Jungle revient avec Loving In Stereo : « L’intrigue et le mystère restent pour nous un élément crucial »

Tom McFarland et Josh Lloyd-Watson, les deux cerveaux derrière Jungle. © ANNA VICTORIA BEST
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Trois ans après la soul plus downtempo de For Ever, le duo anglais revient avec Loving In Stereo, troisième album au message flou, mais à l’objectif clair: la piste de danse!

À l’époque, rappelez-vous, on y croyait encore. Quand la vidéo du premier single du nouvel album de Jungle est sortie, au mois de mars, tout semblait en effet y indiquer le bout du tunnel. En pleine deuxième vague du coronavirus, les danseurs de Keep Moving se réveillaient d’un long sommeil. Toujours enfermés, certes, dans une espèce d’ancien centre sanitaire abandonné, entouré de hauts grillages. Mais en mouvement, lancés dans une chorégraphie extatique, tournée en une prise. Un an après le début du premier confinement, vous aviez oublié l’odeur du dance-floor? Plus que jamais, Jungle était là pour vous la rappeler.

Entre-temps, le virus a continué de faire des siennes. Mais le troisième album du duo anglais est bien là. Prévu pour ce vendredi, Loving in Stereo confirme le son dansant funky-disco de Jungle. Celui que Josh Lloyd-Watson et Tom McFarland, deux amis d’enfance de Londres, ont inauguré dès 2014 avec un premier disque éponyme, et des tubes comme The Heat ou encore Busy Earnin’. À l’époque, le binôme restait assez discret, planqué derrière des visuels anonymes et des vidéos laissant toute la place aux danseurs. McFarland: « On a toujours été inspirés par des groupes comme Daft Punk. Des artistes qui ont réussi à disparaître derrière leur masque ou leur logo, pour laisser toute la place à la musique. Quelque part, elle a même fini par les dépasser, par devenir plus grande qu’eux. »

Dans le cas de Jungle, elle leur a valu de se retrouver dans la liste des nominés pour le prestigieux Mercury Prize, dès leur premier album. Quatre ans plus tard, en 2018, For Ever n’a peut-être pas bénéficié de la même hype, mais leur a permis d’enchaîner les plus gros festivals -ici, le Pukkelpop et Rock Werchter. Il marquait aussi un léger pas de côté du duo, vers une musique plus downtempo. Aujourd’hui, Lloyd-Watson et McFarland en sont un peu revenus. Le premier: « Ce deuxième album s’est fait un peu dans la souffrance. On a commencé à se poser beaucoup de questions. Sans doute trop. » Le scénario classique du « difficile » deuxième album, censé confirmer un premier succès, sans pour autant le répéter… L’épisode a, semble-t-il, laissé des traces. Depuis, Jungle a par exemple créé son propre label. « C’est simplement une question de liberté. Ça fait du bien de pouvoir tout contrôler, d’avoir la main sur chaque aspect de ce que vous voulez raconter. » Même si XL Recordings, qui les a signés au début de leur carrière, a précisément construit sa réputation sur la liberté supposée laissée à ses artistes (de Radiohead à FKA Twigs). Lloyd-Watson: « Peut-être bien. Mais au bout du compte, ça reste toujours une question de business et de marketing. On parle d’une entreprise qu’il faut faire tourner, avec des objectifs financiers. » McFarland:  » Le seul qui ne s’en est jamais soucié, c’est Factory Records. Et on sait tous comment ça a fini, ah ah ah! » ( la faillite en 1992, pour le flamboyant label de Joy Division, A Certain Ratio, The Happy Mondays, etc., NDLR).

Avec Loving in Stereo, Jungle reprend donc la main. Fini les tempos plus posés de For Ever. Lloyd-Watson: « Ce n’est pas qu’on n’aime plus faire ce genre de musique. Mais en concert, ça s’est avéré parfois frustrant. Autant pour le public, qui attendait de pouvoir bouger, que pour nous d’ailleurs. La vie est trop courte que pour s’épancher trop longuement. Et puis, on n’est pas Bon Iver ou James Blake. On préfère leur laisser ce créneau, et se concentrer sur ce qu’on sait faire de mieux. »

Jungle revient avec Loving In Stereo :

Jeu collectif

Après avoir enregistré ses débuts dans sa chambre, le binôme a donc investi cette fois The Church, à Londres -une ancienne église reconvertie en studio, où sont notamment passés Eurythmics, U2, Adèle, etc. Il en a profité pour tenter de nouvelles choses -comme la guitare rock sur Truth ou les réminiscences hip-hop sur Romeo, avec le rappeur Bas. « Le genre de choses que l’on ne serait probablement permises avant, quand on se prenait un peu trop au sérieux. » C’est pourtant quand il reste fidèle à son esthétique soul-disco-pop que Jungle reste encore le plus pertinent. A fortiori dans un monde qui a besoin plus que jamais de retrouver l’euphorie de la piste de danse. Comme le prouve par exemple l’explosion de TikTok? Sur le réseau social, les chorés flash se succèdent, exécutées souvent solo face caméra, dans son salon. Dans les vidéos de Jungle, la danse prend une autre tournure, moins ego-trip qu’élan collectif. Sur YouTube, le groupe a même posté un tutorial des mouvements très West Side Story de Keep Moving: il fait près de 40 minutes… Lloyd-Watson: « TikTok? J’imagine qu’on est un peu trop vieux pour ça, non? Je vois bien le fun qu’on peut y trouver. Mais avec quand même cet élément de narcissisme qui a été introduit par les réseaux comme Instagram. On est passé de la démarche communautaire à quelque chose de plus individualiste. Vous devez être votre propre icône de magazine. Et puis, il faut aussi sans cesse nourrir la machine. Et si vous ne le faites pas, que vous ne balancez pas régulièrement du contenu, vous êtes vite déclassé socialement… »

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Qui a dit que la dance n’était que pur divertissement? Sur Loving in Stereo, Inflo, un ami de la maison, a collaboré sur au moins trois titres. Producteur notamment pour Michael Kiwanuka, il est surtout « suspecté » d’être derrière Sault, le collectif soul anonyme qui a sorti ces deux dernières années pas moins de cinq albums, aux messages chaque fois très politiques. Une posture que pourrait également assumer Jungle?  » La musique de Jungle est ce que vous voulez qu’elle soit. Personnelle ou politique, c’est vous qui voyez. De notre côté, on essaie de faire en sorte de pousser les morceaux aussi loin que possible, mais en s’arrêtant juste avant qu’ils ne deviennent trop explicites. L’intrigue et le mystère restent pour nous un élément crucial. Dès que vous donnez trop de réponses, vous perdez le spectateur. On préfère laisser assez de flou pour qu’il puisse investir ses propres émotions. »

Jungle, Loving In Stereo, distribué par Caiola Records. En concert le 29/01, à Forest National. ***

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