Ivan Tirtiaux, au nom de la rose

Ivan Tirtiaux, immigré citadin d'une famille campagnarde et musicien amoureux des mots. © Philippe Cornet
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Jongleur tropicaliste, Ivan Tirtiaux pousse son second album, L’Oasis, dans d’impressionnantes sensations électrico-organiques. Voire florales. En français dans le texte.

Si Ivan Tirtiaux, 42 ans, Bruxellois d’adoption, était une plage, de quoi serait-elle faite ? Galets, sable ou rochers, plate ou à front de falaise? Mettez-moi le tout, caractéristiques qui annoncent la présence proche de la mer et des écumes, à plusieurs reliefs et senteurs. Eau amenée au désert, L’Oasis est donc un album de ressacs émotionnels comme de vagues entre genres, musiques et verbes soignés. Un mouvement de balancier, à l’image du premier Tirtiaux, L’Envol, sorti en 2014, mais aux ambitions plus océaniques. Dans une gracieuse langue française dont le phrasé peut sembler joliment anachronique alors que la cible reste bien contemporaine. Dans les mots qui accrochent l’amour – « Je m’endurcirai comme pierre/Celles dont on fait les ponts » (Caillou) – traquent l’exil – « C’est un village de vacances/La plage de la providence » – ou manifestent le vouloir-vivre, celui de Réveil, « Je suis vivant/Je le sens dans l’écorce ». Textes sensoriels portés aux frontières du vécu et la nécessité de faire voyager les morceaux. « J’ai longtemps rêvé d’aller au Brésil et, d’ailleurs, j’ai fini par y aller, il n’y a pas loin de vingt ans »: Tirtiaux est sur une terrasse amie d’un appartement bruxellois « parce que chez moi, c’est trop le bordel ».

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Sans déballer son intimité, depuis qu’on le côtoie de loin en loin, cet éternel jeune homme semble avoir un CV arborescent via un ADN de chansons fictionnalisées ou fraîchement biographiques. La plage titulaire, L’Oasis, n’est rien d’autre que le splendide compte rendu de la vie de son grand-père paternel, éleveur de roses, né en 1918. Qui raconte autant le parcours des fleurs que celui des êtres humains, de ceux qui éclosent, prospèrent puis fanent. « Son but n’était pas seulement les couleurs mais les parfums. Sa serre était magique. » Cela se passe à la ferme de Martinrou, domaine familial hérité de plusieurs générations, dans la campagne, pas loin de Charleroi. Où Ivan a été élevé, tout comme son père Bernard Tirtiaux. « Maître-verrier mais aussi écrivain et homme de théâtre. J’ai grandi dans une ferme reconvertie en théâtre avec, au départ, beaucoup d’artisans qui y travaillaient. Des marionnettistes, un forgeron, un menuisier. Et c’est mon père, aidé par ma mère, qui a retransformé la ferme en ce qu’elle est aujourd’hui, avec des spectacles, des stages pour enfants, tout un microcosme. »

Rrrrrhemeyto

Ivan est donc l’immigré citadin d’une famille campagnarde qui élève des chevaux sur plusieurs générations. D’où la reprise de Pauvre Martin, un Brassens de 1953, formidable récit d’un monde paysan qui – déjà – menace alors de s’éteindre: « Il existe encore beaucoup de Martin… Loin des ordis sur scène aux applications numériques qui peuvent créer des albums avec les quatre mêmes accords. Moi, je ne suis aucune stratégie mais j’aime bien les rugosités. Avec mon guide le hasard, comme dirait Verhaeren. » Ivan cite le poète flamand d’expression française (1855 – 1916). Par vrai amour des mots et, surtout, parce que, même s’il est sur les réseaux sociaux, le marketing hypertrophié n’est décidément pas son karma. « Je n’ai pas tellement lu les poètes mais j’y reviens de temps en temps », précise-t-il alors que les phrases de L’Oasis dansent encore en tête de la veille.

Je ne crois pas trop u0026#xE0; la gloire et puis, mon ego prend cela plutu0026#xF4;t bien.

On est au lendemain du concert au Théâtre 140, lancement officiel du second album: sur la scène schaerbeekoise, le jeudi 25 avril dernier, Ivan est entouré de quatre musiciens. Un contrebassiste (Mathieu Verkaeren), un joueur de mandoline et de cordes (Raphaël Dumas), un batteur afro-funky (Wilfried Manzanza) et puis une source de percussions brésiliennes, montagne d’instruments qui installe… 69 pièces au compteur (Nyllo Canela). Ce dernier, rigolard sachem brésilien, manipule toutes sortes d’objets sonores pour faire des rrrrrhemeyto ou des psssschiitera, onomatopées fraternelles, décalées et tropicales injectées dans les chansons d’Ivan, dignes mais pas seulement. Un peu comme si la mathématique chansonnesque de Tirtiaux – millimétrée, hypersoignée, architecturée – était libérée dans la vaste jungle organique du fameux pays-continent sud-américain. Avec des ricochets où le son épaissi est désormais plus charnel, plus mature, plus électrique, notamment dans les guitares électriques libérées. « J’avais envie de faire un album folk et puis j’ai rencontré ce percussionniste brésilien, très ouvert, et le batteur Wilfried, tout à fait funk, un genre que j’avais pratiqué il y a longtemps. Le tout autoproduit, avec un peu d’aide de la Fédération Wallonie-Bruxelles et d’un crowdfunding Ulule ramenant autour de 5.000 euros. »

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Dans la poitrine

Quatre ans et demi ont passé depuis le premier album, à réfléchir au futur successeur discographique. En accompagnant autrui – Claude Semal, Mathieu Bressan-, en animant des ateliers d’écriture et d’instru guitare ou en participant à d’autres groupes. Comme le juteux Yôkaï où Ivan fait rager sa guitare dans une commune électricité libertaire: « Travailler avec eux a permis d’expérimenter certaines choses qui ont pu aussi revenir dans ma propre musique. Participer à des groupes comme Yôkaï, c’est reconnaître qu’un projet en nourrit un autre. Je ne crois pas trop à la gloire et puis, mon ego prend cela plutôt bien. » Sourire Tirtiaux, alors que la quarantaine ramène naturellement l’intime, celui qui a un peu la gueule de gentil shaman de la belle pochette illustrée de L’Oasis. Fortement au sein de Dans la poitrine, gumbo funky trempé de giclées sauvages. « Cela raconte une sorte d’expérience métaphysique d’il y a quelques années, un état de transe qui s’est manifesté comme cela, à jeun total (sourire). Je pense que c’est lié à des choses de la vie, plus anciennes que moi, qui devaient sortir et qui l’ont fait, sous forme de dragon ou de lumière intense. Il m’a fallu plusieurs années pour en parler, peut-être parce que cela a un rapport avec la famille et puis j’avais assisté à des cérémonies de transe au Brésil, du candomblé, où un type s’était jeté sur des statuettes et avait failli se rompre le cou… En creusant, par après, via la psychanalyse, vous comprenez que dans les ancêtres, il y a eu tel ou tel événement. » Pas besoin de la séance psy, L’Oasis offre une alternative bien plus fruitée.

L’Oasis est distribué par Differ-Ant. Ivan Tirtiaux est en concert en trio le 1er juin prochain à L’An Vert, à Liège. www.facebook.com/ivantirtiaux

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