Flying Horseman, dix ans dans les contre-allées du rock flamand

"Nous n'aimons pas les structures de chansons conventionnelles. Elles sont trop étriquées pour nous. J'adore l'idée que nos morceaux soient imprévisibles. On essaie de les regarder chacun comme une entité. Un univers en soi avec ses propres règles." © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Emmené par Bert Dockx (Dans Dans), Flying Horseman, toque et casaque noires, galope librement, élégamment et fougueusement depuis dix ans dans les sentiers escarpés du rock flamand. Visite à domicile pour évoquer un cinquième album, Rooms/Ruins, aux charmes obsédants.

Anvers. Berchem. Dernier étage d’une maison en coin qui voit passer les trains. Bert Dockx, comme il y a cinq ans, a fixé rendez-vous chez lui. Quelques meubles ont bougé mais le petit appartement n’a pas beaucoup changé. Il y a sa belle collection de DVD. Un coffret Melville, des Chabrol… « J’aime beaucoup la Nouvelle Vague. Mais je m’intéresse énormément à ce qui se fait aujourd’hui aussi. Cannes, Toronto, Venise… Je suis de près tous les festivals. Je lis encore plus sur le 7e art que je le regarde. Depuis quelques mois, je suis d’ailleurs abonné aux Cahiers du cinéma. »

Sur le mur d’en face, au-dessus des vinyles d’Actress et d’Alice Coltrane, de John Fahey et de Derek Bailey, trônent une oeuvre du peintre Fred Bervoets et une affiche des années 80, The Presentiment of Murder, pour une expo de Frank Maieu. « C’était un ami de mon père. On avait plein de peintures à lui chez nous quand j’étais petit. Ce qui est amusant -je n’ai pas tout de suite réalisé-, c’est que c’est le papa de Loesje et Martha… » Soit les soeurs choristes et claviéristes de Flying Horseman. Dix ans déjà que le Cavalier Volant aux doigts d’argent fait planer l’ombre de son rock ténébreux sur la scène rock belge. Fabriqué lors d’une résidence de sept semaines au Singel, le centre artistique international de Flandre, Rooms/Ruins a tous les attributs de la bête. Nocturne, urbain, tendu, fiévreux…

« Tension est probablement le mot qui définit le mieux notre musique. Je n’en suis pas toujours conscient mais quand j’écoute, je la sens. Il y a en permanence ce contraste. Tu as ce calme et tu ne sais jamais quand ça va exploser. Parfois ça arrive, parfois pas. Mais même les moments très doux sont parfois très tendus et quand ça éclate, ça n’éclate jamais complètement. Une des premières chansons que j’ai écrites et qu’on a travaillée ensemble s’appelle Bitterstorm . Elle reste un peu un modèle de ce qu’on fait. La construction, l’atmosphère… Tout était déjà là. Mais ce n’était pas conscient. Pendant cinq minutes ça commence et tout à coup ça finit. Pour beaucoup de gens, c’est très frustrant. C’est peut-être pour ça que notre musique n’est pas plus populaire. »

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Cruelle injustice à l’égard de sa discographie. De sa beauté vénéneuse. De son intensité rare. Flying Horseman est malgré des disques fabuleux et des concerts possédés un secret encore trop bien gardé. « Même à Anvers, on ne nous connaît pas encore. Chaque fois, des mecs viennent me parler en me demandant si on a déjà un album. Alors, tu imagines, si même dans ma ville des gens qui peuvent adorer notre musique n’ont jamais entendu parler de nous, qu’est-ce que ça doit être en Norvège? Déjà en Wallonie, on joue trop peu. On a vraiment du mal. »

À force d’avoir enfoncé le clou, Rooms/Ruins changera peut-être la donne. « On sent qu’il y a une bonne atmosphère. Que les gens vont venir aux concerts. Ça fait du bien parce que ça a été difficile. Pour l’instant, on se sent vraiment bien les uns avec les autres. On est contents de se voir, de faire de la musique ensemble. Ça n’a pas toujours été comme ça. Des trucs typiques de groupe j’imagine. On a plein de tensions sur la musique, le fonctionnement, la communication, la manière de prendre les décisions… Je suis à la tête du projet mais je ne suis pas le singer-songwriter qui débarque avec ses morceaux et donne des ordres. Chacun a son identité, une personnalité forte, son cadre de références culturelles aussi. On n’écoute pas du tout la même musique. C’est un miracle que ça fonctionne. »

