Get Busy, l’anthologie: « En France, les enfants de l’immigration étaient alors inexistants dans les médias »

Sear, rédac' chef intraitable de Get Busy.
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Au début des nineties naissait Get Busy, fanzine hip-hop qui accompagnera l’explosion du rap français. Trente ans et plusieurs mutations plus tard, le titre existe toujours et fait l’objet d’une anthologie. Interview avec Sear, son fondateur.

Juin 1990. Un mois après la sortie de Rapattitude, compile qui va acter la naissance d’une scène rap en français, un concert est organisé à Bobino. Dans la salle, un tout nouveau fanzine est distribué gratuitement. Il tient sur huit pages. Son titre: Get Busy. Son slogan: « Interdit aux bâtards« . Le projet est celui d’acharnés, passionnés de la première heure: les b-boys parlent aux b-boys. À l’époque, le Web est encore un fantasme. Et les médias rap, inexistants. Le fanzine est photocopié, les « réunions » de rédaction organisées au MacDo, et les coups de fil passés à la cabine téléphonique la plus proche. Le ton est vachard, arrogant, drôle. Bordélique souvent, informé toujours. À l’arrache, Get Busy chope des interviews avec les stars US: Public Enemy, Ice Cube, Snoop Dogg, etc.

L’aventure dure jusqu’en 1995. Avant de se relancer trois ans plus tard, sous un autre nom. Officiellement, Authentik est le magazine de NTM. Mais dès le premier numéro, imaginé pour accompagner le lancement du quatrième album du groupe, le ton est donné. Authentik ne donne pas la parole qu’au duo Kool Shen-JoeyStarr et s’ouvre à d’autres sujets que le rap (et réussit même à aller chercher des pubs chez les maisons de disques concurrentes). Une anomalie.

Trois numéros sont publiés, et puis basta. Quand il revient, en kiosque cette fois, c’est pour relancer le nom Get Busy. L’ouverture et la liberté de ton sont conservées, quelque part entre The Source et Hara Kiri. À côté des rappeurs défilent sportifs (Thuram, Platini), acteurs (Poelvoorde), héros d’enfance (Casimir), bandits (Marcantoni), avocats (Vergès), stars du X (Julia Channel préposée au courrier du coeur), etc. À nouveau, l’aventure est aussi marquante qu’éphémère. En 2003, le magazine s’arrête. Il renaîtra quelques années plus tard sur le Net, avant d’atterrir sur Clique TV, le média web de Mouloud Achour, sur Canal+. Et de faire désormais l’objet d’une publication, une plantureuse anthologie qui revient sur la trajectoire d’une aventure médiatique inédite, en republiant quelques-unes de ses interviews les plus marquantes. Avec pour fil rouge, le rap. Un ton aussi, à la fois curieux et ironique. Et puis un personnage, Sear. Né Stéphane Begoc, en 1968, d’un père kabyle et d’une mère yougoslave, il tombe dans la marmite hip-hop US à l’adolescence. Fan incorruptible, il lancera Get Busy pour nourrir sa passion (avant qu’il ne l’aide à s’en détacher) et défendre un idéal hip-hop (au moment où Sear a l’impression qu’il se fissure déjà). Trente ans plus tard, il tient toujours la baraque. Le crâne éternellement rasé, affilié Fila à vie. Hip hop state of mind.

En 91, les pionniers Lionel D, MC Solaar, IAM, et un certain Sear (bonnet noir), etc. Au milieu des b-boys, le premier numéro de Get Busy.
En 91, les pionniers Lionel D, MC Solaar, IAM, et un certain Sear (bonnet noir), etc. Au milieu des b-boys, le premier numéro de Get Busy.

Un historique?

1983, le hip-hop débarque en France. C’est le choc. Plus tard, il y a les premiers gros succès en français. Les médias se penchent dessus, toujours mal. La presse rock, notamment, en parle avec beaucoup de mépris, voire une forme de racisme. Par réaction, on décide de lancer notre propre fanzine.

Pourquoi le hip-hop?

À la base, on écoutait déjà pas mal de funk, de soul, etc. Mais quand le rap arrive, c’est vraiment la première musique dans laquelle on pouvait se retrouver et dont on pouvait être acteurs. Il y avait un truc d’identification aussi, pour un mouvement créé par des Noirs et des latinos. Ils représentaient des figures auxquelles on pouvait facilement se rattacher. Il faut quand même se rappeler qu’en France, les enfants de l’immigration étaient alors inexistants dans les médias. L’ambiance en banlieue dans les années 80, c’était pas terrible non plus. Il n’y avait pas grand-chose pour nous. Donc quand le hip-hop arrive, on percute. Au début, tu es accroché par la danse, très spectaculaire. Puis la Zulu Nation arrive. Avec une philosophie très simpliste mais à laquelle on a voulu croire. Pas longtemps, d’accord, mais quand même. On s’est retrouvés happés par tout ça.

