Eddy de Pretto: victoire de l’art spontané ou pur produit du marketing sarkozyste?

Eddy de Pretto aux 33e Victoires de la Musique © ISOPIX/David Nivière
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

Eddy de Pretto qui s’impose sur les ondes et dans les médias n’est pas qu’un éventuel conte de fées pour un type sorti de nulle part, c’est aussi le résultat du travail d’une boîte de com qui entend bien occuper le terrain. L’ennui, ce n’est donc pas l’artiste en soi mais bien les valeurs qu’il charrie peut-être sans vraiment le vouloir. Post-rap de gueux et marketing sarkozyste, c’est le Crash Test S03E26.

Cette semaine, pour le travail, j’ai dû m’intéresser au cas Eddy de Pretto. Je dois bien avouer que je ne connaissais pas, que je confondais même ce jeune homme avec Mac DeMarco. « Il donne l’impression de sortir de nulle part alors qu’en fait, c’est très préparé, avec un EP déjà prêt avant que ne sorte le premier morceau et déjà trois clips tournés avant même la première radio », m’a-t-on expliqué dans le briefing, pour le coup très informé, me conseillant aussi de lire un article du magazine français Les Echos détaillant les méthodes commerciales d’Initial, « l’incubateur derrière la révélation Eddy de Pretto« . J’ai trouvé ce papier assez dingue, de nature à confirmer l’impression tenace que les meilleurs articles sur les buzz musicaux se lisent désormais dans la presse économique. Je me suis aussi enfilé quelques clips et bon, il me semble tout de même assez évident qu’on essaye là de nous vendre un deuxième Stromae, comme on le fit jadis avec quelques tonnes de Massive Attack de second ordre, bref, que l’on exploite un filon. Est-ce que ce mec a une carrure de Portishead ou restera-t-il simplement un équivalent à Mandalay et Ruby, tentatives de gloires trip-hop dont la semi-notoriété a duré deux minutes trente, douche comprise? On verra bien. De toute façon, ce n’est pas très important. Il y a mieux, il y a pire, rien ne sert de s’empoigner.

De toute cette documentation, je dois bien avouer que ma pièce favorite est la fameuse critique de Libé qui a cette semaine tant fait jaser parce qu’elle démolirait soi-disant complètement l’artiste. Je ne comprends pas comment on peut trouver ça scandaleux ou limite. Ce papier n’est pas seulement drôle, il est aussi plutôt juste et à ceux qui le trouvent méprisant et so french, je conseillerais tout de même d’aller lire dans les archives du Royaume ce que pouvaient jadis déblatérer au sujet de la new-beat et du disco certains journalistes francophones belges. Eux étaient simplement ringards et cons (et le sont toujours). Dans Libé, ça tape au contraire dans le mille quand il y est dit que derrière l’art d’Eddy de Pretto, il y a un « high concept », celui d’un « sans-dents gay, roux et fort en gueule, échappé d’une famille abusive et représentant fiérot des faubourgs populaires de la France qui pense tout bas, qui se livre sans complexe dans des scies de variété intense -comme Patrick Fiori et Juliette Armanet- sur des habillages électroniques qui zonent entre Skyrock l’après-midi et M6 Music. »

Est-ce gratuit? Est-ce méchant? Je ne le pense pas, je trouve même que ça rejoint assez ce qu’écrivait au début du mois sur Eddy de Pretto notre très cher et beaucoup plus nuancé Laurent Raphaël dans un édito de Focus; à savoir que le chanteur français est issu d’une « sous-culture qui avait jusque-là le choix entre de l’électro de kermesse et de la variétoche en conserve ». Laurent juge ça plutôt pas mal, il voit dans ce mouvement de récupération tous azimuts des « millennials décomplexés au parler vrai qui dynamitent toutes les cases et les conventions ». Ce n’est pas un trip fondamentalement neuf. Des types comme ça, qui produisent un truc à eux à partir d’éléments récupérés dans les poubelles de la culture dite de bon goût, ont toujours existé. Après tout, le rock est né abruti et branleur et la meilleure techno ainsi que les sommets de la house originelle sont les oeuvres de mecs fauchés qui ont essayé de copier l’italo-disco, déjà en soi de la série B, sur des instruments rachetés au rabais dans des pawn-shops.

Toutes proportions gardées et avec nettement moins de grâce et de talent, Eddy de Pretto me rappelle même un peu l’une de mes idoles absolues, Marc Almond, qui est lui aussi apparu sur la scène musicale dans le rôle du prolo gay ramenard coiffé comme Mireille Mathieu après une nuit de permanence à un stand de tortillas. En 1980, Almond était également écartelé entre la variété grandiloquente, les textes crus et la musique neuve du moment que beaucoup considéraient comme de la simple tambouille pour crapules et autres demeurés. L’électro de ces années-là n’est pas vraiment comparable au rap post-PNL d’aujourd’hui mais il y a sans doute malgré tout quelque chose de commun dans le rejet qu’ont pu susciter ces musiques. Cela dit, passons à ce qui est drôlement plus grave.