David Byrne et Bruce Springsteen

Retour au Singel. Aux sept semaines de boulot. Tous les jours sauf le week-end. Le processus de fabrication de Rooms/Ruins n’a pas été fondamentalement différent des précédents. Le disque est surtout né sur un plus court laps de temps. « Parfois, le centre artistique propose une résidence à des groupes. Il paie même un peu pour que tu puisses y travailler. Et ça se termine par un concert. Comme on avait assez de musique pour faire un nouvel album, on a enregistré six mois après. Entre-temps, on avait assuré quelques autres dates. La musique avait un peu maturé. »

Dockx semble avoir lâché la bride. Si Flying Horseman a toujours été un groupe, jamais sans doute il n’avait accordé autant de liberté à sa fougueuse monture. Deux morceaux de l’album sont d’ailleurs nés en son absence. « On avait déjà quelques chansons dont l’idée de base ne venait pas de moi mais d’une jam. Pour Soldier et Private Isle , c’est une jam à laquelle je n’ai même pas participé. C’était la première fois que je devais écrire un texte, chanter, trouver une mélodie pour poser ma voix sur une musique qui n’était pas la mienne. Ça a rendu ces textes un peu différents et m’a ouvert au niveau de l’écriture. »

Flying Horseman, dix ans dans les contre-allées du rock flamand
© DR

Certains artistes détestent qu’on les questionne sur leurs chansons. Dockx n’hésite pas à plonger dans les siennes, à éclairer leur sens. Du moins celui qu’il a voulu leur donner. « Quand j’ai commencé à plancher sur Soldier , je me suis dit: « C’est bizarre, je suis en train d’écrire une histoire comme un écrivain.  » Une nouvelle très courte. Un roman mais en tout petit. Un film, ce que tu veux, mais une histoire. Normalement, je n’écris pas ce genre de chose. Et là, il y a un personnage mais ce n’est pas moi. Je l’ai appelée en rigolant ma chanson Bruce Springsteen. Soldier est l’histoire d’un soldat et je n’en suis définitivement pas un. Mais en la chantant encore et encore, j’ai réalisé qu’il y avait plein de choses dedans super personnelles. Je ne m’en rendais pas compte. J’ai inventé un personnage et je suis dedans. »

Portrait d’un macho adepte de Ferrari rouge et de lunettes de soleil, Private Isle dénote davantage par son sens de l’humour. « C’est d’ailleurs un peu une blague. Une subversion surréaliste même si ça sonne un peu prétentieux. On va à l’intérieur, derrière cette façade, et on se rend compte qu’il est en train de se décomposer. » Là où Killer joue la carte de l’abstraction, racontant quelqu’un dans une crise mentale extrême à un moment de sa vie où des choses doivent changer. Peu importe comment. « Dans ma tête, c’était un politicien, une figure de pouvoir. Il y a un truc dans ces deux chansons qui me fait penser à certains textes de David Byrne des Talking Heads. Ça, c’est un groupe qu’on aime tous. Remain In Light , tout le monde dans Flying Horseman adore. Ça et Joy Division. Bref. Born Under Punches est une de mes chansons préférées. Le texte est super drôle. Et je m’imagine toujours que c’est aussi le point de vue d’un personnage comme ça. Un mec dans une position de pouvoir qui sent que tout à l’intérieur est en train de s’effondrer. C’est encore plus explicite dans Once In a Lifetime . Mais là, c’est davantage le bourgeois qui commence à voir que sa vie est un mensonge. Avec un humour très noir que je trouve vraiment drôle. »

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La drôlerie n’est pas pour autant ce qui se dégage le plus franchement de la musique de Bert Dockx et de ses amis. « Je ne sais pas s’il y a un thème commun. Sûrement. Mais ce n’est jamais clair. En gros, c’est le cas avec tous les Flying Horseman, il y a une duplicité entre des trucs intimes, petits, personnels et des bazars plus grands sur la société, le monde, le temps, des considérations philosophiques. Les deux s’entremêlent tout le temps. Inextricables. C’est déjà dans le titre du disque d’ailleurs. »

Dream team

Musicalement, Rooms/Ruins n’hésite pas à s’évader sur des territoires plus électroniques. La griffe de Milan Warmoeskerken, qui a depuis quitté le groupe. « On ne savait pas encore au Singel que Milan voulait arrêter, mais lui le savait déjà. Il en a un peu marre de la guitare, il veut se tourner vers l’électronique. C’est avec ça qu’il expérimente, même dans sa propre musique. J’en écoute depuis longtemps. J’adore. Mais on ne s’est pas dit: et si on partait sur un truc plus électro? C’est juste que Milan l’a fait. Et donc, on fait avec. C’est comme ça que ça fonctionne chez Flying Horseman. Si demain je commence à jouer du piano acoustique, tu en trouveras dans nos morceaux. Et donc sur Deep Earth , c’est du sequencing années 70, du krautrock. Des trucs que Milan adore. On a toujours eu envie d’incorporer un tas d’éléments. N’importe lesquels. Si tu as peur de perdre ton identité en touchant à d’autre styles, ça veut dire que tu n’en as pas beaucoup. »