Dans l’anthologie, certains de vos collègues vous décrivent: « rédacteur en chef caractériel, tête de con certifiée, intransigeant, maniant la ponceuse à langue de bois comme personne ». Correct?

À l’époque, j’étais un peu radical. Et oui, volontiers caustique, chambreur. Il y avait un côté militant aussi. On avait une foi profonde dans ce qu’on faisait.

Un autre protagoniste, Angelo, écrit encore: « Sear n’a jamais été proche du rap français« . Paradoxal?

On a grandi avec le hip-hop américain. Quand la scène française a explosé, même si on était contents que ça prenne enfin ici, il y avait encore une vraie différence de niveau. C’est normal. Et puis, pour tout dire, le milieu hip-hop restait un petit microcosme. Du coup, c’est toujours rigolo de voir des gars que tu connais se mettre à rapper. Donc, on a accompagné le rap français. Mais ce n’était pas forcément ce qui tournait dans mon walkman.

L’image de Get Busy est celle de puristes du rap. D’accord?

Je l’ai été. Aujourd’hui, c’est moins le cas. Je suis beaucoup plus détaché du rap. Mais à l’époque, oui, quelqu’un comme Olivier Cachin nous avait baptisés « les Ayatollah du rap ». C’est bon, je prends (rires). En fait, on a été puristes au moment où cette musique l’était. Quand elle s’est diluée, je l’ai moins aimée.

C’est aussi pour ça que la première version de Get Busy s’arrête après une douzaine de numéros?

Disons qu’on arrivait un peu à la limite de ce qu’on pouvait faire. Peu de temps après, le management de NTM me contacte pour lancer Authentik. J’ai 30 ans. Je sais que je ne veux plus seulement faire du rap. Eux me parlent notamment de Grand Royal, le magazine qu’avaient lancé les Beastie Boys. Quand je l’ouvre, je lis huit pages sur Bruce Lee. On était sur la même longueur d’ondes!

Authentik, puis Get Busy deuxième version, proposeront aussi bien des rencontres avec des rappeurs qu’avec des acteurs, des hommes politiques, des sportifs, des animateurs télé, etc. Comment choisissiez-vous vos sujets?

On s’intéressait un peu à tout. Le seul « critère » était qu’il fallait que ça reste populaire, mais avec une exigence. En général, je préfère les gens intelligents aux intellos. Donc oui, on a eu plein de personnalités différentes… Chaque fois, le but était d’aller voir au-delà de la façade.

Get Busy, l'anthologie:

Avec une prédilection pour les personnages un peu « dissidents », les seconds rôles flamboyants? Par exemple quand vous interrogez des acteurs comme André Pousse (Le Pacha) ou Henri Cogan (Les Tontons flingueurs)…

Des gueules, oui. André Pousse, c’était l’un des derniers survivants d’un cinéma qui aujourd’hui n’existe plus. Avec en plus un vécu incroyable (il a commencé le cinéma à 43 ans, après une première carrière de cycliste et d’agent artistique, NDLR). Je fais aussi partie de la dernière génération à avoir bouffé du Audiard. Forcément, il y avait une forme de fascination pour des figures qu’on ne voit plus trop aujourd’hui.

Vous vous retrouvez à publier de longues interviews avec José Bové ou l’avocat Jacques Vergès. Est-ce que vous vous définissez alors comme un journaliste?

Certainement pas au début. C’était presque une insulte pour nous. Encore une fois, on s’est construits contre eux. Pas seulement à cause du traitement médiatique du rap d’ailleurs, mais aussi de sujets comme l’immigration, etc. Après, par la force des choses, on se retrouve à en faire, du journalisme. Ça a fait partie d’une évolution où j’avais besoin de prendre du recul, de m’intéresser à d’autres choses. J’étais entouré de gens pointus. Ils m’ont aussi permis de m’élever intellectuellement.

Au-delà de la gaudriole, y avait-il aussi une vision « politique » de ce que vous vouliez faire?

Je n’ai voté qu’une seule fois. En 1988, après l’assassinat de Malik Oussekine (tué par des policiers après une manifestation étudiante, NDLR), pour faire réélire Mitterrand contre Chirac. Puis j’ai fini par comprendre ce qu’étaient vraiment le PS, SOS Racisme… En fait, on nous a engrainés à voter systématiquement « contre », jamais « pour » un projet. Avec systématiquement le FN comme épouvantail… De toutes façons, le politique a de moins en moins de pouvoir. C’est une banalité de le dire, mais on voit bien qu’il n’est plus cantonné qu’aux « affaires courantes », qu’il n’a pas de prise sur l’économique. On brade le service public et on délaisse le social pour le privé… Cela étant dit, même si certains éditos ont pu dire des trucs, on ne s’est jamais considérés comme des commentateurs politiques. Ni comme des militants d’ailleurs. Je n’oublie juste pas d’où l’on vient, et d’où l’on parle, dans quel genre d’endroit on a grandi: le milieu ouvrier, immigré, issu des quartiers populaires.

