Serge Coosemans

« Flamands: tout est pardonné… »

Serge Coosemans Chroniqueur

À l’occasion des 50 ans du Beursschouwburg, antre bruxelloise de la culture flamande mais aussi du multiculturalisme, doublée d’un bon point de chute festif en train de renaître, Serge Coosemans passe en revue son rapport aux lieux. Et aux Flamands. Sortie de Route, S04E22.

Ce week-end, à l’occasion de la fête des 50 ans du Beursschouwburg, je me suis rendu compte que mon rapport à ce haut-lieu de la culture flamande à Bruxelles est étrangement similaire à celui que j’entretiens depuis au moins 20 ans avec « les Flamands ». Envers « Nos Voisins du Nord », tout comme envers le Beurs, j’ai en effet commencé par éprouver de l’admiration et de la sympathie, il y a bien longtemps, au tout début de ma vie sociale d’adulte et de mon parcours professionnel. Je travaillais alors en Flandre pour des éditeurs flamands. Je regardais la télé flamande, je lisais des magazines flamands, je m’informais de ce qui se passait du côté de Gand et d’Anvers et je parvenais même à parler cette putain de langue sans sonner trop ridicule. Travailler en Flandre, ça payait, ça ne prenait pas la tête, une affaire free-lance y durait quelques jours alors que pour le même job en Wallonie, ça prenait autant de temps de joindre le responsable au bistrot que de lui faire signer le chèque. Ces années-là, j’étais donc aussi client du Beurs, comme beaucoup d’autres Bruxellois. On pouvait y aller seul en étant à peu près sûr de tomber sur quelqu’un que l’on connaissait et tout aussi à peu près sûr d’en repartir accompagné de quelqu’un que l’on ne connaissait pas. Musicalement, ce n’était pas non plus du chicon. Sur mon lit de mort, je pense que je parlerai encore de leur incroyable première soirée Mo’Wax, qui m’a laissée une durable sensation de basse dans le caleçon.

Un jour, ça a cassé. J’ai perdu la connexion avec « les Flamands ». Un week-end à la mer, je me suis rendu compte que cela faisait tellement de temps que je n’avais plus pratiqué la langue que je ne parvenais même plus à la baragouiner. Je ne travaillais plus en Flandre. Je n’avais plus de télé, je ne lisais plus de magazines flamands, je ne fréquentais plus de lieux flamands, ni de bistrots flamands. Cela faisait des mois qu’il ne se passait plus rien au Beurs, que Dirk Seghers, durant 15 ans programmateur au nez fin, s’en était fait virer, après avoir commencé à drôlement décevoir, il faut bien le dire. C’était vers 2006-2007, une époque où les médias francophones ont aussi commencé à nous parler des Flamands comme d’une menace à peine moins dangereuse et sournoise qu’Al Qaïda. J’avoue, je me suis laissé avoir par tout ce trip Bye Bye Belgium, les couillonnades d’éditos de la mère Delvaux et de Pierre Bouillon. J’ai même fini par voter FDF, non pas par conviction ou sympathie pour Maingain, mais plutôt pour exactement les mêmes raisons qui font que de temps à autre, le Commissaire Gordon monte sur les toits de Gotham allumer le Bat-Signal. Un autre chapitre. Une autre vie. Aujourd’hui, je relis des magazines flamands, je retourne au Beurs. La connexion se rétablit. Tout est pardonné.

Dans l’édition de la semaine dernière du gratuit Brussel Deze Week, Tom Bonte, « nouveau » programmateur du Beurs, confirme lui aussi cette impression de renaissance, après une longue et indéniable traversée du désert: « Depuis 3 ou 4 ans, dit-il (traduction personnelle), une très jeune génération a trouvé le chemin du Beurs. Je dois très sérieusement me battre contre cette idée que le Beurs est une affaire classée, un endroit mort. Je sais pourquoi les gens le pensent. Les faiseurs d’opinion, les décideurs, ceux que l’on écoute, vivent loin du monde de ces jeunes qui nous fréquentent. La perception de ces gens-là a du retard sur la réalité. » Tom Bonte survend bien un peu sa soupe mais il faut effectivement reconnaître que depuis quelques mois, peut-être même quelques semaines, on a de nouveau de bonnes raisons d’aller traîner du côté de la Rue Orts. Peaking Lights, Psychic TV ou encore, en mars, Ariel Pink, ça non plus, ce n’est pas du chicon et mieux vaut aussi voir tous ces artistes au Beurs, dans une ambiance pré-festive un peu canaille, que de se taper ces mêmes concerts dans ces nouveaux stalags de l’uncool désormais aussi aseptisés qu’ennuyeux que sont l’Ancienne Belgique et le Botanique.

Bien entendu, le Beursschouwburg reste largement tributaire du politique et donc des éventuels délires communautaires. Tout le ramdam autour de cet anniversaire nous a toutefois rappelé une chose essentielle: que cela soit au KVS, au Kaaitheater, à l’AB, au Beurs ou jadis au Mallemunt, ce merveilleux festival sur la place de la Monnaie organisé par la Communauté flamande, il y a généralement un monde de différence entre le rêve humide politicard de départ et ce qui est réellement proposé au final. Caricaturons gaiement pour l’exemple: sur papier, au moment de lâcher les subsides, il est généralement question de faire chanter Johan Verminnen devant 3 pelés et 2 tondus à la Libération. Au moment de finaliser, les programmateurs oublient pourtant le plus souvent Verminnen et attrapent plutôt par la peau du cou la dernière hype ou le gros culte, car ils estiment, à raison je pense, que la Flandre a plus à gagner en s’affirmant dynamique, au taquet et ouverte sur le monde que barricadée derrière son folklore cryptique et ses vieux chansonniers. Le travail de Tom Bonte tout comme celui de Dirk Seghers illustrent bien cette tradition: celle du Flamand de Bruxelles qui a envie de se la jouer New-Yorkais ou Berlinois malgré les budgets de peau de chagrin, de défendre le multiculturalisme, de désacraliser la culture avec un grand K. Le type qui suit ce que kiffe la rue, tente de comprendre les codes de la jeunesse, y compris marocaine, et reste à l’écoute de ce qui se trame dans l’underground.

Avant Bonte et Seghers, ce sont ces mêmes leitmotivs qui ont fait que Tom Waits, Dire Straits ou U2, bien avant qu’ils ne deviennent tous d’inabordables stars, se soient eux aussi retrouvés un soir ou l’autre sur la scène du Beurs. En tant que client, que consommateur, c’est le genre d’offre qui ne se refuse pas. En tant que Bruxellois, il est carrément politique de soutenir ça. Bref, si le communautaire revient, j’annule tout, mais en attendant, een pintje, alstublieft, bedankt.

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