Fallait pas m’inviter, semaine 2: Chambre à airs

Revenu de ses chroniques nocturnes, Guillermo Guiz plonge cette année dans le monde du spectacle. Pour y découvrir, tous les vendredis, des formes que sa grossière inculture lui avait cachées jusqu’ici. Fallait pas m’inviter, ça se poursuit aujourd’hui. Avec de la musique de chambre.

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J’étais vierge, niveau classique. Moi: « J’irais bien à un concert de musique de chambre, jeudi, pour la chronique. » Le rédacteur en chef (appelons-le « le rédacteur en chef »): « D’accord. » Si la vie a fâcheusement tendance, toutes les 28 minutes en moyenne, à jouer les dures à cuire, elle se révèle aussi, parfois, d’une désarmante simplicité. Me voilà donc, ce jeudi 13 octobre, coincé entre le Belga et le BDM, dans un paquebot Flagey tout de bois capitonné. Il est 20h, les invitations sont prêtes, lisses et frétillantes. Dessus, une chipotante inscription: « Flagey Chamber Music / Eric Speller, Thomas Dieltjens / 1,00 € / VIP » Pour la première et probable dernière fois de l’excitante Histoire européenne, une place VIP (ou serait-ce « Very Indigente Person ») ne dépasse pas l’euro d’investissement. On frise la mesquinerie, j’en aurais presque honte de me faire inviter: journaliste indépendant, c’est pas magnat du pétrole, mais je peux quand même sortir un euro du robinet!

Là, hop, je tombe sur un vieux camarade d’école, visiblement pantois de me croiser en terres aussi cultureuses. Pas fameuse, ma réputation. Mais lui boit de la bière dans un verre à Leffe, ou un machin du genre, avec une sacoche, donc je m’en branlotte un brin. Apparemment, par là, à Flagey, ça boboïse plus que ça ne bourgeoisifie ou que ça n’aristocratise, on se Duvel finement la tronche et on porte des pantalons en velours. « Il y a conflit d’intérêt, c’est mon label, Cypres, qui co-organise le concert avec Flagey », me glisse, avant de s’éclipser, Camille D., petite frère, pour les amateurs de nuits bruxellois, de Carl D.M…. De conflit d’intérêt, il ne peut pourtant être question: qu’on se le dise d’emblée, j’en connais autant, sur la musique de chambre, que sur la notion d’émancipation dans la littérature oecuménique birmane. Pour être tout à fait sincère, même, je ne sais absolument pas ce que je m’apprête à découvrir. Déjà, musique et chambre, c’est comme foot et salle à manger, grille-pain et salle de bain, Canard WC et cuisine, hard-rock et garage: ça ne va pas ensemble. Pas naturellement, du moins. Pas quand on a passé 14 ans, surtout. T’écoutes Menelik, les Fugees, Coolio, Alliance Ehtnik en chambre, OK, entre les confessions de cul sur Fun Radio, avec Doc, Difool, puis Max. Mais depuis 1997, t’écoutes plus la radio dans ta chambre. Parce que t’as une télé.



On entre, ma copine et moi. Juste après une jeune Asiatique top cliché flanquée d’un étui à violoncelle, au cas, j’imagine, où les deux musicos du soir craindraient des bulles. Ou juste pour jamer avec eux, comme ça, à la cool. Mais rien n’est vraiment cool. La salle est remplie à moitié, 80 têtes, pas plus, et la petite présentation démarre: « Ce soir, vous assisterez à un concert de musique romantique pour hautbois et piano. » Sur la tête d’une frite: j’ignore à quoi ressemble un hautbois. Et quand Eric Speller déballe sa marchandise, je me dis qu’il a vraiment une face de clarinette, son instrument. Dès les premières notes, deux sentiments: l’acoustique sent la victoire et le temps semble s’arrêter (parce que l’horloge du fond ne marche plus, de un, et parce qu’après 16 secondes, ça semble déjà long, si long). Vite, se laisser transporter. Vite, délaisser le carnet et les détails futiles (y’a des traces de doigts sur le piano ((la honte!)), les artistes ont des mouves mystiques, tout en saccade comme ça, avec des têtes toutes concernées comme s’ils dialoguaient avec Jésus ou alors avec un type qui sait des trucs). Vite, se laisser transporter et arrêter de penser au poulet qu’on va manger dans la foulée, au Variété. Arrêter de penser au boulot, au BlackBerry qui foire, au temps qui speede, aux factures. Pas facile: fondamentalement, c’est beau, c’est pur, ça virevolte et ça impressionne, mais j’attrape sec une envie d’avoir ce concert en musique de fond, pour lire un bouquin, faire la vaisselle, couper mes ongles. Là, en version 100% toi et moi dans le même bermuda jusqu’à la fin du jour, c’est compliqué.



