Forever Pavot raconte son disque enregistré chez les utilisateurs du Bon Coin

Forever Pavot © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

À la veille de son concert à l’Atelier 210, le génial Émile Sornin, alias Forever Pavot, raconte son disque itinérant Le Bon Coin Forever, sa vision du psychédélisme et son amour des BO qui font flipper. French touch…

Il y a quelques semaines, Nicolas Sarkozy s’attirait les moqueries des internautes après avoir déclaré qu’il ne connaissait pas le Bon Coin. Le deuxième site Internet le plus consulté des Français, leader Web des petites annonces et de l’occasion. Émile Sornin, lui, sait ce que c’est. Il en a même fait un disque et un film. En 2013, le sociologue Alain Caillé soulignait dans les pages du Monde que le site recréait du lien social de proximité sur le Web… Bien vu, même s’il ne s’imaginait jamais qu’un doux hurluberlu s’en servirait pour aller enregistrer un album chez l’habitant.

C’est sur l’invitation du Confort Moderne, un centre culturel installé dans un ancien entrepôt de matériel électroménager à Poitiers, que Sornin, alias Forever Pavot, a sillonné les routes du Poitou-Charentes à la rencontre de ses résidents et de leurs instruments. Pendant trois week-ends, le Parisien d’adoption a promené son ordi, ses longs poils et sa moustache chez une trentaine de particuliers, utilisateurs du Bon Coin, et a enregistré un disque chez eux en utilisant ce qu’ils essayaient de fourguer…

« Le Confort Moderne a été précurseur de la mode du jazz éthiopien. Il possède une fanzinothèque qui rassemble un tas de fanzines francophones… C’est un lieu superintéressant. Au courant de ma passion pour les vieux instruments bizarres, Guillaume Chiron, qui y travaille et jouait dans un groupe dont j’étais fan, Microfilm, et qui posait des dialogues de films sur de la musique instrumentale, m’a proposé de contacter des gens sur Le Bon Coin et d’aller chez eux faire des chansons. Au départ, on ne savait pas si ça déboucherait sur un disque ou un docu… Si ça donnerait un titre très long ou plein de petits morceaux. Je me suis rendu compte que ce serait rigolo d’enregistrer de petites empreintes de chaque lieu. De commencer une chanson chez l’un et de la terminer chez l’autre. »

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Sur la liste d’instruments qu’il avait dressée, Émile avait notamment glissé un clavecin « parce que je n’en ai jamais joué et que j’en suis fou » et un orgue d’église. « Pas spécialement ce qu’on trouve le plus facilement. » Il a aussi cherché à rencontrer d’étranges luthiers, des savants fous du son qui fabriquaient leurs propres instruments. Au hasard de son périple, il croise un artisan qui a bricolé sa première basse à seize ans sur base d’une photo de magazine (« en respectant les échelles, un peu en mode contrefaçon chinoise ») et un grand malade qui a installé un embout de vuvuzela, la trompette du footeux, sur un tuyau d’arrosage…

Forever Pavot raconte son disque enregistré chez les utilisateurs du Bon Coin
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« C’est vachement rassurant. J’ai parfois l’impression de faire de la musique de manière infantile ou puérile, mais j’ai rencontré des gens de 20 ou 30 ans de plus que moi toujours aussi passionnés. » Appartement bourgeois, lotissement pavillonnaire, squat… Les lieux du pèlerinage ont nourri le projet comme les instruments et la rencontre de leur propriétaire. « Il y a des gens chez qui c’était génial, avec qui on a partagé beaucoup de choses, et d’autres chez qui on est restés à peine cinq minutes. Soit parce que j’allais rien donner avec l’instrument dont je n’arrivais pas trop à me servir ou qui n’était pas intéressant pour ce que je voulais. Soit parce que le feeling passait pas. J’ai l’habitude de travailler tout seul chez moi, sans être observé. Ça m’a changé. »

De la chiptune au Bon Coin

Dans son quartier, à la Cantine de Belleville, pendant que les serveurs dressent les tables du midi et que les maraîchers alpaguent le promeneur, Émile raconte le mec chez qui il fait un barbecue mais picole tellement que rien n’est exploitable. Et l’autre chez qui il joue de la scie musicale. « Pendant tout le truc, je me dis: c’est bizarre. Il ne me regarde jamais. Je le laissais tout faire mais j’avais oublié qu’il était aveugle. »

De son propre aveu, Sornin n’est pas un grand bricoleur, mais ces rencontres lui ont donné envie. Envie de fabriquer des instruments de ses propres mains. « À un moment, j’ai testé le circuit bending, les jouets détournés. J’ai participé à des ateliers au Palais de Tokyo. J’étais dans la chiptune, les musiques 8-bit… Mais je n’étais pas assez assidu. Ce que je soudais ne marchait jamais et je n’avais pas la patience. Je me suis ensuite intéressé aux synthés analogiques. Et je me voyais mal dépiauter des trucs à 500 euros qui ensuite ne fonctionneraient plus. Alors que les jouets de cinq ou dix balles, tu t’en fous un peu. » Envie aussi de proposer une suite à cette aventure du côté de l’étranger. En Russie, au Japon, aux États-Unis, dans les pays de l’Est peut-être.

