Feu! Chatterton: « Notre emploi de la poésie vient d’abord de la pudeur »

Porté par la voix d'Arthur Teboul (au centre), Feu! Chatterton, groupe collectiviste à l'ampleur littéraire. © Fanny Latour-Lambert
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Moins dandys parisiens que collectif musical, Feu! Chatterton se réalise parfaitement dans L’Oiseleur, deuxième album libérant l’escarcelle de l’amour perdu.

Cinq trentenaires, instruments dans les bras, comme d’encombrants bébés électriques assoupis. Au milieu de la Gare du Midi, Feu! s’en va reprendre le Thalys vers Paris, maison-mère. Malgré le buzz d’un premier album accueilli en superlatifs, ventes honorables et 200 concerts à succès, le quintet n’en est pas encore à engager des assistants. Confirmant aller au turbin volontaire, à l’unisson d’une musique débordant le cadre strict de la romance pour quelques questions empiriques. Voilà L’Oiseleur qui, sous un titre à la Michel Fugain, libère un Eden mélancolique dont l’adrénaline jeuniste ne ternit pas l’ambition textuelle, voire carrément littéraire. Raccord avec le patronyme de la formation, née à Paris en 2011, ce Thomas Chatterton, « poète et mystificateur anglais » du XVIIIe qui préféra se suicider à l’âge tendre de 17 ans plutôt que de mourir de faim… On pense donc rencontrer un package parisien vaguement sorbonnard, mais l’anonymat en moins, Feu! dans le civil fait plutôt penser à la courtoisie engagée des mecs de Fauve, cousins d’une musique qui n’enterre jamais ses velléités mélodieuses malgré les codages. Nous voilà donc en interview à cinq, exercice théoriquement laborieux vu le risque de réponses simultanées. Mais dans cet hôtel jouxtant la gare, la conversation prend un sens ordonné. Autour de la table et d’une tournée de bières forcément belges -avec bref débat sur les mérites respectifs de la Chimay bleue et de la Leffe- voilà de gauche à droite, Arthur (chant), Raphaël (batterie), Clément (guitare-clavier), Sébastien (guitare-clavier) et Antoine (basse). Hormis ce dernier, plutôt discret, tout le monde cause pas mal. Y compris sur le mode fabrication collectiviste de Feu! Clément: « C’est le parti pris du groupe, depuis les débuts. Ce n’est même pas quelque chose de théorisé, seulement a posteriori. On s’est rendu compte au fur et à mesure de la valeur ajoutée d’un tel fonctionnement, après avoir déjà un nombre conséquent de chansons. »

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Moustache dartagnanesque

Trois de la bande de Feu! se rencontrent au Lycée Louis-le-Grand, installé au Quartier latin: pas exactement un bahut zonard puisque rien que sous la 5e République, trois Présidents et neuf Premiers ministres français l’ont fréquenté. « C’est un lycée pour les bons élèves et comme la France est plutôt inégalitaire, elle encourage ce côté « chic ». » Arthur, le chanteur, n’en est pas, débarqué d’un  » collège du 20e pas très bourgeois, d’une ZEP (Zone d’éducation prioritaire, NDLR) , mais quand même bon élève ». Avec ses faux airs manouches, Arthur Teboul rappelle Stéphane Mellino, le type des Négresses Vertes, pareillement porteur d’une fine moustache dartagnanesque. C’est son gosier qui identifie d’emblée le style Feu!: chant boisé de magnétisme clair, taillé pour la narration intime comme pour les plus vastes prospections sonores. Au bahut, Arthur commence par dire ses textes à ses camarades « dès qu’il le peut », sans même penser à les vocaliser: « la mise en commun de nos forces, notre collectivisme (sourire) est juste une façon de dire notre interdépendance. Et puis l’emploi d’une forme de « poésie » dans le contexte musical vient d’abord de la pudeur. On était de grandes gueules de lycée mais dans l’intimité, pour parler des sentiments, non… Donc, l’expression de cette intériorité de cette manière-là est aussi une barrière vers l’extérieur: il y a un côté ludique dans ce jeu de pistes. » Sébastien relève le plaisir d’écouter Pink Floyd et Radiohead -des réminiscences- mais aussi de décoder dans leurs pochettes « signes, signaux, symboles« . D’où l’invention, toujours pendant les années lycée, d’un personnage symbolique, Stravisky (…), totem où Arthur & Co glissent « toutes nos inspirations irrévérencieuses et rebelles, tout ce qui tournait autour de l’interdit, du sexe, de la mort. De gens comme Lautréamont ou Baudelaire. D’où sans doute, le goût du code et de l’énigme. Dire des choses profondes qui peuvent passer inaperçues. »

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D’où le sentiment répété de se laisser aller au mur compact des morceaux, comme on le fait pour de la pop anglo-saxonne, sans forcément penser au signifié. Procédé qui, dans un second temps, permet de s’immerger davantage dans le sens des mots, défini par Raphaël, le batteur: « Ce deuxième album en particulier multiplie les images qui existent dans les textes. À un certain moment, elles brouillent le sens narratif et le fil habituel de la pensée verbale qui se dissout dans quelque chose de l’ordre de la rêverie et de l’imagerie. Comme un truc anglo-saxon mais qui continue sans doute à travailler l’inconscient. » Arthur enchaîne: « Le premier album était une narration qui accompagnait le lecteur (sic) jusqu’à la fin de l’histoire. Sur L’Oiseleur , les histoires sont plus ouvertes, par exemple dans Sari d’Orcino , tu peux t’arrêter sur « Nous roulons toujours le long de la mer  » et là, ton esprit va divaguer et donc, les phrases d’après, tu les perds. Ou alors, tu t’arrêtes au « vent qui passe entre les doigts « : tu n’es pas obligé de t’accrocher à toutes les branches. » Le remue-méninges de L’Oiseleur est celui de voyages en Italie et en Espagne, ce dernier pays étant la (lointaine) base de la famille d’Arthur, « il y a quelques siècles, avant qu’Isabelle la Catholique décide de se débarrasser de nous, les Juifs (sourire). Je me serais retrouvé à Cuba pour écrire les paroles, on aurait fait un autre disque! Ici, les chansons sont portées par la Méditerranée. » Arthur commence donc par bourlinguer sous le soleil d’août en Sicile -déjà une expérience sensorielle- puis rejoint Naples, où il revient plus tard, comme en Andalousie d’ailleurs:  » Tout ça est empreint de cette lumière de fin d’ été qui nous réconforte. Feu! Chatterton est allé vers cette latinité qui nous remplit, par ses paysages, ses jardins, sa chaleur, ses gestes. Et tout a été célébré comme ça. »

