Critique | Musique

Forever Pavot, chanteur plus que jamais

3,5 / 5
Émile Sornin: “J’ai l’impression que le pari de mettre la voix un peu plus en avant et de faire un disque un peu plus chanson est réussi.” © ANTOINE MAGNIEN
3,5 / 5

Album - L'Idiophone

Artiste - Forever Pavot

Genre - Chanson

Label - Born Bad Records

Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Sur L’Idiophone, le toujours cinématographique Forever Pavot, Émile Sornin fait entendre sa voix. Course-poursuite, JT et main tranchée…

9 heures 30. Début de sa journée. Émile Sornin est dans son studio parisien gare de l’Est. Le cheveu désormais court, dégagé autour des oreilles. Le multi-instrumentiste français est tout sourire. Il est heureux de L’Idiophone, son nouvel album, le troisième en huit ans. “C’est quelque part la suite logique de La Pantoufle. Dans le sens où j’ai écrit mon album comme une musique de film avec une scène pour chaque morceau. J’ai toujours ce fantasme de disque concept, d’une seule histoire qui tient la route. Mais c’est hyper dur. Je n’y arrive pas. J’ingère tellement de musique, de cinéma, de littérature… J’ai tellement de choses à dire, d’ambiances à dépeindre.

L’Idiophone est à ce jour le disque le plus collectif de Forever Pavot. “Ça reste moi. Les autres n’ont pas dénaturé ma musique. Ils ont plutôt fait sortir des choses. J’avais peur de perdre ma patte. D’arriver avec un truc trop produit, trop propre. Alors que j’aime bien le bricolé. Je pense qu’on tient un bon mélange entre hi-fi et lo-fi.” Cet album, Émile Sornin l’a fabriqué avec son bassiste Maxime Daoud, le batteur Vincent Taeger (il figurait comme lui au casting du dernier Charlotte Gainsbourg), mais aussi le producteur Samy Osta (Rover, La Femme, Feu! Chatterton…). “On a commencé avec Maxime mais on voulait le chant en avant. Pour que je franchisse une nouvelle étape, qu’il soit un peu moins masqué. Je sentais que Samy pouvait me sortir de ma zone de confort. Mais il ne voulait pas juste mixer. Il tenait à faire l’album avec nous.

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L’Idiophone est le fruit d’un long processus. Émile y assume davantage son côté chanteur. “Même si je ne me sens pas du tout à l’aise avec ce terme. Je sais que c’est mon album le plus chanté, le plus français. Mais je ne suis pas un chanteur. Je suis un compositeur qui écrit des histoires. Les autres m’ont poussé dans cette voie pour qu’on comprenne mieux mon univers. J’avais un peu peur parce que mes textes sont assez sombres et surréalistes. Je me cache toujours derrières des histoires un peu rocambolesques et absurdes.

Musiques de film

Riche, ouvert à l’imaginaire, L’Idiophone sonne comme un appel à la reconsidération de la musique. “Je n’ai pas l’impression qu’il s’écoute facilement en faisant autre chose. Des fois, des amis, alors qu’on prend l’apéro, me disent: “Ouais, vas-y, fais-nous écouter ton album!” Ça me fait chier. J’ai pas envie de ça. Je veux que les gens soient concentrés comme quand ils regardent un film. C’est peut-être manquer d’humilité mais j’en ai besoin. J’ai le sentiment que mes disques demandent de l’attention, de la concentration. Presque une forme de rituel. Se poser, écouter, regarder la pochette pour entrer dans un univers (elle est splendide et signée Camille Lavaud). C’est important de faire travailler son imagination.”

Émile n’a pas refait le coup de La Pantoufle. Même si l’ambiance reste toujours cette musique de films dramatiques des années 70. “J’ai essayé d’assimiler mes références. Mon premier album singeait un peu une époque. Maintenant, j’essaie de m’inspirer des grands compositeurs italiens et français de musique de films des années 70 et 80 et de mélanger avec un truc un peu plus contemporain en termes de production et de discours. Je n’ai pas envie d’incarner le mec qui reproduit ce qui a été fait. L’originalité, c’est, je pense, de raconter des histoires sur ce type de musique. Cette envie de mélanger les époques et les genres.” Émile Sornin n’écoute pas du tout de chanson française. Même les grands classiques. “J’ai quelques références comme Brigitte Fontaine, Gainsbourg, Dick Annegarn, Albert Marcœur. Mais j’en ai très peu écouté. Ça répond surtout à une envie que ma musique soit plus digeste et compréhensible. Que mon univers soit plus identifiable et que les auditeurs captent ce que je veux raconter. Je voulais être plus clair, plus limpide pour que les gens puissent rentrer dans les histoires.”

Chacun peut tisser sa trame. “Ce qui revient beaucoup, ce sont les personnages un peu fragiles et en difficulté. Celui d’Au Diable, on lui a tout enlevé. Celui de Dans la voiture est traqué dans une course-poursuite.” Sornin aime bien les faits divers, les histoires de tueurs en série. “Il y a un truc comme ça que je trouve hyper cinématographique. Tu as des histoires passionnantes. La nature de l’homme me fascine de plus en plus.” “Téléthon, show-business, Xavier Dupont de Ligonnès. Guerre Mondiale, Marseillaise, recette de salade piémontaise…” Sous ses dehors étranges avec sa voix robotique, Les Informations prête à réflexion. “Le point de départ, c’était de composer un générique de journal télévisé pour le théâtre. Les musiques de JT sont souvent puissantes, tristes, effrayantes. Ça me parle à moi qui adore les musiques de films d’horreur. Je m’en suis nourri. J’ai transformé le morceau en un truc dark disco. Presque un peu French Touch. Sombre, absurde, un peu drôle. Je suis fasciné par ces programmes qui arrivent à passer d’un massacre horrible à un défilé de haute couture. C’est à la fois malaisant et surréaliste.”

Ces dernières années, entre Forever Pavot et La Récré, Sornin a composé pour le cinéma. C’est même presque devenu son activité principale. Il y a eu De nos frères blessés, qui se passe pendant la guerre d’Algérie, et Babysitter de Monia Chokri. Il y aura bientôt La Morsure, un film de vampires, et La Nouvelle Femme sur la vie de Maria Montessori. Sornin a un BTS audiovisuel dans une école de cinéma et a réalisé des clips. Mais il est moins attiré par les films que par leurs musiques. “Il y a beaucoup de B.O. que j’écoute sans avoir vu les films. Et il y a des films que j’ai découverts par leur B.O. J’ai vu Les Lèvres rouges grâce à François de Roubaix. Je connaissais la musique de Philippe Sarde avant de voir Max et les Ferrailleurs…” Sur L’Idiophone, on entend un moteur qui démarre, un feu qui crépite. “Je voulais habiller le propos, renforcer le côté cinématographique. Bruiteur est un métier qui me fascine. Mon adolescence a été bercée par le hip-hop. Je pense que ça vient de là. Liquid Swords de GZA, Madlib et MF Doom.”

Forever Pavot sera en concert le 09/03 au Botanique, Bruxelles.

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