Forever Pavot raconte son disque enregistré chez les utilisateurs du Bon Coin
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« Plus que le côté Bon Coin, je veux aller à la rencontrer de savants fous, de collectionneurs qui ont des instruments complètement dingues. Je passe mes journées à en chercher, à fouiner. Et j’en trouve encore qui ont des textures et des sonorités qui me fascinent. Tout comme je cherche des disques, des styles de musique, des chansons… Je suis boulimique. Toutes mes journées, toutes mes soirées sont dédiées à ça quasiment. Ça semble sans fin. À un moment, je me dis: les Italiens, j’ai tout trouvé. Les trucs cool, je les connais. Et bang, je retombe sur un autre truc. C’est un puits sans fond. »

Psychédélisme baroque

Fils d’un océanographe, biologiste marin intéressé par le jazz et les musiques du monde, et d’une assistante sociale, conseillère conjugale et familiale, « la plus hippie des deux, à fond dans Pink Floyd, Brigitte Fontaine et Areski », Émile grandit à La Rochelle avant de se casser à 18 ans pour la capitale et un BTS en audiovisuel. En arrivant à Paname, après avoir eu des groupes de reggae, de jazz, de métal, de punk hardcore, il se remet au hip hop.

« Vers quinze-seize ans déjà, je samplais les disques de mes parents avec un logiciel de merde et je rappais des paroles à chier. Alors à Paris, comme j’étais tout seul sans mes copains et que je voulais faire de la musique, j’en suis revenu au hip hop et à la musique électronique. C’est à ce moment-là que je suis vraiment tombé dans le vinyle. Je me suis mis à acheter beaucoup, à sampler. J’adorais Madlib, MF Doom, J Dilla… Tous les trucs Stones Throw. Je faisais toutes les brocantes. Je passais mes dimanches aux puces de Clignancourt avec ma petite platine à fouiller et écouter des disques. »

Puis le jeune Sornin s’est intéressé au psyché, au prog, à la Library Music. Il a créé Forever Pavot et sorti fin 2014 Rhapsode. Un disque opulent de pop psychédélique baroque évoquant le serial rêveur hollandais Jacco Gardner.

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« Je sais qu’il apprécie ce que je fais, mais je ne l’ai jamais rencontré. J’écoutais déjà son duo d’avant: The Skywalkers. Très sixties, très répétitif. Quand j’ai enregistré mon premier 45 tours, je me suis dit que j’allais monter mon petit label et le contacter pour sortir un truc, mais je ne l’ai jamais fait. Puis, il a sorti son album et j’étais supercontent. Parce qu’il remettait au goût du jour la sunshine pop un peu sombre, le clavecin, les mellotrons, tout ce côté sixties qui me parle avec cette dimension baroque hyperchouette. On nous a bassinés avec le renouveau psyché machin, mais il ne partait pas du tout de ce côté-là. Et si je reconnais le côté psychédélique de ma musique, je ne me retrouve pas du tout dans un Tame Impala ou un Black Angels. »

Le truc d’Émile, c’est moins les 13th Floor Elevators que l’école de Canterbury, The Soft Machine ou ce qu’a pu faire par la suite Robert Wyatt. « La musique brésilienne ou plein d’autres trucs aussi. Tout ce dans quoi Broadcast et Stereolab ont puisé. La world mais son côté baroque, musiques de film que je ne retrouve pas dans toute la nouvelle scène drone kraut qui me fait franchement un peu chier. Les premiers, je me disais: ah ouai, chanmé. Mais maintenant les autoroutes avec les blebleblebleble, ça me gonfle un peu. J’ai un côté très bruitiste, expérimental mais j’aime trop la pop et les chansons courtes. »

Klaus Johann Grobe, les copains d’Aquaserge, Julien Gasc, Arlt, Eric Chenaux, les Italiens de Calibro 35, Fumaça Preta… Le Français, volubile, s’épanche sur tout ce qu’il aime. Il évoque un éventuel disque avec Eddy Crampes, « un formidable Toulousain qui m’a fait pleurer de rire et d’émotion », et avoue son tempérament monomaniaque.

Forever Pavot raconte son disque enregistré chez les utilisateurs du Bon Coin
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« En ce moment, je suis branché musique concrète et early électro. La fin des années 50, les débuts de la musique électronique. Raymond Scott comme des artistes plus obscurs. Je viens de découvrir et adore Patrice Sciortino. Il mélange plein de trucs que j’aime: la musique concrète, les débuts de l’électro mais aussi un côté musiques de film. Vibraphone, pianos dramatiques, bruitages hyper dark… »

La musique de Forever Pavot évoque inévitablement le 7e art. Le Giallo, ce genre de thriller érotique d’épouvante italien. Les BO françaises et ritales… « Ma mère est une folle de cinéma. Elle y va quasiment tous les jours. Elle est à fond dedans. Mais perso, je ne suis pas un grand cinéphile. Le ciné italien, j’en connais surtout les BO. J’aime la musique terrorisante. La musique qui fait flipper, je trouve ça génial. Et dans le genre, Goblin, Morricone, ce sont des pros… J’ai toujours été intéressé par les trucs obscurs. Le punk hardcore, le black métal, les films d’épouvante, les séries Z mal faites et malsaines. C’est un tout. »