Une petite pièce pour le miséreux

Comme souvent, je pense en effet que ce qui est surtout dégoûtant là-dedans n’est pas l’individu en soi mais plutôt le système, le cirque et l’encule qui l’entourent. de Pretto, probablement, fait son truc avec sincérité. L’aimer, le détester ou y rester indifférent n’est dès lors qu’une affaire de goût, pas fort discutable. Ce qui tient en revanche davantage de la moralité, c’est l’appréhension du boulot de ceux qui l’entourent. Ceux qui misent sur ce type et transforment son hobby en produit. Ceux qui persuadent les médias de se positionner en partenaires d’une stratégie commerciale, ceux qui invitent les gazettes à hurler au génie de la semaine plutôt que de mener un boulot critique et informatif avec un peu plus de retenue… Combien d’artistes bien plus talentueux et originaux qu’Eddy de Pretto ne sont pas pris en compte parce que ne bénéficiant pas du même suivi financier et promotionnel? Cette politique de matraquage et de storytelling identitaire, n’est-elle pas un peu, voire très, puante? Et est-ce qu’on lui a dit, à ce petit mecton, que la musique mainstream aujourd’hui en France, c’est comme le trafic de cocaïne à la frontière américaine: on y lance dix tocards avec un pacson dans le fion en sachant très bien que neuf finiront dans les ronces, sacrifiés au profit de la mule qui passera à la truffe des clébards et siègera son quart d’heure warholien sur le trône? Autre question: pourquoi, quand on se prétend être un incubateur de talents 2.0 qui offrirait une certaine alternative à la soupe, utilise-t-on en fait les mêmes méthodes d’occupation constante du terrain médiatique que la pire télé-réalité?

Ça ne vous dérange pas sinon que le fait qu’Eddy de Pretto soit gay, prolo et habillé comme Ricky Gervais dans la série Derek soit surligné comme les caractéristiques d’un char d’assaut sur une carte de jeu d’atout? On nous a déjà fait le coup avec Christine & the Queens, la voisine de palier vaguement queer vaguement jolie vaguement boudin et vaguement banale pourtant capable de danser comme Michael Jackson et Woodkid, le jeune gay sensible avec autant de talent que Wolfgang Amadeus Mozart, John Lennon et Stanley Kubrick (pour les clips) réunis. C’est quoi, le prochain? Un.e coursier.ère Deliveroo colombophile à ses heures qui milite pour être reconnu.e ni mec, ni femme, mais créature du cosmos qui nous chante la musique des sphères? Un antifa à la voix d’or qui ne s’est plus coupé les cheveux depuis 1982 (ho, mais c’est Pierpoljack!)? Le fils illégitime de Florent Pagny et d’une employée de Bercy qui débite le code fiscal français en alexandrins? Cette manie de boursoufler le réel branquignolle plutôt que de le réinventer avec classe (David Bowie, Prince, Roxy Music…) ou d’en accepter la banalité (The Fall, Sonic Youth, Pavement…) me gave complètement. Ce jeu malsain sur les fêlures personnelles me gave, cette mise en avant d’un sordide familial me gave.

Que de Pretto n’ait jusqu’ici pas eu la vie facile et que son possible succès en devenir tienne du conte de fées, soit, tant mieux pour lui, même si le voilà sans doute en réalité endetté jusqu’au trognon par rapport à son label. Que l’on agite son malheur passé comme un argument marketing, par contre, ça me fait principalement penser à ces mendiants qui exposent leurs moignons sur les artères commerçantes et c’est, dans le cadre de l’industrie de l’entertainment, assez minable, voire complètement glauque. Ça non plus ce n’est pas vraiment neuf. Ce qui me semble en revanche plus récent, c’est ce storytelling aux versions multiples mais au pitch constant du vilain petit canard qui se bat et se dépasse pour finir par devenir un modèle pour la société. Où est la déconne fendarde à la Motley Crüe, à la Happy Mondays? Où sont les débilités à la Iggy Pop et à la Joeystarr? C’est quoi cette culture populaire moderne dont l’emballage tient à ce point des piliers moraux du sarkozysme, des vieilles légendes de droite? C’est quoi ce rappeur qui donne l’impression de ne pas compter ses heures sup’, d’attendre son treizième mois et qui écrit des textes qui ressemblent au courrier des lecteurs de Psychologies Magazine? Travailler plus pour gagner plus, surjouer au souffreteux, c’est pas très sex and drugs and rock and roll quand même. La solution? Donnez-lui vite un singe à baffer et ça mettra au moins un peu de peps dans le plan com. Poupoupoupou, ruuuude boy.

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