En plus, dans les concerts de musique de chambre, y’a une question métaphysique. Faut applaudir quand? Parfois, les virtuoses s’arrêtent, entre la sonatina n°1 pour hautbois et piano de T.A. Walmisley et la 1ère romance pour hautbois et piano de Robert Schumann, et les gens clapent des mains (toutes les infos à l’air intelligent, avec des noms et tout, proviennent du dépliant de l’événement). Les gens clapent des mains et les musiciens sortent. C’est déjà fini, après un track? C’était ça, le 1€? Non, ils reviennent, se refont applaudir, et recommencent. A d’autres moments, ils s’arrêtent et recommencent, mais sans que personne n’applaudisse. Je n’ai donc qu’un mot à la lippe: pourquoi? Diable, j’envie, l’espace d’un instant, CELUI QUI SAIT, le mec qui lance la Ola sans craindre le clapissement solitaire, le bide de l’ignorance, la honte du profane. Aussi, en voyant ce spectacle de deux musiciens maîtrisant manifestement leur art, je me les représente à 16 ans, tout rebelle devant leur feu de bois, à se dire « viens, on s’en fout, on fait un band, fuck la société, tu prends le piano, moi le hautbois, et on répète dans le garage en buvant un Cécemel. » Puis, je me dis, en lisant les noms des morceaux, que les anciens n’ont pas vraiment cherché la complication: intermezzo op.118 n°2 pour piano de Johannes Brahms, suivi par l’intermezzo op.119 n°1 pour piano de Johannes Brahms. On dirait des rues américaines. On a beau critiquer la pop, au moins Richard Gotainer, lui, il intitulait ses chansons, il ne les classait pas.

Richard Gotainer, puisqu’il est question de lui, n’avait pas non plus ses paroles à portée de main, en concert. Te souviens-tu, l’ami(e), quand ton honoré professeur annonçait un examen à cahier ouvert? Relax, t’enthousiasmais-tu à l’époque, pas besoin d’étudier des masses, je m’en vais massacrer sa race. Nos deux lascars, ici, jouent à cahier ouvert, le pianiste a même un tourneur de page, comme dans le film, mais en moins sexy. Pffff… Dès la fin de la première partie, au rythme de Kalliwoda, Deslandres et Clare Schumann, le hautbois s’anime et la virtuosité d’Eric Speller le bien-nommé éclate véritablement, même aux yeux des plus ignares. Tout doucement, crois-le ou non, je commence à me laisser emmener par les tapotements experts des doigts sur les trous du hautbois, en me disant, certes, que Speller doit forcément maîtriser sa machine à écrire, mais surtout en appréciant le moment. A l’entracte, je l’avoue, j’ai failli sortir pour choyer mon avenir sentimental, mais là, je commence à kiffouiller, à battre du pied et du doigt sur le bras de ma chérie, en hypothéquant là-même mon avenir sentimental mais en ayant l’impression d’être entré dans la matrice. Puis, à un moment, les gens dans le public se mettent à pouffer de rire discrètement. Et j’ignore fondamentalement pourquoi. Auraient-ils enfin remarqué l’expression bizarrement habitée du pianiste, ou le jeu de jambes funky du hautboitiste? Nop. Je resterai dans l’ignorance. Mais avec, au final, un chouette sentiment. Je reviendrai. Si on m’invite.

Guillermo Guiz

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