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Sur Rooms/Ruins, Dockx a intitulé une de ses chansons Reverie. Un nom qui fait étrangement écho à la chanson d’ouverture (In Reveries) du dernier album de Fred Lyenn. Le bassiste de Mark Lanegan avec lequel il joue dans Dans Dans. « C’est un hasard. Mais Fred et moi, on partage certaines obsessions, certains centres d’intérêt. Et l’un d’entre eux, c’est les rêves. On en parle beaucoup. On a l’habitude quand on ne s’est pas vus depuis des mois, de se les raconter. Moi, ils m’obsèdent. Pas spécialement au premier degré. Je ne suis pas dans l’analyse. Je trouve juste ça tellement beau, mystérieux, angoissant. Étrange aussi. On s’y est habitué mais c’est bizarre. On s’endort. On « switch off ». Et on arrive dans un monde où il n’y a pas de règle, où tu n’as aucun contrôle, où tout peut se passer. Le lendemain, tu ne te souviens de rien. Parfois si. C’est tellement dingue. Au niveau scientifique aussi… Il y a des idées, des hypothèses mais on ne sait pas vraiment ce que c’est. » Comme la musique de Flying Horseman au final…

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Porte secrète

Flying Horseman, dix ans dans les contre-allées du rock flamand

Une espèce de rectangle noir vertical et deux fines lignes horizontales sur fond blanc. Que derrière la porte se cachent une pièce ou des ruines, la pochette du nouveau Flying Horseman, Rooms/Ruins, fait dans la simplicité.  » Ça a pris plus de temps que d’habitude, sourit Bert Dockx. Généralement, je vois une image. Et je me dis: « Ok, c’est ça, parfait.  » Ça vient souvent de Philippe Werkers qui a déjà signé les pochettes de Night Is Long et City Same City . Je lui fais écouter de la musique très tôt pour qu’il puisse réfléchir. Il vient avec des propositions et je choisis. Cette fois, je voulais une pochette assez neutre. Une pochette qui ne donnerait pas spécialement d’indication sur le genre de musique à l’intérieur.« 

Parmi les diverses propositions tombées entre ses mains, il y a notamment l’image nostalgique d’une femme dans un appartement des années 70.  » Philippe, Pauline Scharmann et moi avons travaillé sur un tas de trucs mais rien ne me satisfaisait pleinement. Un jour Philippe était ici, à la maison, et il a dessiné un petit bloc noir. Sur papier, avec un crayon. J’y ai ajouté deux lignes horizontales avec mon ordinateur pour renforcer le sentiment d’espace. » On pense au livret de Rules, le dernier album (huit ans déjà) de Whitest Boy Alive…  » Je ne connaissais pas mais quelqu’un m’en a parlé. » Les influences subconscientes sont plutôt à aller chercher du côté du R.I.P. d’Actress et de The Redeemer de Dean Blunt.  » On est partis de ce dessin aussi pour nos clips. Des clips super minimalistes. Un par morceau. Chacun démarre de la pochette et s’anime. C’est très simple, très sobre. Mais il y a quand même le mystère. Qu’est-ce qui se passe derrière? Est-ce que je vais entrer ou pas? » Faites le bon choix!

Flying Horseman – Rooms/Ruins

Distribué par Unday/News. ****

« Will you come with me tonight on an aimless and beautiful ride? Follow me closely inside. A hidden room surprisingly wide. » D’entrée, la voix ténébreuse de Bert Dockx invite à tourner la clé et à pousser la porte. À pénétrer son univers parallèle toujours aussi profond, hypnotique, fiévreux et vertigineux… Cinquième album de Flying Horseman, Rooms/Ruins marche toujours sur les cendres d’un blues sombre et urbain, d’un rock viscéral et aventureux… Mais il a aussi plus franchement cette fois soufflé sur quelques braises électroniques. Comme sur le formidable Deep Earth, qui emmène le Cavalier Volant jouer avec le kraut et les musiques africaines. Un disque qui s’écoute comme on regarde les grands films. En lui accordant une attention de tous les instants.

Le 02 et le 03/03 à Het Bos (Anvers), le 07/03 au Stuk (Leuven), le 09/03 au Handelsbeurs (Gand), le 10/03 au MOD (Hasselt), le 15/03 à l’AB, le 17/03 au Cactus (Bruges).

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