un disque soit fini. Ça doit être fait par étapes. Par petits morceaux. C’est un peu comme une baignoire que tu essaies de réchauffer en y ajoutant de l’eau chaude. Tu le fais tellement lentement qu’elle se refroidit et tu n’arrives jamais à la température que tu désires.

Tu es un vrai bourlingueur.

C’est l’histoire de ma vie. C’est toujours comme ça que j’ai voulu la vivre. Mais je n’ai jamais rencontré d’amis qui cherchaient la même chose que moi. J’ai toujours côtoyé des gens plutôt casaniers qui voulaient rester au même endroit. C’est compliqué. Je continue de chercher. Les membres de mon groupe italien, La Comitiva, sont un peu dans ce trip-là. Et c’est d’ailleurs pourquoi je travaille avec eux. On a un style de vie similaire. Avec Eirik, on partage surtout de jolies harmonies vocales que beaucoup de gens aiment, mais c’est compliqué de bosser ensemble. La Comitiva, ce sont des musiciens que j’ai rencontrés depuis mon arrivée à Syracuse. Je n’ai pas déménagé pour eux. Tous les soirs, enfin presque tous les soirs, on se voit. On se fait à manger. Et après le repas, on joue. À la base, ce n’était pas créer des chansons, c’était jouer des morceaux qui existaient déjà. On a fait ça pendant trois ans avant de créer notre propre matériel. On jouait de tout mais surtout de la musique cubaine, brésilienne, espagnole. Chacun amène ce qu’il aime dans l’équation.

Cette ambiance sud-américaine, latine a toujours été présente dans ta musique. Pourquoi tu aimes tant ça?

Je ne sais pas. J’aime le fait que ça soit de la musique mélancolique sur laquelle tu peux danser. Il y a beaucoup de musiques ces temps-ci qui pleurent leur tristesse. Et sans le rythme, ça devient déprimant pour moi maintenant. Ce n’était pas comme ça avant. Il y a 20 ans, je prenais vraiment du plaisir à écouter de la musique triste. Je ne trouvais pas ça dépressif. Mais aujourd’hui, beaucoup de ces artistes qui sont vraiment vraiment tristes m’ennuient. Ce que je trouve chiant, c’est qu’il y a tellement de chanteurs aujourd’hui. Avant, tu avais beaucoup de groupes. Maintenant, tu as beaucoup de chanteurs. Ils cherchent des gens avec lesquels jouer pour enregistrer un CD. Je préfère les groupes. Je trouve ça plus intéressant. Ne serait-ce qu’un duo. Ce n’est plus la douleur d’une personne, c’est la douleur de deux.

Est-ce que tes goûts ont beaucoup évolué? Il y a de nouvelles influences sur ce nouveau Kings of Convenience?

Je dois admettre que travailler avec La Comitiva m’a beaucoup influencé. Parce que j’ai dû comprendre toute la musique que les autres voulaient jouer. Ils connaissent nettement mieux la musique brésilienne que moi. Je connaissais João Gilberto et quelques autres. Mais grâce à eux, j’ai découvert des trucs bien plus obscurs. Ça m’a aidé à trouver le chemin. Sinon, je ne sais pas. Notre but est plus d’être une influence pour les autres.

Quel a été le plus grand défi avec cet album?

Le plus difficile avec ce disque a été d’apprendre à jouer ces chansons tout en continuant à se surprendre. Parce que quand tu connais trop bien un morceau, tu sonnes « ennuyé » quand tu l’interprètes. Tu dois encore pouvoir être surpris quand tu t’entends le chanter pour créer la bonne prise. Tu dois donc trouver une manière de te tromper, de te jouer de toi. C’est comme tenter de faire un selfie en ayant l’air naturel. Au plus tu essaies, au moins c’est le cas.

Quiet is the new loud again?

D’une certaine manière oui. On n’a toujours pas vraiment d’opposition, de compétition. On reste les seuls à pratiquer notre sport. Ce n’est pas comme s’il y avait des tonnes de duos avec deux voix et deux guitares. La dernière chanson de Billie Eilish, la plus grande artiste du monde aujourd’hui, ne sonne pas bien loin de ce qu’on fait mais on reste inhabituels. Un groupe comme le nôtre nécessite deux ego pour trouver un équilibre.

Kings of Convenience – « Peace or Love »

Pop. Distribué par EMI.***(*)

Il n’a pas la fraîcheur et la magie douce de leur premier album Quiet Is the New Loud, ce manifeste de la pop scandinave boisée et des folks lumineux du grand nord sorti il y a tout juste 20 ans. Peace or Love n’en est pas moins une délicieuse sucrerie. Héritiers de Simon and Garfunkel, cousins norvégiens de Belle and Sebastian, Erlend Øye et Eirik Glambek Bøe ont conservé toute leur science de la chanson bucolique, de la pop pastorale et des harmonies vocales éternellement juvéniles. Un disque friandise qui invite Feist et réconforte dans toute sa légèreté acoustique.

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