Émile a déjà pas mal avancé sur le deuxième Forever Pavot. Mais il ne se voit pas vraiment le sortir avant janvier 2018. « J’ai déjà les trois quarts d’écrits, huit ou neuf chansons d’enregistrées. Il y aura une bonne partie en français je pense, mais j’aurai peut-être changé d’avis d’ici là. Les chansons plus garage estampillées psyché sixties, seventies, je cherche à m’en couper. Je veux mélanger mes influences pour trouver mon son. J’ai conscience d’être un peu un singe savant qui a réussi à piquer deux ou trois trucs à Vannier, Gainsbourg et aux compositeurs italiens. Maintenant, je veux m’affranchir et créer un vrai truc personnel, mais ça prend du temps. »

LE BON COIN FOREVER, DISTRIBUÉ PAR BORN BAD.

LE 11/06 À L’ATELIER 210, À 1040 BRUXELLES.

Le clip, c’est chic

En plus d’enregistrer des disques, Émile Sornin a tourné une dizaine de clips et cinq ou six pubs. Permis poids lourd.

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Avant de taper dans notre oreille avec la musique baroque, psyché mais pas que, de Forever Pavot, Émile Sornin avait déjà visé l’oeil. Ses projectiles? Des clips plutôt dingos pour Cut Copy, Disclosure, Alt-J et Dizzee Rascal… « Les tout premiers trucs que j’ai tournés, c’était des courts métrages. Mon frère filmait. Baptiste est comédien et vit depuis quinze ans en Belgique. Il joue pas mal avec les Dardenne mais fait surtout beaucoup de théâtre. Gamin, il rêvait de réalisation et donc, moi, je me retrouvais dans ses films. Des bazars d’espionnage, des histoires de braquage. On vient d’en retrouver un: Les Sang Pitié. Je dois avoir huit ou neuf ans. Dans l’une des scènes, je suis déguisé en vieille et danse sur du Michael Jackson. »

À douze ou treize piges, Émile suit avec ses copains l’exemple du frangin. Il tourne des séries Z, des films de ninjas… Et à 18 ans son premier clip, en pâte à modeler et stop motion, pour un morceau, Twin Chevron, de 🙁. Prononcez Colon Open Bracket. C’est celui de Fish & Chips pour Sheraff, en 2010, qui lui servira de carte de visite. « Je l’ai réalisé avec trois potes. Tout était filmé sur fond vert. On a construit les décors en 2D et 3D. Une femme à barbe accouche d’un enfant qui sort de sa chatte en moto avec une énorme barbe et des tatouages. C’est donc l’histoire de ce petit garçon qui va se promener dans un monde un peu imaginaire. Grâce à cette vidéo, j’ai rencontré mon producteur, qui m’a proposé de bosser sur des trucs ensemble. Un an après, je faisais mon premier clip pour Cut Copy. Le premier surtout avec un budget et une vraie production derrière. » Dizzee Rascal, Alt-J, Naive New Beaters, Jamaica… Les commandes depuis se sont enchaînées. Même si le dernier, pour The Shoes, commence tout doucement à dater. Sornin l’a tourné il y a un an et il est sorti en janvier. « Le clip de Disclosure dont je suis superfier – je pense d’ailleurs que je ne ferai jamais mieux- s’est fabriqué dans une ambiance géniale, hyperdrôle. Mais The Shoes a été très dur. Et Dizzee Rascal dans la douleur totale parce que plein de trucs ne marchaient pas. »

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Homme pressé

Les exemples de clippeurs devenus célèbres à Hollywood ne manquent pas. Mais Émile Sornin est loin de rêver de cinéma.

« Tous les gens que je croise, les réals’ de ma boîte, aspirent à faire des films. Mais pour l’instant, je ne m’en sens pas les épaules. C’est déjà tellement compliqué et fatigant de gérer un clip ou une pub. Faut pas croire. C’est un combat. Loin de l’expérience cool que tu peux imaginer. Alors, me lancer dans un projet de trois ou quatre ans, je ne le sens pas du tout. J’aime bien avoir de petites idées et les concrétiser rapidement. En musique, c’est pareil. J’ai du mal à prendre mon temps pour un disque. Mais il faut. Parce qu’il n’y a rien de pire qu’un type qui se dépêche. Et c’est encore plus nul quand c’est par intérêt. »

Sornin a quelques idées de courts qu’il réalisera peut-être un jour. Mais le cinéma, le peu de ses copains qui s’y sont frottés l’en ont dissuadé. « Ils ont bossé des années parfois sur des trucs qui ne sont jamais sortis. Dans le clip, la pub déjà, faut faire des concessions. Ranger un peu sa fierté, ses idées parfois. Tu te retrouves à faire un quart de ce que tu espérais et tu es superdéçu. C’est la raison pour laquelle je me suis vachement calmé. »

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