Get Busy existe depuis plus de 30 ans. Des regrets?

Peut-être les montagnes russes qu’a été ce magazine. J’ai manqué de constance, mais, par contre, pas de persistance (rires). On a commencé en distribuant un fanzine gratuit et je constate aujourd’hui qu’on est le seul à être toujours là, et à rester pertinent.

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Les principaux médias rap actuels se trouvent sur le Net. C’est aussi là que s’est réfugié Get Busy…

On est arrivés un peu tard. Comme des vieux (rires). Pour être clair, le Net, on fait avec. Mais ce n’est pas un réflexe. Aujourd’hui, l’émission passe sur Clique et se retrouve sur YouTube. On a démarré avec un programme d’une heure par mois pour proposer actuellement 1 heure 30 toutes les deux semaines. Avec des invités très différents: Frédéric Taddeï, Ramzy, etc. Clique a tendance à vouloir nous brancher surtout sur des rappeurs. Ça m’emmerde un peu, j’avoue. Je leur ai dit. Ils nous ont rétorqué qu’on « était les plus qualifiés pour les faire« . OK, je veux bien. Je pense malgré tout qu’on arrive un peu au bout, qu’on doit de nouveau élargir.

C’est Franck Annese, journaliste et patron de So Press, qui a écrit l’épilogue de l’anthologie qui vient de paraître. Pourquoi ce choix?

On cherchait quelqu’un qui avait osé lancer un projet de presse récemment, et qui avait réussi. Dans l’équipe, plusieurs lisent So Foot. Personnellement, je mets régulièrement la main sur Society, qui est pratiquement un des seuls magazines qui proposent des sujets qui m’interpellent. Je ne connaissais pas Franck Annese personnellement. Mais son point de vue nous intéressait… Comme il existe aujourd’hui une sorte de revival autour des vinyles, je pense que les gens restent attachés au papier. Pas pour tout. Pour l’actu chaude, c’est mort. Il suffit d’ouvrir son portable pour être abreuvé d’infos aussi vite digérées, d’indignations ultra temporaires. Mais je crois encore beaucoup à un média papier qui pourrait travailler sur des temps plus longs, qui paraîtrait deux, trois, peut-être quatre fois par an.

Ce à quoi pourrait ressembler éventuellement la suite de Get Busy?

Arf, on a déjà annoncé le retour tellement de fois. Voyons déjà la vie qu’a le bouquin. Et puis qui sait?…

Get Busy, Anthologie, éditions Marabout, 264 pages. ****(*)

Sear royal

Get Busy, l'anthologie:

Sear [Cheur] ou Sear [Sir]?

Le premier. Même si fondamentalement, l’un n’a pas plus de légitimité linguistique que l’autre (rires). Au départ, ça ne veut rien dire, c’est juste un tag. C’est plus tard qu’on a trouvé l’acronyme: Signataire Éternel d’Articles Radicaux.

Platini ou Zidane?

Zidane quand même. Pour la Coupe du monde 98. Au-delà du foot, ça reste un moment d’euphorie assez unique. Même si c’était un peu factice et que ça n’a pas duré très longtemps. Les débats sur l’immigration sont vite remontés à la surface. Mais on se trouvait aussi dans une sorte d’embellie économique. Ce genre de moment où toutes les étoiles sont alignées.

La Haine ou Ma-6T va crack-er?

Aucun des deux. Je n’aime pas les films de « banlieue ». Je sais que pour certains La Haine est un film culte. Mais désolé, je ne suis pas. Pire que caricaturaux, ils ont fait rentrer le héros caillera dans l’inconscient collectif. C’est à lui qu’on s’identifie aujourd’hui. Alors que, dans la banlieue où j’ai grandi, il y avait des voyous, mais c’était un profil parmi plein d’autres.

Lui ou Playboy?

Playboy, pour l’aura, Hugh Hefner en peignoir autour de la piscine, les bunnies.

Prince ou Michael Jackson?

Prince! 1999, encore aujourd’hui, ça sonne comme le funk du futur. J’ai adoré ce son de Minneapolis que l’on retrouve sur ses autres productions de l’époque, pour The Time, etc. Et 1999, c’est un peu l’apogée de ça. Purple Rain, par exemple, qui a un côté plus rock, j’ai pas de toute suite accroché. Même si, quand le film est sorti, j’ai été le voir onze fois…

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