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No dandys funky

La perception première de Feu! -avant les nouveaux parfums méditerranéens- est celle de  » dandys peut-être funky ». Eux parlent d' »étiquette qui a plutôt éveillé une bienveillance de la part de la critique et surtout du public ». L’appellation dandy se gomme assez vite au gré d’incessantes tournées où « la veste trempée en fin de concert » l’emporte toujours sur la pose. Quand on évoque la scène, le brouhaha de la conversation s’installe: le sujet est central, le groupe bénéficiant du bouche-à-oreille des réseaux sur foi de concerts acharnés, au fil de salles de plus en plus grandes et garnies. Jusqu’à remplir l’Olympia. L’identité passe aussi par les clips: celui de Souvenir par exemple, est un tricotage de films super 8 des années 60-70, ceux des parents du réalisateur, Antoine Marie. Arthur explique l’attirance: « Les procédés chimiques de cette époque ont aujourd’hui disparu, on ne peut plus avoir cette même qualité, des pellicules où le rouge est à la fois vif et doux, d’une magie particulière. » De l’enveloppe au contenu, il n’y a qu’un souffle, celui de s’intéresser forcément à notre époque mais, toujours selon Arthur, « sans prendre les armes de l’ennemi que sont la vitesse, l’argent, l’utilité, le rentable, le productivisme. C’est notre manière d’être citoyens, aussi de manière collective. » Cela veut-il dire que le fric est partagé de façon équitable même si tout le monde ne contribue pas à l’écriture de même manière? Trois secondes de flottement et: « On essaie d’être équitables au rayon Sacem (la Sabam française, NDLR). Mais comment lutter, que dire, comment s’engager? Quand on fait des chansons comme ça, c’est aussi avec l’espoir que, par la musique, on puisse prendre le temps trouver la quiétude, la volupté, le réconfort comme une terre promise. C’est l’une des seules choses que l’on s’est dites avant le disque. » On s’apprête à leur demander s’ils sont des hippies -ah ah- et puis non, Feu! Chatterton: cheveux courts, idées longues.

Feu! Chatterton – « L’Oiseleur »

Distribué par Universal. ****

En concert le 29/04 aux Nuits Botanique, www.botanique.be

« C’est un album qui est comme un parchemin dans une fable, avec la boussole et la rose des sables. On y croise donc un volcan, un rivage, un jardin avec un arbre et un oiseau pour dessiner le « fameux » voyage intérieur. » Celui en particulier des déceptions sentimentales, d’Arthur et des autres: souris puisque c’est grave, comme dit Chamfort. Ce deuxième disque explore davantage les bouffées de psychédélisme, d’une vitalité initiatique (Grâce, Souvenir), pétries de claviers prog-rock (Tes yeux verts), sans complètement abandonner les codes d’époque (le rap de L’Ivresse). Mais le lyrisme vocal totalement assumé, comme les textes empreints de fantasmes poétiques continus, donnent à Feu! Chatterton une singulière parenté: celle de Michel Polnareff, celui des grandiloquences audacieuses des sixties, période Le Bal des Laze. C’est dire aussi que le producteur Samy Osta, déjà actif sur le premier album, s’est ici particulièrement distingué.

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Quand Ferré rock

Feu! Chatterton:

Sur le premier album de Feu Chatterton! La Mort dans la pinède est un moment de pur Léo Ferré (1916-1993). Salade de mots qui exalte les puissants paysages mentaux d’un chanteur-compositeur en quête d’incessantes symphonies. Ferré est un écrivain océanique dont les textes aux sensations salées produisent du ressac sur plusieurs générations. Au fil du temps -thème ferréen- Oxmo Puccino, Cali, Gainsbourg, Lavilliers, Julien Clerc, Murat, Bashung, Higelin, Philippe Katerine, Christophe, Dominique A, Zebda, Miossec ou Noir Désir reprendront ses chansons. En avril prochain, c’est même un album entier de reprises, intitulé C’est extra, que sortira La Souterraine, label spécialisé dans « la variété underground » (avec des artistes comme Forever Pavot ou Aquaserge).

À l’inverse, c’est en s’inspirant du Nights In White Satin des Moody Blues que Ferré écrit C’est extra, énorme succès de 1969. Un slow! La même année, la sensibilité « pop-rock » l’amène à réenregistrer Le Chien à New York, avec les pointures John McLaughlin et Billy Cobham. Mais c’est en s’associant en 1970-1971 au groupe français Zoo que Ferré approfondit vraiment l’électricité. Il rajeunit aussi son public, intrigué par l’association du déjà vieil anar et d’un groupe prog rock où passe notamment Joel Mamy Blues Daydé. Ce sera La « The Nana » et l’essentiel de l’album La Solitude, mixant guitares haute tension, orgue, cordes et verbe voyageur. Toujours un remarquable ovni en 2018.

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